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5 août 2011 5 05 /08 /août /2011 18:45

chapitre-6---erotisme.jpg

 

 

   Tranquillement allongée dans mon fauteuil, je piochai une sucrerie dans mon saladier tout en rabattant un pan de ma jupe. J'avais volontairement laissé la pièce dans le noir, ayant du mal à supporter la lumière du jour depuis mon Opération.

   Je réfléchissais. Quelques temps déjà s'étaient écoulés depuis notre cuisant échec à Miami et nous n'avions toujours rien fait pour l'effacer. Je savais que notre mise en retrait était volontaire, calculée et parfaitement justifiée pourtant … Je mourrais d'envie de prendre ma revanche.

   Je posai une main sur mes cheveux courts – vestige de mon combat contre Tabatha Taylor. Le sourire moqueur qu'elle avait eu tandis que des mèches de ma chevelure tombaient au sol me restait au travers de la gorge. Je ne pouvais pas dire de ne pas avoir été prévenue, sa renommée la précédait. La tueuse, disait-on. La plus belle femme du monde. Je n'avais rien voulu croire de ce dernier point, après tous les efforts que j'avais fournis pour arriver à mon physique parfait il était impossible que quelqu'un me surpasse.

   Mais quand je m'étais retrouvée face à elle, j'avais bien été obligée d'admettre que cette fille était d'une beauté hors norme. Son corps, les traits de son visage, ses cheveux, ses yeux ! J'étais morte de jalousie : cette gamine était superbe, au naturel ! Était-ce pour cela qu'elle était au cœur des pensées de Kjell ? Parce que sa beauté n'était pas artificielle ? Cette pensée m'était intolérable, je ne pouvais pas l'accepter. J'avais fait tellement d'efforts !

   Je jetai le saladier au loin et celui-ci explosa contre un mur, répandant son contenu par terre.

   Non contente d'être plus belle que moi, elle n'avait montré aucune faiblesse, aucune difficulté à me battre. Elle était la seule Reine de toute l'histoire a avoir sous ses ordres deux Cavaliers. Quoi d'autres, encore ? Sans aucun doute était-elle intelligente, pleine d'esprit, spirituelle …

-   Que fais-tu dans le noir ?

   Je tournai doucement la tête vers mon interlocuteur.

-   Rien. Je … réfléchissais.

   Le ton de ma voix était mesuré, pour tenter de dissimuler la rage intérieure qui m'habitait.

-   Ton nouveau passe-temps ? Me demanda-t-il en désignant d'un signe de tête les débris du saladier.

-   Pas exactement.

   Il se dirigea vers les restes, s'accroupit et prit une poignée de friandises.

-   Puis-je connaître le fond de ta pensée ? S'enquit-il.

-   C'est à moi de te demander ça, Kjell.

   Je fixai l'ombre sous son chaperon, qui dissimulait continuellement son visage, là où devaient se trouver ses yeux. Il se releva puis marcha jusqu'à moi.

-   Je sais qu'il t'est difficile de rester sans rien faire, Barbie, mais nous n'avons pas le choix.

-   Je sais tout ça, sifflai-je.

-   Pourquoi restes-tu prostrée ainsi, dans ce cas ?

   Je me rappelai parfaitement de la dernière fois que j'avais abordé le sujet et de la réaction qu'il avait eue mais la question me démangeait trop pour ne pas la poser.

-   D'où connais-tu Tabatha Taylor ?

   Il resta silencieux un moment avant de soupirer.

-   Pourquoi tiens-tu tant à aborder les sujets qui fâchent, Barbara ? Tu ne te souviens donc pas ?

   Kjell posa une de ses mains autour de mon cou et fit mine de m'étrangler.

-   Tu sais bien que j'ai du mal à me … contrôler quand il est question d'elle. Alors je te repose la question, pourquoi continues-tu à me parler de Tabatha ?

-   Tu sais parfaitement pourquoi ! Il me semble avoir été assez claire !

   Je me rapprochai de lui.

-   Je t'aime, Kjell ! Je t'aime ! Je t'aime !

   Les larmes me montaient aux yeux.

-   Je supporte déjà mal le fait que tu m'ignores, alors me confiner dans l'ignorance, c'est me pousser à bout !

