J'étais toute excitée à la perspective de découvrir une partie de l'univers de la Rook Guild. Killian, qui n'en était pourtant pas à sa première fête, l'était tout autant que moi. Je me doutais des grandes lignes, mes années de lycée à côtoyer des populaires m'ayant amenée à participer à ces fêtes dites de « jeunes » mais je savais qu'en même temps, cela ne pouvait qu'être différent. La Rook Guild comme la Knight Guild disposaient de fonds d'argent absolument incroyables et une partie devait être dépensée par ses jeunes membres en ce genre de rassemblements. Les proportions que cela devait prendre devaient être sans commune mesure avec ce que je connaissais déjà.
Ce n'était pas sans risque, nous avait toutefois prévenues Stanislas. Avec Jade et Lilian, nous allions devoir éviter de porter des jupes ou des décolletés, ainsi que tout ce qui pouvait se révéler un tant soit peu sexy, car nous n'avions pas de moyens de nous défendre face à des, dans le meilleur des cas, tripoteurs intempestifs que comportaient inévitablement ces fêtes. Et qui possédaient des dons et pour une partie ne pratiquait pas moins de trois styles d'arts martiaux différents. Le mien, de don, ne les empêcherait pas de faire grand chose.
« C'est vrai qu'une matraque est plus pratique dans ce genre de cas. Ou bien une bonne batte de baseball » avait reconnu la voix.
J'avais donc opté pour un short et un tee-shirt, avec des bottes.
« Ton short est plus court que la jupe que tu voulais mettre. »
« Il est hors de question que je mette un pantalon. Je vais crever de chaud. Et je n'aime pas les pantalons. »
Elle grogna quelque chose comme « Faudra pas qu'elle vienne se plaindre si un pervers l'attire dans un coin sombre » mais ne répliqua rien d'autre. Tant mieux. J'avais autre chose à faire que de me disputer avec elle. Car Malcolm assistait lui-aussi à la fête de ce soir.
La scène de mon premier baiser me revint en mémoire comme une grande claque. On ne pouvait pas dire que je regrettais de l'avoir fait – bien que j'aurais préféré le faire en sachant ce que mon partenaire en pensait ou sans avoir l'épaule en compote, et ne pas être en train de me noyer – mais … C'était extrêmement gênant.
Le reste de notre séjour à Miami, après que l'on m'ait recollé tous les os du corps, nous nous étions comportés comme si rien ne c'était passé, avec Malcolm. Il était vrai que ce n'était pas un sujet facile à aborder. J'avais quand même préparé plusieurs manières de lui présenter les choses si nous en venions, un jour, à en parler.
Solution 1 : « Peut-être que tu te demandes pourquoi je t'ai embrassé alors que tu essayais de me remonter à la surface ? Ne cherche pas : je t'aime et comme je pensais crever, j'ai osé. Si tu pouvais ne pas trop m'en vouloir, ça serait pas mal. »
Solution 2 : « Mon cœur bat pour toi depuis le début, Malcolm ! N'as-tu pas senti mon amour infiltré chaque parcelle de ton corps lorsque nous avons échangé ce doux baiser ? Je souhaite passer ma vie à tes côtés et ne jamais avoir à te quitter, sans quoi je mettrais fin à mes jours. »
Solution 3 : « Hahaha, t'as eu peur ? C'était une blague ! »
Solution 4 : « De quoi parles-tu ? Je ne me souviens pas t'avoir un jour embrassé. »
Chacune de ses possibilités comportait des inconvénients. La première était un poil direct, la deuxième un brin ridicule, la troisième me faisait passer pour quelqu'un possédant un sens de l'humour plus que douteux et la dernière ne faisait que contourner le problème.
« Tu es bien consciente que tu t'agites dans le vide ? Ton knight, là, il a pas l'air de vouloir mettre les pieds dans le plat. Un conseil : passe à autre chose. Il ne voudra jamais d'une fille qui lui a explosé le pif. »
« C'était de ta faute, je te rappelle. »
« Va donc lui expliquer ça, tiens. Va lui dire que tu entends une voix dans ta tête ! Pas sûr que ce soit ton atout séduction. »
Mon portable vibra sur mon bureau et je m'en emparais. Le message que je venais de recevoir venait de Killian et disait simplement :
« Je suis en bas de chez toi. Dépêche-toi d'arriver. »
J'enfournai mon portable dans ma poche puis descendis les escaliers le plus doucement possible : il était plus de onze heures du soir et j'étais censée être couchée. Mes parents risquaient d'être surpris de me trouver tout habillée s'ils se réveillaient. Je sortis par la porte au fond du garage, en prenant soin de la refermer sans émettre le moindre bruit.
Killian s'était garé un peu plus loin dans la rue ; je reconnus le 4x4 qu'il avait pris pour nous conduire à la fête, c'était celui qu'avaient emprunté les garçons pour se rendre à Miami. Ayant dû me voir dans son rétroviseur, le rook descendit de son véhicule avec un homme d'une trentaine d'années que je ne me souvenais pas avoir déjà rencontré.
- C'est lui qui va te remplacer, m'expliqua simplement Killian en me désignant l'inconnu.
- Comment dois-je rentrer chez vous ? enchaîna le trentenaire.
- Par la porte à l'arrière du garage. Ma chambre se trouve à l'étage et j'ai laissé sa porte ouverte pour qu'on la trouve plus facilement. J'ai posé mon pyjama sur mon lit.
Dormant habituellement en petite tenue, c'est-à-dire en culotte avec un vieux tee-shirt, j'avais dû fouiller dans les affaires de ma mère pour m'en dégoter un convenable. J'espérais que le doué apprécierait l'effort.
- Bien.
Il se dirigea immédiatement vers ma maison, sans dire un mot de plus. Le visage de Killian s'éclaira alors d'un large sourire.
- On est parti !
Nous montâmes dans le tout-terrain ; Jade et Lilian étaient déjà installées, la première à l'avant et la seconde sur la banquette arrière, où je la rejoignis. Je constatais ainsi que ma tenue était la plus osée de notre groupe, les deux filles portant toutes les deux un pantacourt, l'un en jean, l'autre en tissu, et un tee-shirt avec un pull léger.
« Finalement, la batte de baseball n'était peut-être pas une si mauvaise idée. »
« Bien évidemment : c'était la mienne. »
- Où se trouve la fête ? S'enquit Lilian auprès de Killian.
- Où sont Tabatha et Malcolm ? Et Alexandre ? M'inquiétai-je à mon tour.
- Pour répondre à Morgan, les knights nous retrouvent à la Porte. Pour Lilian : je ne sais pas. Les participants à la fête doivent se retrouver à Los Angeles, après seulement on nous indique où aller.
- Les knights nous attendent donc à la Porte qui va nous permettre de gagner Los Angeles depuis Denver ? Insistai-je.
La tour opina.
- Les voilà, d'ailleurs.
La voiture de Tabatha était en effet garée dans une ruelle, nous guettant. Nous les dépassâmes et ils nous suivirent.
Nous finîmes par arriver devant l'entrée d'un parking souterrain. Killian avança le 4x4 jusqu'à un interphone, où il sonna.
- Oui ? Grésilla une voix.
- Il fait beau ce soir, lui répondit le rook avec flegme. Et les passagers de la voiture de derrière sont d'accord avec moi.
Le portail du garage s'ouvrit avec un bruit d'engrenages et nous nous engageâmes. Mais à l'instant où l'extrémité du capot s'engouffra dans le parking, tout ce qui nous entourait s'effaça. Il n'y avait plus rien de matériel et notre véhicule paraissait flotter dans un univers blanc.
Cela ne dura néanmoins qu'une seconde, comme un flash. L'instant d'après, nous nous retrouvâmes dans une file de voitures, dans un parking souterrain semblable à celui qui s'était trouvé face à nous juste à l'instant, sauf que celui-ci était à Los Angeles. Je me retournai et constatai que Tabatha et ses cavaliers étaient toujours derrière nous.
La queue avançait rapidement et, en quelques minutes, ce fut à notre tour d'être contrôlé. Deux responsables avec des gilets fluorescents jaunes nous demandèrent de baisser notre vitre, l'un debout et l'autre assis devant un petit ordinateur portable.
- Noms et prénoms ? Se renseignèrent-ils
- Killian Reese, Jade Takano, Lilian Stevens et Morgan Jones, énonça Killian.
L'agent qui nous avait demandé nos patronymes fronça les sourcils et nous dévisagea, Lilian, Jade et moi, avant de les transmettre à son pair. Il pianota aussitôt sur sa machine – je devinais qu'il vérifiait que nous étions, à défaut d'être sur la liste des invités, au moins répertoriés dans leur base de donnés, pour vérifier que nous ne soyons pas de parfaits inconnus.
- C'est bon, ils peuvent y aller, valida-t-il.
Le premier responsable allait nous le répéter quand Killian ajouta :
- Dans la voiture de derrière, il y a Tabatha Taylor, Malcolm Lewis et Alexandre Evans, les membres de la quatrième équipe knight. Comme ils sont chargés de la protection des Trois Immortelles (il nous désigna d'un signe de tête), ils doivent nous accompagner.
De nouveau, l'intermédiaire nous lorgna avant de se tourner vers son partenaire. Ce dernier, derrière son écran, hocha la tête en signe d'approbation.
- Pas de problème, nous garantit l'agent. La Porte est à la sortie du parking.
- Merci !
On nous fit signe d'avancer, ainsi qu'aux knights. Nous gagnâmes la sortie du garage et là, sur le même procédé que tout à l'heure, nous empruntâmes la Porte qui allait nous mener à la fête.
C'était une vaste plaine où l'on avait aménagé des places pour garer les différents moyens de transport (motos ou automobiles) avec des barrières métalliques et des cordons blancs et rouges en plastique. La plupart était prise et nous dûmes passer devant de nombreuses allées avant d'en trouver une.
C'était une nuit très sombre et j'eus un peu la chair de poule en sortant du tout-terrain.
« J'aurais dû faire comme Lilian et Jade et embarquée un pull … »
Nous longeâmes l'allée de voitures puis attendîmes que nos camarades aient trouvé une place.
Quand ils nous eurent rejoint, Killian nous fit sortir du parking improvisé et nous guida jusqu'à une nouvelle queue, de gens cette fois.
- Pour emmener les participants sur le lieu de la fête, nous expliqua-t-il, un service de bus ait mis en place. Mais il faut attendre son tour.
Tabatha soupira bruyamment et croisa les bras sur sa poitrine alors que Malcolm et Alexandre étaient enthousiastes, sous l'effet de l'adrénaline.
Je profitais de ce sursis occasionné par l'attente des bus pour détaillé le style vestimentaire des personnes qui m'entouraient. Les knights et Killian n'étaient pas habillés différemment de d'habitude, je me préoccupais donc de celles qui attendaient devant nous. Et autant dire que cela tranchait net avec l'impression très « vieille époque » que j'avais de la Knight Guild.
Les rooks avaient des looks typiques de notre siècle, très modernes. Les filles portaient des mini-jupes très courtes avec des décolletés affolants accompagnés de bijoux très voyants et d'un maquillage très marqué. Les garçons de leur côté avaient des cheveux longs coiffés au gel, des chemises entièrement ouvertes et des pantalons taille basse. Après, on en trouvait avec des styles très typés, comme Killian ou Alexandre – des rockers et des punks – ou encore comme April, avec des looks venus d'Orient qui associaient souvent du noir à des couleurs fluos dans leurs vêtements ou leurs cheveux, quand ils avaient des mèches. Que Stanislas ne se rende pas à ces fêtes ne m'étonnait pas finalement : il était beaucoup trop « classique ». Cette pensée m'attira un sourire et je jetai un coup d'œil à Jade et Lilian. On ne les imaginait pas non plus y participer.
Au bout d'une dizaine de minutes, nous arrivâmes au bout de la file et pûmes monter dans l'un des autocars. Jade, Killian, Tabatha, Alexandre, Malcolm et moi dûmes rester debout, en nous accrochant où nous le pouvions pour ne pas tomber lors du parcours. Les responsables chargés de superviser la montée dans les bus trouvant que le nôtre n'était pas assez plein, ils demandèrent à d'autres fêtards d'y grimper. Tout le monde dut se serrer pour leur faire de la place et je me retrouvais collée à Malcolm. Malheureusement pas contre son torse, comme pendant le bal de promo, mais tout de même. Cette soudaine proximité fit battre mon cœur plus vite bien que je tâche de ne pas le laisser paraître.
« Écarte-toi ! »
J'ignorais la voix, trop heureuse. De plus, Malcolm ne chercha pas à s'éloigner. D'accord, sûrement parce qu'il ne pouvait pas plus bouger que moi – serrés comme des sardines que nous étions – mais je ne m'en préoccupais pas plus que ça.
Collés serrés, le trajet en bus fut trop court à mon goût. Mais une fois descendue, ma petite déception fut oubliée. Nous n'étions pas encore tout à fait arrivés à la fête que déjà la musique se faisait entendre. Avec Jade et Lilian, nous nous regardâmes : nous avions toutes les trois hâte de voir à quoi une fête de la Rook Guild pouvait ressembler.
C'était tout bonnement énorme. Mille fois plus intense que toutes les fêtes des richards du lycée. « Mortellement fun » comme disait Killian.
Sur tout le site, un dizaine de scènes avait été installée, où des groupes et des D-J se produisaient devant une foule chaque fois en délire. Au fond avait été installé un chapiteau sous lequel se dressait la plus grande des scènes. Il était impossible d'y rentrer, à moins de vouloir mourir asphyxié et sourd, le nombre de spectateurs dépassant de loin la véritable contenance de la salle et les musiciens n'ayant pas lésiné sur le volume des amplis.