   Il restait parfaitement stoïque face à mes larmes. Un homme normal n'aurait pas pu, devant une aussi somptueuse et voluptueuse femme que moi.

-   Que voudrais-tu que je te dise ? Rien de ce que je pourrais te dire sur elle ne te rendrait heureuse, Barbie. Je n'ai pas envie de te blesser inutilement.

-   Tu l'aimes à ce point ? Soit. Mais elle ? Je ne suis pas sûre que ton amour soit réciproque, persiflai-je.

   Je perçus très légèrement que Kjell se raidissait – j'avais certainement touché un point sensible.

-   D'après ce que j'ai pu observer, la demoiselle te préfère ses Cavaliers. Tu l'aurais vu quand le blond s'est vidé de son sang sous ses yeux ! Elle est devenue comme folle !

-   Je suis parfaitement au courant des relations que Tabatha entretient avec ses Cavaliers. J'en suis la cause.

-   Que dis-tu ? Tu … Tu es à l'origine de son attachement … inhabituel pour ses partenaires ?

   Il acquiesça.

-   Le problème n'est pas là, entre elle et moi. Il est beaucoup plus … profond. Si l'autre ne me l'avait pas prise, elle serait à moi depuis longtemps.

-   Quel autre ? Je ne te suis plus.

-   Je l'ai vue le premier mais il me l'a piqué. Elle aurait dû être à moi ! Tu comprends ? A moi !

   Je ne comprenais plus rien. Quelle était cette autre personne dont il me parlait ? A l'écouter, j'avais l'impression qu'il me dépeignait un étrange triangle amoureux.

-   A moi, à moi, à moi, à moi …

-   C … calme-toi, Kjell …

   Je ne m'en étais pas immédiatement aperçue mais il commençait à trembler – une nouvelle crise débutait.

-   Il faut que tu prennes tes médicaments … Je vais aller chercher quelqu'un pour te les amener …

-   NE BOUGE PAS !!

   Il me prit par les épaules et me coucha sur le canapé. Il monta sur moi puis déchira le haut de ma robe avant de violemment arracher mon soutien gorge.

-   Ce n'est peut-être pas le moment … Tu as besoin de …

-   MAIS VAS-TU DONC TE TAIRE, A LA FIN ?!

   Il commença à m'embrasser rageusement tout en prenant ma poitrine entre ses mains – celles-ci étaient tellement petites que mes seins débordaient de toute part et à chaque fois, ce constat m'amusait.

-   Il ne faut pas … Pas dans ton état …, protestai-je malgré mon excitation qui montait.

   Pour toute réponse, il descendit le haut de ma robe jusqu'au milieu de mes cuisses. Ensuite, il détacha ma guêpière et me retira ma culotte.

-    Ton travail avance-t-il ? Lâcha-t-il enfin, alors que ma raison commençait à disparaître.

-   Tous les acteurs sont … sur la scène désormais, je vais … pouvoir réellement me mettre au travail …, balbutiai-je entre mes gémissements.

-   Bien.

   Et enfin, telle une récompense, il me pénétra, m'arrachant un cri de plaisir.

 

 

 

Euh ... Bon, ben voilà le chapitre 6. Certains lecteurs semblaient vouloir plus "d'action" sur un certain sujet alors même s'ils ne s'attendaient probablement pas à ce que ce soit avec ces personnages-ci, j'espère que cela sera à la hauteur de leur espérance ;) De mon côté, je ne vous cache pas qu'en écrivant la dernière partie de ce chapitre, j'étais particulièrement gênée ... Voir ce genre de scène dans un film ou en lire dans un livre ne me gêne absolument pas mais l'écrire soi-même ... Pour passer à autre chose et oublier ce moment gênant, j'espère pouvoir rapidement vous fournir le chapitre 7, que j'ai commencé ! See you soon :D

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24 juillet 2011 7 24 /07 /juillet /2011 22:27

   La lumière était éblouissante et je clignai des yeux. Je dus les plisser pour réussir à distinguer quelque chose, et ce que je vis eut pour effet de me clouer sur place.