Des bâtiments métalliques de forme cubique, de taille moyenne étaient édifiées ça et là, et de nombreuses personnes attendaient de pouvoir y rentrer. Je demandais à Killian – le seul à être rester avec nous, les cavaliers s'étant dépêchés de partir à la découverte du site, accompagnés de Tabatha – ce que c'était. Il s'agissait en réalité de mini-boites de nuit qui proposaient à leurs clients des attractions dites « spéciales ». Notre accompagnateur avait refusé de nous en dire plus, prétextant qu'il préférait gardé la surprise de notre découverte intacte.
Des fumigènes et des lumières de toutes les couleurs étaient projetés sur le sol et dans le ciel, rendant la foule diffuse. De tous les côtés, on trouvait de la musique à s'en percer les tympans et des danseurs frénétiques. A intervalle régulier, des bars et des stands étaient établis, où l'on pouvait, d'après les dires de la tour, boire de tout sans la moindre limite – ce qui était la cause des multiples déchets humains que l'on pouvait croiser, effondrés ivres morts à même le sol ou dans les toilettes, occupés à vomir. De nombreux couples étaient présents également, qui s'embrassaient sans la moindre retenue, voir plus dans les coins sombres.
En bref, la musique, l'alcool et l'amour coulaient à flots.
Nous commençâmes véritablement notre soirée en assistant à quelques concerts rock sur les petites scènes. Killian et moi furent les seuls de notre bande à sauter et à hurler, Lilian et Jade se contentant de nous regarder faire. Je tentais tout le long des représentations de les pousser à se laisser aller, sans grand succès, même avec l'aide de la tour.
- Voyons Jade ! Réveille la bête qui est en toi !
- Oui, Lilian ! Renchérissait Killian. Comme pendant « la grande évasion » !
Je ne savais pas pourquoi il lui disait ça, mais elle par contre, recevait parfaitement le message caché de la phrase.
Après cinq concerts (A moins que nous en soyons à six ? J'avais perdu le compte), nous décidâmes qu'une petite pause ne nous ferait pas de mal. Killian se chargea de trouver le stand avec le moins de dégénérés à proximité puis de braver la masse de clients pour nous rapporter des boissons et des hot-dogs. Avec les filles, nous nous occupâmes de réserver une place où s'asseoir pour manger, à même le sol. Ce fut précisément pendant cette seule dizaine de minutes que nous passions seules depuis notre arrivée à la fête que nous fûmes accostées par des types. Bonjour la poisse.
Ils étaient deux, un peu débraillés avec une légère barbe. Ils tenaient chacun un gobelet en plastique, que j'imaginais très bien remplis de bière d'après la couleur et la mousse qui flottait au-dessus.
- Alors les filles, vous êtes seules ? Commença l'un d'eux.
- Non, lui rétorquai-je du tac au tac.
- Ah ! Avec vos petits amis ? Reprit le deuxième.
- Un ami tout court.
Par chance, ils ne paraissaient pas trop éméchés.
- Et où il est votre … ami ? Poursuivit-il.
Il mit sa main valide en visière et regarda tout autour de nous, de manière caricaturale.
- Je ne le vois pas !
Il rit. Si je ne m'inquiétais pas trop parce que les deux lascars ne me paraissaient pas dangereux – je n'avais aucune vision à leur sujet – Lilian et Jade n'étaient pas de mon avis et étaient plutôt mal à l'aise.
- Il est parti nous chercher à manger, répondis-je. Mais il ne va pas tarder.
Les deux compères s'assirent à côté de nous, vraisemblablement avec le désir de continuer la discussion.
- Quel âge avez-vous ? Nous demanda le premier, qui portait une casquette.
- Dix sept ans.
C'était la première fois que Lilian prenait la parole.
- Nous, précisa celui qui n'avait pas de casquette, on en a trente cinq (il indiqua son ami) et trente trois. L'âge du Christ ! Commenta-t-il en s'esclaffant.
Hahaha. Il était évident qu'ils en avaient moins, ils ne devaient certainement pas avoir passé la barrière des trente.
- Vous venez d'où ? S'enquit le casqueteux en avalant une gorgée de bière.
- De l'Ohio.
Pourquoi diable Lilian inventait-elle un truc pareil ? Ces types ne connaissaient même pas nos noms, nous n'avions pas besoin de brouiller les pistes pour éviter qu'ils ne nous retrouvent pour nous inviter à prendre un verre un de ces quatre.
- Et vous ? M'intéressai-je, pour ne pas qu'il commence à nous poser de questions.
- Du Michigan. Tu veux boire un coup ? Proposa ensuite le sans casquette à Jade avec un sourire malin. Papa et maman n'en sauront rien.
- Non.
Le ton avait été mordant. Cela parut refroidir les ardeurs de son prétendant.
Ils enchainèrent ensuite sur des trucs badins. J'appris donc qu'ils se connaissaient tous les deux depuis la maternelle et qu'ils avaient appris à faire du vélo ensembles, entre autre. A aucun moment ils n'évoquèrent la Rook Guild ou leur don, ce qui m'arrangea.
Ils nous quittèrent juste avant que Killian ne revienne de sa noble mission, en nous indiquant qu'ils partaient se « réhydrater aux toilettes » et qu'ils espéraient nous croiser à nouveau. Je leur souhaitais bon courage avant de me tourner vers Lilian :
- Pourquoi l'Ohio ?
- Ils sont de la Rook Guild. Ils auraient bien été capables de nous retrouver sinon.
Elle avait fait la moue en prononçant ses derniers mots et je ris avec Jade.
- Tu as loupé ta chance ! Lançai-je à cette dernière. L'un des deux était intéressé !
- Pas moi, siffla-t-elle.
Je rigolai de nouveau. Aussi, quand Killian nous rejoignit, il fut intrigué.
- Qu'est-ce qui se passe ? Tu m'as pris pour un farfadet ?
- J'aimerai aller dans les boîtes de nuit ! lâchai-je quand nous eûmes fini de manger.
- Ben, on peut y aller tout de suite, si tu veux, accepta Killian.
- Mais … Quand tu … quand tu parles « d'attractions spéciales » …, s'inquiéta Jade. Qu'est-ce que ça peut être, par exemple ?
- Ne t'inquiète pas ! On ne te forcera pas à te déshabiller ! S'esclaffa la tour.
Mon amie grimaça mais ne dit rien quand notre groupe se releva.
De nouveau, nous dûmes nous frayer un chemin au coude à coude au milieu des danseurs.
- Hé ! Tu nous emmènes jusqu'au où comme ça ? Interrogeai-je notre guide, en me rendant compte qu'il nous menait du côté de la grande scène.
- Quand j'ai été chercher la bouffe, j'ai entendu dire que l'une des meilleures boîtes de nuit de ce soir était près du chapiteau !
- Merci ! Et à bientôt !
Je me tournai vers la grande scène. C'était le chanteur du groupe qui s'y produisait qui saluait ses fans. Le concert devait être fini.
- Ah ! S'écria alors Killian. Tenez-vous la main ! Restez grou …. !
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Les spectateurs évacuèrent le chapiteau en masse, créant un mouvement de foule. Sans rien comprendre, des dizaines et des dizaines de personnes se retrouvèrent entre la tour et nous, les filles, et nous éloignèrent d'elle. Nous faisions de notre mieux pour ne pas être propulser de l'autre côté du site mais je finis par comprendre que nous ne réussirions pas à rejoindre Killian. J'empoignai donc Lilian et Jade par le bras et les tirai de ce bourbier, en forçant le passage.
Nous parvînmes tant bien que mal à quitter la zone de passage, pour nous retrouver entre une boîte de nuit et un bar. L'un et l'autre paraissaient plutôt malfamés mais j'étais contente de ne plus être au milieu de la foule. J'avais cru mourir étouffé.
« Ne reste pas là ! »
Le hurlement de la voix se répercuta dans tout mon crâne.
« Ne crie pas ! Je t'entends très bien sans ça ! Qu'est-ce qui se …. qui va se passer ? »
« Ne reste pas là ! »
Je me concentrai pour voir la vision qui inquiétait la voix. Mais la musique m'empêchait de le faire.
« Qu'est-ce que tu fais, pauvre gourde ?! Tire-toi de là ! »
- On devrait appeler Killian, suggéra Lilian.
Sans qu'on le lui demande, Jade sortit son portable et chercha dans son répertoire le bon numéro. La chose faite, elle colla son mobile contre son oreille.
« DEGAGE ! »
« Trente secondes ! »
- Il ne répond pas …, chuchota Jade.
- Le réseau doit être surchargé, supposai-je. Ou bien il n'y en a pas dans le coin. En tout cas, ne restons pas là. Il fait trop sombre.
Je venais seulement de vraiment le réaliser. Dans ce coin où nous étions, les multiples lumières multicolores n'éclairaient pas grand chose. Et des clients attablés au bar d'à côté commençaient à nous fixer d'une manière qui ne me plaisait pas trop.
- Mesdemoiselles ! S'exclama l'un d'eux en voyant que nous nous apprêtions à partir. On vous paye un verre, si vous voulez !
- Non, c'est bon.
Ma réponse ne leur plut pas. Un mec un peu plus âgé que nous se leva, énervé.
- Non mais ho ! Qu'est-ce qui vous prend ? Salopes !
« T'as tout gagné ! Tu viens de brosser dans le mauvais sens du poil un rook ! »
Avec mes amies, nous accélérâmes le pas.
- Connasses ! Restez ici !
Je m'écroulai à terre. Mes jambes m'avaient lâchée d'un coup.
- Morgan ! Ça va ? S'alarma Lilian.
- Je ne peux plus bouger mes jambes …
- On fait moins les malignes, tout de suite !
Je jetai un coup d'œil en direction du rook qui nous avait pris en grippe. Cela devait être lui qui me privait de mes jambes, grâce à son don. Il n'était plus qu'à quelques pas de nous, ce qui me permit de voir que, contrairement aux deux gaillards de tout à l'heure, il était vraiment bourré.
« Et merde de chez merde … »
Il écarta Lilian de moi et m'agrippa violemment par le bras en voulant me relever.
- Laisse-moi ! Hurlai-je. Dégage !
Jade l'empoigna alors par le col de sa chemise et lui asséna une grosse gifle. Je fus aussi surprise que mon agresseur.
- Tire-toi d'ici, gronda-t-elle.
Sa stupéfaction passée, l'éméché sortit les crocs. Il me laissa tomber au sol et s'en prit à Jade.
- Espèce de sale pute … Je t'assure que tu vas t'en prendre plein la gueule !
Pourtant, ce fut lui qui se prit un coup de poing, avant qu'il ait pu esquisser un mouvement.
- Laisse-les !
Ce n'était pas Killian qui venait de nous sauver la mise mais de parfaits inconnus. Une bande d'inconnus. Celui qui paraissait être le chef, ou quelque chose d'approchant, l'empoigna par sa chemise.
- Je te propose un marché, tu les laisses partir et nous, on ne te dénonce pas aux responsables de la soirée. Ça marche ?
Sa victime parut évaluer ses chances s'il devait se battre contre lui. Et contre chacun de ses potes. Étant donné qu'il était gris et que les autres, à défaut de ne pas être totalement sobres, l'étaient moins que lui, il se ratatina sur lui-même.
- Ouais, c'est bon … Cassez-vous !
Le leader du groupe relâcha sa poigne et le pochard retourna s'asseoir à son bar d'origine en grommelant, mais sans demander des comptes à nos sauveurs.
- Tu peux te relever ?
Je me désintéressai de l'ivrogne – il n'était plus qu'un mauvais souvenir – et me préoccupais de mes jambes. Je poussai un soupir de soulagement en constatant que le don n'avait plus d'emprise sur moi et que je pouvais me mouvoir à ma guise.
- Sans problème, rassurai-je le chef de la bande.
J'époussetai le derrière de mon jean en me levant.
- Merci beaucoup, le remerciai-je ensuite. Je ne sais pas jusqu'où cette histoire aurait pu dégénéré.
Il eut un grand sourire puis se tourna vers ses amis, qui eux aussi affichaient un air réjoui, avant de nous faire face de nouveau.
- Et tout travail mérite salaire, non ? avança-t-il.
Je ne voyais plus son sourire de la même manière maintenant. Était-il possible que les filles et moi soyons tombées de Charybde en Scylla ?
« Ouh … Je le sens mal … »
« Moi aussi. Barrez-vous ! »
Sans me concerter avec Jade et Lilian, je les saisissais par le bras avec l'intention de nous mêler à la foule pour échapper à ce Superman de pacotille.
- Ne partez pas comme ça !
Les membres de la bande nous encerclèrent en un instant. Je mourrais d'envie de leur faire ravaler leur air narquois.
- Qu'est-ce que vous voulez ? Que l'on vous paye à boire ?
- Pas franchement, non, me répondit le meneur. Disons que nous préférons … être payé en nature.
Ses compagnons ricanèrent.
- Et si nous ne sommes pas d'accord ? M'instruisis-je.
- Vous n'avez qu'à vous battre !
« Voilà bien la seule chose qu'on ne peut pas faire ! »
Je serrais tout de même les poings. Pas question de perdre sans leur avoir collés quelques gnons. A la télé, les héroïnes s'en sortaient toujours même si elles ne s'étaient jamais battues de leur vie. J'avais déjà réussi à m'en tirer face au Pique, ce n'était pas ces petites racailles qui allaient m'impressionner. J'avais connu pire.
L'un des suiveurs s'approcha de Lilian : je ne lui laissais pas l'occasion de la toucher. Je me jetais sur lui avec un cri de rage, destiné non seulement à m'encourager mais aussi à lui foutre les jetons, et lui assénais un coup de poing dans le nez.
J'avais choisi cette partie précise du visage parce que j'avais déjà expérimenté ce que ça faisait quand on tapait dedans – j'eus une pensée pour Malcolm – et parce que je risquais moins de me fracturer le poing. En tout cas, je fis mouche : ma victime se mit à pisser le sang.
« Espèce d'idiote ! Tu viens de déclarer ouvertement les hostilités ! »
« On ne va pas se laisser faire, non plus ! »
Les autres membres de la bande me regardaient avec des yeux ronds. Je décidais de bien marquer le coup, avec un peu de chance cela les encouragerait à dégager le plancher.