   Jade, Lilian et moi nous trouvions sur une vaste scène, devant laquelle s'étalait un impressionnant amphi-théâtre, bondé de monde. Quand nous étions apparues, le silence dans la salle était devenu encore plus pesant, je devinais sans mal que chacun devait avoir les yeux braqués sur nous.

   Au milieu de la scène sur laquelle nous nous trouvions, une sorte de chaire avait été installée, de sorte que ce qui semblaient être les maîtres de cérémonie puissent clairement se faire entendre de leur auditoire. En réalité, j'aurais dû dire " maîtresses de cérémonie " car les quatre personnes présentes en plus de nous sur cette fichue scène étaient des femmes. J'eus d'ailleurs la plus grande surprise de reconnaître trois d'entre elles, en la personne d'Alice et des deux femmes de la Rook Guild que j'avais rencontrées à Miami – Stanislas et Killian me les avaient alors présentées comme étant les Deuxième et Troisième Conseillères, une femme noire et une autre asiatique. Je supposais donc que la dernière que je ne connaissais pas devait être la Première. D'ailleurs, si Alice et les deux dernières Conseillères me regardaient plutôt d'un air interloqué, celle-ci nous fixaient mes compagnes et moi d'un regard bien plus hargneux. Elle se mit ensuite à vociférer dans une langue que je ne comprenais pas, dans laquelle je pensais percevoir un accent italien, à notre encontre ainsi qu'à celles de ses collègues. Alice tentait tant bien que mal de la calmer mais la furie ne paraissait pas vouloir se calmer. Voyant que nous ne comprenions pas ce qu'elle nous racontait, elle tenta de traduire sa pensée en anglais :

-   Qui vous être ?

-   Morgan Jones, Lilian Stevens et Jade Takano, tâchai-je de lui répondre, le ventre noué en désignant mes amies.

   Mon interlocutrice eut une moue dédaigneuse :

-   Qui ? Vous parler plus fort !

   Je répétais un peu plus fort nos noms, en espérant qu'elle ne me demanderait pas une nouvelle fois de hausser le ton. Sous l'air ahuri de ses adjointes, elle ne parut toujours pas vouloir se souvenir de nous.

-   Les Trois Immortelles, précisai-je alors.

   Elle se tourna vers ses collègues et recommença à leur hurler dessus. Je vis nettement le visage d'Alice se retenir pour ne pas laisser exploser sa colère. Elle finit par couper la parole à l'italienne pour s'adresser directement à nous :

-   Que faîtes-vous ici, les filles ?

-   Le … Le Grand Chef nous a envoyées une invitation, l'informai-je. Mais personne ici ne semble être au courant !

   Les trois rooks se retournèrent comme une seule femme vers Alice quand j'eus fait mention du Grand Chef.

-   Le Grand Chef vous a … convié à cette réunion ? Murmura la rook d'origine africaine (je ne savais plus s'il s'agissait de la Deuxième ou de la Troisième Conseillère).

   J'acquiesçai d'un signe de tête, trop tendue pour pouvoir encore parler. Un brouhaha monta alors de l'amphithéâtre, tout le monde devant se demander qui étaient ces gens qui troublaient le bon fonctionnement de la réunion. A voix basse, les quatre femmes échangèrent quelques mots, ensuite, l'une d'elle donna des ordres à un employé caché au fond de la scène. Celui-ci s'empressa de nous ramener trois chaises, qu'il installa à l'endroit exact où nous nous trouvions.

" On ne va quand même pas nous planter là tout du long ? "