- Je … Je vous préviens ! Vous allez tous vous prendre une si vous ne partez pas immédiatement !
Ils continuèrent à me fixer pendant quelques secondes avant que leur sourire ne se tordent méchamment.
- Nous en coller une ? On aimerait bien voir ça !
Je sentis à l'instant même un truc bizarre dans mes membres avant que je ne m'aperçoive que l'un de mes adversaires venait de me paralyser.
« C'est pas vrai ! »
« Mais c'est une maladie chez toi de te coller dans des situations pareilles ! »
Celui que j'avais frappé fonça sur moi, m'attrapa par les cheveux et me colla à terre. Lilian fit alors ce que j'aurai dû faire au lieu de foncer la tête la première : elle hurla. Suffisamment fort pour se faire entendre des fêtards malgré la musique environnante. Le groupe de petites frappes fut brièvement déconcerté mais ne perdit pas le nord. Trois se ruèrent sur Lilian pour la faire taire et deux autres sur Jade, qui en neutralisa un avec un bon coup de genoux dans les parties au moment où il allait l'empoigner. Mon assaillant, quant à lui, s'apprêtait à me rouer de coups quand une voix haut perchée se fit entendre :
- Espèces d'ordures !
Sans que je n'y comprenne rien, toute la bande tomba à terre, comme des mouches.
- Huit mecs qui s'en prennent à trois filles, c'est simple, ils n'ont pas de couilles ! C'est rien qu'une bande de tapettes !
Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître les couettes blondes d'April ! Je ne l'avais vu qu'à deux reprises : la nuit où elle m'avait kidnappée et une fois à Miami mais j'étais sûre que c'était elle. Ce que je pensais être des arcs électriques grésillaient autour de ses bras : visiblement, c'était elle qui avait collé au tapis tous les rooks. Elle en frappa quelques uns à terre dans les côtes, sans se retenir.
- Alors ? Ça fait quoi de voir les rôles inversés ? Bande de tafioles ! Petits merdeux de mes deux !
Quelques râles firent effet de protestations, ce à quoi April réagit en distribuant encore quelques coups. Elle s'approcha de moi et, en constatant que je ne pouvais pas bouger, elle cria :
- QUI l'a paralysé ?
Personne ne répondit mais je sentis que l'étrange pouvoir qui bloquait mes muscles se retirait petit à petit. Quand il fut totalement parti, April m'aida à me relever. Là, elle me reconnut à son tour :
- Morgan Jones !
Elle jeta un coup d'œil à Lilian et Jade, qu'elle identifia également.
- Qu'est-ce que vous faites là ? S'étonna-t-elle.
- Killian nous a proposées de venir et ….
- Mais qu'est-ce que vous foutez seules ? Me coupa-t-elle. Il vous a laissé vous déplacer sans personne sur le site ?
- Non. Nous avons été séparés quand des spectateurs ont quitté le chapiteau et nous n'avons pas réussi à le contacter avec nos portables. Nous …
- C'est parce qu'il n'y a du réseau que pour les portables de la Rook Guild.
J'étais un peu agacée qu'elle ne me laisse pas finir ma phrase pour la deuxième fois mais en plus, elle ne me laissa pas le temps de reprendre.
- Enfin, vous avez eu de la chance que je passe dans le coin. Tout le monde ici pense que vous avez appris à vous battre, personne n'aurait bougé son cul pour vous aider.
Elle se préoccupa des dépouilles sur le sol. Après un « Salauds ! » à leur égard, elle leur fit signe de quitter le secteur en vitesse. Chose étonnante : chacun des types étalés face contre terre se releva et ils partirent tous sans demander leur reste.
April sortit ensuite son portable d'une poche de sa robe sombre et composa un numéro. Ses premiers mots me firent sursauter.
- Abruti fini ! Qu'est-ce que tu fiches ? Où tu es ? Je m'en fous ! NE ME PARLE PAS COMME CA ! Tais-toi ! NE RACCROCHE PAS !
Elle ne marquait aucune pause, comme si personne ne se trouvait au bout du fil. C'était impressionnant, en un sens, et inquiétant, dans un autre.
- Oui, c'est ça, appelle-les et dis-leur de se magner ! JE NE VEUX PAS SAVOIR ! Mais je ne sais pas moi ! Pourquoi ça serait à moi de décider de tout ? TU ME GONFLES ! Comment ? Où ça ? Ah oui …. Oui. Bon, d'accord, on se retrouve là-bas. ET NE SOIS PAS EN RETARD !
Elle raccrocha et nous fit part, à Lilian, Jade et moi, de la suite des évènements.
- Je dois vous accompagner jusqu'à l'un des stands. Killian va faire passer le mot aux autres, là … Les knights. Des questions ?
Qu'est-ce que l'on pouvait répondre à ça ?
« Essaye « Va te faire voir ». Je me demande comment elle réagirait. »
En nous voyant arrivées, Killian soupira un grand coup, de soulagement.
- Je vous ai cherché partout ! Mais avec cette foule …
- Ne te cherche pas d'excuses ! Protesta April.
Je me rappelais en les voyant commencer à se disputer que la nuit où ils nous avaient kidnappé, leur conversation avait déjà été plutôt animée.
- Sale peste ! Je suis l'aîné ! Tu me dois le respect !
- Dans tes rêves ! Je ne cirerai pas les pompes d'un type aussi abruti que toi ! SIMPLET !
« Minute, minute … Est-ce que cela voudrait dire que … qu'ils sont frère et sœur ? »
Je regardai, incrédule, mes amies. Elles aussi étaient surprises. Avec le recul pourtant, cette idée n'était pas si saugrenue. D'aussi loin que je me souvenais ils s'étaient toujours « bien » entendu.
« Ils ne se ressemblent pas du tout » me fit remarquer la voix. Ce qui était vrai. L'un châtain, l'autre blond …
- Ou-ouh ! Killiiiian !
De la foule se détachait nettement une main qui nous faisait signe. A ses cheveux blonds, je reconnus Alexandre, suivi tout de suite par Tabatha et enfin par Malcolm.
« Calme-toi ! » m'ordonnai-je. « Tu restes naturelle, tu parles normalement … Tu respires tranquillement. »
Arrivé à notre niveau, les knights devinèrent tout de suite qu'il nous était arrivées des bricoles.
- Morgan, finit par lâcher le punk, qu'est-ce que tu as fait ?
- Tes cheveux sont en pétards et tu as de la terre sur le visage, me précisa son partenaire.
- Nous …
- Elles se sont retrouvées face à une bande de cons ! Répondit April à ma place, délaissant son frère (?). Mais je me suis occupée de leur cas.
- Une bande de cons ? Répéta Tabatha en levant un sourcil, désirant sans doute avoir plus d'explications.
- Ouais ! Huit connards ! Ils les ont prises à part (elle nous montra du doigt) et voulaient les forcer à coucher avec eux, j'en suis sûre ! J'ai raison, non ?
April s'était tournée vers moi, pour que je le lui confirme – Lilian et Jade s'étant soudainement mises à bavarder avec Killian –, de ce fait la reine et ses cavaliers firent de même.
- Heu … Non …, balbutiai-je, mal à l'aise. Ils …. ils insistaient seulement pour que l'on prenne un verre avec eux ….
- Ils voulaient baiser, reprit April comme si je n'avais rien dit.
- Mais Killian n'est pas rester avec vous ? S'étonna Malcolm en lorgnant la tour.
- Si ! Mais il nous a perdues dans la foule et …
Je fus coupée cette fois-ci non pas par April elle-même mais par son portable, qui vibra. Elle le sortit de nouveau de sa poche pour consulter le message qu'on venait de lui envoyer. Il devait s'agir d'une bonne nouvelle car elle sourit – une première, d'ailleurs.
- Killian, Killian ! Il va y avoir un Powerful !
- Sans blague ? Où ça ? S'enquit-il, joyeux lui-aussi.
- Derrière le chapiteau ! Ils vont ouvrir les barrières !
- Mortel ! Tape m'en cinq !
April s'exécuta et ils se tapèrent dans les mains. Cela me conforta dans mon idée qu'ils étaient bien de la même famille.
- Qu'est-ce que c'est, un Powerful ? Se renseigna Lilian.
- C'est mortellement fun ! S'écrièrent en chœur les deux frangins.
- Il faut absolument faire ça une fois ! Ajouta Killian.
- Tape m'en cinq ! Fit sa sœur.
Et ils réitérèrent, le sourire aux lèvres.
- Bordel ! Ouvrez !
Une minute que nous patientons devant les barrières. Mais c'en était déjà trop pour April.
Il n'y avait pas grand monde quand nous étions arrivés ; les Powerful étaient habituellement annoncés à la dernière minute et nous tenions notre info du large réseau d'amis d'April.
- OUVREEEZ !
- Tais-toi ! Lui ordonna Killian. Ce n'est pas parce que tu brailles qu'ils vont ouvrir !
Sa sœur lui décocha un regard mauvais.
- Dis-moi plutôt pourquoi Stanislas n'est pas avec toi ! S'exclama-t-elle.
- Tu sais bien pourquoi ! S'énerva la tour. Mais je vais te le répéter pour la dernière fois : tu lui fous les jetons !
- C'EST PAS VRAI ! C'est parce qu'il n'aime pas se retrouver au milieu de la foule !
- Si tu le sais, pourquoi tu le demandes ?!
- Hé ho, calmez-vous les jeunes, leur conseilla l'un des vigiles, qui nous zieutait depuis tout à l'heure.
Il eut droit à son tour au regard menaçant de la petite blonde, mais cela ne l'inquiétant pas plus que ça.
- A chaque fois, tu me JURES qu'il va venir et au final, il vient JAMAIS ! Continua April. MENTEUR !
- Si je te disais le contraire, tu me sonnerais les cloches pour qu'il vienne ! MORVEUSE !
- MORVEUSE ?! Moi, une MORVEUSE ?! Mais tu veux te battre ?!
- Ramène tes fesses !
Tabatha poussa un soupir et se massa les tempes tandis que ses cavaliers parièrent discrètement sur l'issue du combat qui commençait. Bien qu'April ait commencé par empoigner son frère, il s'était dégagé et l'avait attrapé par l'arrière, par le cou avec son bras. Plus grand qu'elle et plus fort, April ne parvenait pas à se sortir de cette situation.
- A … Arrête ! Haleta-t-elle, le souffle coupé.
- Tu te rends ? S'assura Killian.
- Jamais !
- Tant pis pour toi !
April poussa de petits gémissements plaintifs, ce qui attira de nouveau l'attention du vigile.
- Je vous préviens : vous continuez comme ça, je vous vire !
A contre-cœur, Killian relâcha sa sœur, qui en profita pour lui donner un coup de coude dans le ventre. Le vigile lui fit les gros yeux.
C'est à ce moment-là que, sortie de nulle part, une voix se fit entendre sur l'ensemble du site de la fête.
- Prêt à mettre le feu ? Je suis sûr que oui ! Je ne dirai donc qu'une chose … POOOWERFUUL !
Quelques secondes plus tard à peine, l'ensemble des participants à la fête nous avait rejoints devant les barrières.
Quand les vigiles retirèrent les barrières qui avaient tant énervées April, Killian m'attrapa par le bras, avec Lilian tandis que sa sœur se chargea de Jade. Je compris pourquoi : toute la foule s'engouffra dans le passage pour gagner le lieu du Powerful. Si la tour ne m'avait pas retenue, je me serais retrouvée propulsée je-ne-sais-où.
La zone du Powerful était très vaste et une scène était installée au fond, avec un écran géant. Qu'est-ce que pouvait bien être un Powerful ? « Mortellement fun » n'était pas un super indice.
Nous étions à mi-chemin entre la scène et les barrières, nous évitant de nous retrouver tout devant pour être écrasé par la foule ou de ne rien voir de ce qui se déroulait sur la scène.
Les rooks scandaient en rythme le nom de l'évènement, rendant l'ambiance électrique sans que rien n'ait commencé. Une musique de fond finit par être mise en route, et les hurlements redoublèrent d'intensité.
- Allez, crache le morceau, lançai-je à Killian, déjà en transe. Qu'est-ce qu'il va falloir faire ?
- Et bien …
Une jeune femme entra alors sur la scène. D'une vingtaine d'année, des cheveux acajous coupés à la garçonne, vêtue de vêtements de cuir noir qui moulaient ses formes agréables, elle fut accueillie par de nombreux cris de joie et elle salua la foule d'un geste de la main accompagné d'un large sourire rafraichissant.
- Tout à fait mon genre, entendis-je murmurer Alexandre à Malcolm.
Il me sembla que Jade leva les yeux au ciel.
La femme se positionna au centre de la scène et des lumières s'allumèrent tandis que l'écran géant se mettait en marche. Dans la nuit, seule la scène était éclairée.
- Lucy ! Te quiero ! S'écria une voix au-dessus des autres à l'intention de la jeune femme.
Grâce à l'écran géant, tout le monde put la voir éclater de rire.
- Powerful ! Powerful ! Continuait de clamer la foule, le poing en l'air.
Lucy fit signe à la foule de se taire. Elle fut immédiatement obéie. Elle écarta un peu ses jambes et baissa la tête vers le sol.
Et là, le Powerful commença.
La musique de fond cessa, laissant la place aux premières notes d'une nouvelle.
- Television … rules the nation … Aroud the world … Television … rules the nation …
Et tandis que la voix électronique de la chanson répétait « Around the world » comme un disque rayé, Lucy tendit son bras en direction des spectateurs avant de commencer à marquer le rythme avec sa jambe. Étonnamment, tout le monde l'imita, hormis la quatrième équipe knight, Jade, Lilian et moi. Je me lançai donc et imitai la jeune femme, comme les cavaliers. Timidement, mes amies puis Tabatha firent de même.
Lucy stoppa son mouvement pour en faire d'autres, très simples. Seuls ses bras changeaient de position, à chaque paroles. Copiée par toute la foule.
- Work it … Make it … do it … Makes us …
La jeune femme affichait un sourire satisfait devant l'enthousiasme des spectateurs.
- Harder ! Better ! Faster ! Stronger !
Elle rit et entama de nouveaux mouvements, pas plus complexes mais qui nécessitaient l'utilisation des jambes.
- More than … Hour … Our … Never …
Lucy se tint droite, les bras le long du corps, ne bougeant que de droite à gauche sa tête.
- Ever … After … Work is … Over …
Elle conclut la phrase en tendant son bras droit dans la même direction, le poing serré mais le pouce baissé.
Puis elle se mit à sauter tout en faisant signe à l'assistance de l'imiter.
Dans un grand cri de joie, tout le monde s'y mit. De toute manière, ceux qui n'auraient pas voulu auraient été emportés par l'élan général.
Voir toutes ces personnes autour de moi et savoir également que celles qui étaient hors de ma vue étaient toutes sans exception en train de sauter avaient quelque chose de totalement surréaliste. Après tout, si l'on ne comptait pas la quatrième équipe, toutes étaient des rooks. J'avais craint la Rook Guild : elle m'avait empêchée de dormir la nuit et terrorisée le jour. Deux de ses membres m'avaient kidnappée pour me soutirer des informations que je ne possédais pas et pourtant, ils étaient tous les deux à côté (puisqu'ils s'agissaient d'April et de Killian).
A quoi tenait ma présence ici ? Il y a quelques mois, je n'aurai jamais envisagé de me rendre à une fête de la Rook Guild.
Une douleur au talon me sortit de mes pensées.
« C'est que ça devient crevant à la longue … »
Nous ne devions sauter que depuis une minute, pas plus, mais j'en avais déjà plein les pattes. Je ne voyais pas pourquoi les rooks étaient fous de ces Powerful. Au-delà du côté sympa-et-on-saute-à-l'unisson, je n'en voyais pas franchement l'intérêt. Ni ce que cela avait de puissant . A la limite, pour les mecs, pourquoi pas. Voir Lucy sur scène était peut-être une raison suffisante de participer. Mais pour les filles ? Quel sombre et obscure intérêt pouvaient-elles avoir de …
Je m'arrêtai net de sauter.
« Ce n'est pas possible … »
Pourtant si. Tout doucement, d'étranges volutes colorées provenant de la foule commençaient à se répandre dans le ciel, accompagnées de cris de joie. Et elles ortaient du corps des spectateurs, les entourant d'un halo de couleur. Chacun produisait une couleur unique, plus ou moins translucides et en quantité différente, qui partaient rejoindre ses consœurs dans le firmament.
« Mais qu'est-ce que c'est ? » m'écriai-je intérieurement.
« Des dons » me répondit la voix. « Ce que tu vois, ce sont des dons ».
« Par … par quel miracle … »
« Rien à voir avec une quelconque grâce céleste. Sous le coup de l'excitation, et en sentant la présence des autres dons autour, les doués sont capables en ce concentrant un peu de produire une sorte de résidu de leur don. Ce que tu vois là est un spectacle unique. »
Un grand nombre de « résidus », comme les appelait la voix, se trouvaient maintenant dans le ciel et ils paraissaient interagir les uns avec les autres. Ils se collaient entre eux, se détachaient, ondulaient … Arrivés à un certain nombre toutefois, ils ne formèrent plus qu'un tout, un tout aux couleurs changeantes et chatoyantes qui éclairait le ciel et dont chaque nouvel arrivage de résidus augmentait la taille.
J'avais l'impression de me trouver sous une aurore boréale. C'était tout aussi impressionnant et tout aussi incroyable.
« Je peux le faire moi aussi ? »
« Non. Tu ne me maîtrises pas assez pour me concentrer suffisamment et laisser échapper un résidu. »
« Dommage. »
J'aurai adoré participer à la fantastique œuvre qui se créait sous mes yeux. A défaut de le faire moi-même cependant, je jetai un coup d'œil à mes compagnons. Killian émettait une couleur jaune, peu prononcée mais d'une dimension remarquable. Celle de sa sœur était jaune également mais beaucoup plus voyante, à l'image de son don qui était de produire de l'électricité et de le manipuler.
Le résidu de Malcolm était d'un vert kaki plutôt prononcé, une couleur assez originale, tandis que celui d'Alexandre était d'un rouge criard assorti à son pantalon à motif écossais fétiche.
Connaissant la puissance dont disposait Tabatha, je m'attendais à voir un résidu formidable. Pourtant, il n'y avait rien. La reine n'était même pas entouré d'un halo, étape qui précédait la formation du résidu. Elle sautait, ses longs cheveux souples suivant son mouvement, et fixait comme je l'avais fait la masse brillante suspendue dans la voûte céleste, qui se reflétait dans ses saisissants yeux émeraude.
Tabatha finit toutefois par fermer les yeux, sans cesser de sauter. Là où la création du halo prenait plusieurs secondes aux autres, une seule à peine après qu'elle ait clos ses paupières la knight était entourée d'une auréole de la même couleur que ses yeux.
Une autre seconde après, son résidu partait à son tour rejoindre les autres.
La foule poussa une longue exclamation.
Le résidu de Tabatha n'avait de résidu que le nom. Il avait fallu des dizaines et des dizaines de dons, des centaines même, pour en arriver à la taille, conséquente, de l'aurore boréale.
A lui seul, le don de la reine avait la même taille que celui de tous les rooks réunis et sa couleur était plus intense que n'importe quel autre.
Il s'éleva à son tour avec de nombreuses ondulations vers le firmament, ne cessant de voir son volume s'amplifier. En effet, Tabatha n'avait toujours pas rouvert les yeux, ce qui signifiait qu'elle n'avait pas produit toute la quantité de résidu dont elle était capable.
Quand elle eut fini, plus personne ne sautait, pas même Lucy, bien que la musique continue de tourner. Tout le monde avait le regard fixé sur le nouveau résidu, y compris moi. Comment faire autrement ? A l'instar des yeux de sa propriétaire, il était impossible de s'arrêter de le contempler.
Comment allait-il agir face à la masse des dons rooks ? S'intégrer tout naturellement ou bien les engloutir ?
Le résidu ne fit ni l'un ni l'autre. Il refusa tout bonnement de se mêler aux autres.
A la même hauteur, les dons des rooks faisaient face à l'unique de Tabatha, sans qu'il y ait la moindre différence de taille, comme sur un champ de bataille.
Le « tout » de la Rook Guild avança en direction du résidu de la knight, comme pour tenter de le contraindre à rejoindre ses semblables. A l'image de sa propriétaire, le résidu persista à s'en tenir écarter.
Les résidus rooks ne s'arrêtant pas, celui de Tabatha l'en dissuada.
Il prit soudainement la forme d'un dragon et, quand il ouvrit sa gueule comme pour pousser un feulement, l'ensemble des résidus rook furent disperser dans le firmament. Ils se regroupèrent de nouveau tout de suite après et adoptèrent à leur tour l'apparence d'un dragon.
Le nouvel animal commença lui-aussi par gronder son adversaire, sans qu'il émette néanmoins le moindre bruit, qui ne bougea pas d'un pouce, bien camper sur ses pattes.
Les deux créatures se toisèrent pendant encore quelques secondes avant de passer à l'attaque. Elles se jetèrent l'une sur l'autre.
J'arrêtai de respirer, redoutant le moment où les deux créations rentreraient en collision. Je sentais que la voix, à l'intérieur de mon crâne, était tendue elle aussi.
Quand cela arriva, les deux dragons explosèrent. Le premier en une multitude de flammèches émeraude, le second en une pluie de gouttes de toutes les couleurs, tels des feux d'artifice.
La foule salua la performance d'un grand cri dans lequel il n'y avait pas la moindre trace de peur. Visiblement, aucun Powerful jusque-là ne s'était déroulé de cette manière et les rooks en étaient ravis.
Je regardai Tabatha : elle avait cessé de sauter et profitait du spectacle des dernières retombées de résidus, comme tout le monde. Elle ne paraissait pas spécialement surprise de son extraordinaire prouesse.
« Elle est … »
« Ne cherche pas. Je ne crois pas qu'il y a un seul adjectif qui permette de la décrire. Elle est bien au-delà de toutes les limites que je pensais possible. »
Le Powerful finit, la foule évacua la zone pour regagner le site de la fête, après que Lucy ait remercié tout le monde de sa participation.
Je jetai un coup d'œil à mon portable : il était plus de deux heures du matin. Comme si mon corps prenait soudain conscience de l'heure, une vague de fatigue s'abattit sur moi. Tabatha le remarqua tandis que nous attendions de quitter la zone du Powerful.
- Il va falloir partir, dit-elle à l'intention de ses cavaliers et de Killian.
- Vraiment ? S'étonna ce dernier. La fête ne fait que commencer pourtant !
A la tête que tirait sa sœur, elle pensait la même chose.
- Les filles ne sont pas habituées à des horaires pareils et nous sommes attendus pour la nuit. Nous ne pouvons pas nous permettre de partir plus tard, lui répondit la reine, alors que Malcolm et Alexandre semblaient mourir d'envie de rester.
- Attends, on peut s'arranger autrement, rétorqua le punk. Toi, tu repars avec les filles avec ta voiture et Malcolm et moi, Killian nous déposera à la Porte quand on partira.
- De toute manière, il n'y aura pas assez de place dans ta voiture pour nous trois plus les filles, lui rappela le deuxième cavalier
Ils ponctuèrent tous les deux leur phrase d'un large sourire. Tabatha soupira.
- Faîtes comme vous voulez. Mais ne m'appelez pas en plein milieu de la nuit pour que je vienne vous chercher, les prévint-elle. Vous resterez dehors.
- T'inquiète ! Lui assura Malcolm.
- Et faîtes …, reprit la reine.
- Oui, oui, on sait, la coupa Alexandre. Nous n'abuserons pas trop de notre charme irrésistible !
- Je ne pensais pas à ça en premier lieu.
Elle fronça les sourcils et fit un geste de la main comme pour chasser les paroles de son cavalier puis mit un terme à la discussion en souhaitant à ses partenaires un « Amusez-vous bien ». Killian et April, pour marquer leur joie, passèrent leur bras autour des épaules des deux garçons.
La dernière fois que je vis la joyeuse bande de la soirée, ils se précipitaient tous vers l'une des boîtes de nuit.
Comme à l'allée, nous dûmes emprunter le bus pour regagner le parking, la Porte jusqu'au parking sous-terrain de Los Angeles où l'on nous contrôla de nouveau, avant d'emprunter celle nous permettant de rejoindre Denver.
Arrivée là, j'eus une surprise. Tabatha ne nous reconduisit pas chez nous mais nous conduisit jusqu'à une autre Porte dans la ville. Après le flash blanc caractéristique de l'utilisation d'une Porte, nous arrivâmes sur une allée de gravier. Quand elle avait dit que « nous » étions attendus, j'avais cru qu'elle parlait uniquement d'elle et de ses cavaliers. Maintenant que je réalisais que Jade, Lilian et moi étions comprises dans le « nous », je me demandais où nous nous rendions.
La reine remonta l'allée, bordée d'arbres jusqu'à arriver devant l'entrée d'un château que je reconnaissais bien.
Celui de Shannon.
L'aristocrate nous attendait d'ailleurs devant l'entrée de sa demeure, en chemise de nuit et un chandelier dont toutes les bougies étaient allumées à la main. Elle avait noué ses cheveux en une lourde tresse et ne paraissait pas particulièrement d'humeur joyeuse.
Quand nous descendîmes de la voiture, elle ne manqua pas de nous faire remarquer l'heure à laquelle nous arrivions.
- Tu étais censée arriver plus tôt ! Se plaignit-elle à l'intention de Tabatha. J'ai dû envoyer les domestiques de se coucher ! Et où sont les deux zigotos ?
- Ils sont toujours à la fête, ils rentreront plus tard, lui répondit-elle en montant les marches qui menait au palier où se tenait Shannon.
- Oh non ! Il va falloir que je les attende ! S'écria notre hôte, exaspérée.
- Bien sûr que non ! Toi, tu vas aller te coucher et moi, je les accueillerai quand ils seront là, lui assura Tabatha.
Shannon parut hésiter mais elle ne répliqua rien, probablement trop fatiguée pour continuer à veiller. Se préoccupant de nous, elle nous sourit et nous demanda si nous avions passé une bonne soirée.
- C'était … mortellement fun ! Lui résumai-je en utilisant les termes employés par la fratrie Reese. Par contre, je suis vannée !
- Tant mieux ! S'esclaffa Shannon en retrouvant sa bonne humeur. J'ai tout fait pour que vous passiez une excellente nuit !
Elle ouvrit la porte du château et nous invita à rentrer. Elle nous conduisit ensuite chacune à nos chambres, toutes situées au premier étage contrairement à la dernière fois, à la lumière des bougies. Avant d'entrer la mienne, je la remerciai pour son accueil et lui souhaitai une bonne nuit, ainsi qu'à Lilian et Jade - Tabatha s'étant évaporée dans les lieux lorsque nous étions rentrées.
Je ne prêtai aucune attention à l'aspect de ma chambre, je ne pensais plus qu'à une chose : plonger dans le lit que je devinais confortable à souhait comme lors de mon dernier séjour ici. Un pyjama en dentelle et tissu léger m'attendait sur le dossier d'une chaise, que je me dépêchai d'enfiler. Je posai après ça mes vêtements en vrac sur le coffre en bois posé au pied de mon lit et lançai mes chaussures à travers la pièce. Je m'affalai ensuite sur le lit, rampai jusqu'aux oreillers puis retirai les couvertures pour me glisser entre elles et le matelas.
Je m'endormis dès que ma tête rencontra un oreiller.
Lexique
"Oui, Lilian ! Renchérissait Killian. Comme pendant "la grande évasion" !" : Killian fait référence à la chanson "The Great Escape" ("La Grande Évasion" en f