   C'est pourtant ce qu'il se passa. Une fois nos fesses posées sur les chaises, les quatre femmes reprirent le cour de la cérémonie sans plus se soucier de nous. Alice se leva et prit la parole, une fois de plus dans une langue étrangère, que je soupçonnais d'être du français puisque Alexandre m'avait expliquée qu'il s'agissait de la langue officielle. Elle désigna tour à tour les différentes parties de l'amphithéâtre mais j'étais trop loin pour distinguer quoi que ce soit et je ne comprenais rien à ce qu'il se racontait, j'aurais été incapable de dire quel groupe dépendait de la Knight ou de la Rook Guild. Les présentations finies, Alice déclina à son tour son identité – je distinguais " Alice Osborn " dans son discours – puis laissa à ses collègues le soin de faire de même. La femme italienne se leva donc à son tour, imitées ensuite par la rook à la peau sombre puis par celle d'origine asiatique. Dans le propos de deux dernières, je reconnus leur nom au moment où elles le prononçaient : Nuaha Traoré pour la femme noire et Mai Lan Nguyen pour l'autre. Quand cette dernière fut de nouveau assise, Alice reprit la tête de la cérémonie. Elle blablata pendant je ne sais combien de temps avant de monter le ton de sa voix puis montra d'un geste de la main les huit fauteuils installés à la gauche de la scène. Je n'y avais jusqu'à lors prêté aucune attention et je remarquais que dix huit autres étaient disposés à la droite. Je compris immédiatement la signification de ces sièges : ils étaient destinés aux meilleures équipes respectives des deux camps. J'étais impatiente de vérifier si mon pressentiment était bon et de pouvoir rencontrer les autres équipes – je n'avais jamais eu qu'affaire à celles de Tabatha et de Stanislas qui se trouvaient toutes les deux en bas de la hiérarchie. Je ne parvenais d'ailleurs pas à concevoir qu'ils existent des gens plus forts que Tabatha tant celle-ci me paraissait d'une puissance extraordinaire.

   Alice annonça les noms de deux membres de la première équipe, que je ne parvins pas à fixer.

" Ce sont les plus forts ... " réalisai-je. A quoi pouvaient ressembler ces deux monstres de puissance ?

   Un homme et une femme firent leur entrée sur la scène par la porte que nous avions précédemment empruntée les filles et moi. Les deux étaient beaucoup plus âgés que Tabatha et ses coéquipiers, contrairement à ce que je m'étais imaginée ils devaient avoir plus de quarante ans. Ils portaient chacun une combinaison entièrement noire qui ne laissait à découvert que le cou et la tête. L'homme avait des cheveux longs et ondulés qu'il avait attaché dans en une queue de cheval, à l'inverse de sa compagne qui les avait coupés très courts. Ils se ressemblaient dans les traits durs de leur visage ainsi que dans leur morphologie, bien qu'ils commencent à vieillir ils n'en présentaient aucun signe hormis les quelques mèches grises dans leur cheveux et quelques rides. Comme les adolescents de la quatrième équipe knight, ils avaient conservé un corps plutôt fin et musclé que l'on ne rencontrait que rarement chez des personnes de leur âge. Arrivés au niveau d'Alice, ils la saluèrent et elle fit de même, puis ils marchèrent jusqu'au bord de la scène pour se montrer à l'ensemble de l'assemblée. Ils se dirigèrent ensuite vers les sièges. Ma surprise fut grande cependant quand je constatais qu'ils ne prenaient pas place sur les deux premiers fauteuil mais sur les deux suivants. L'homme prit celui dont le dossier était le plus haut et la femme le plus bas, ce qui me permit de comprendre qu'il était le roi et elle, sa cavalière. C'était la première fois que je voyais une équipe pareille, toutes celles que j'avais rencontrées jusqu'à présent au sein de la Knight Guild étaient composées d'une reine et d'un cavalier, et non pas l'inverse. Mais pourquoi avoir délaissé la première paire de sièges ? N'étaient-ils pas la première équipe ? Alice ne parut pas surprise qu'ils se placent ainsi et intronisa l'équipe suivante, la troisième semblait-il.

   Ce fut un jeune homme qui nous rejoignit sur la scène, seul. L'expression hautaine de son visage me le rendit aussitôt antipathique, sa démarche tandis qu'il partait rejoindre Alice ainsi que sa répugnance évidente lorsqu'il dut la saluer comme étant sa supérieure renforcèrent mon sentiment. Comme il resta seul jusqu'à ce qu'il prenne sur le troisième fauteuil, j'en conclus qu'il s'agissait d'un Pion, comme April. J'estimais qu'il devait avoir à peine plus de vingt ans. En tout cas, je félicitais l'administration de la Knight Guild de ne pas avoir chargé ce personnage de notre sécurité, je ne supportais pas les airs supérieurs qu'il se donnait.

-   Tabatha Taylor, Alexandre Evans, Malcolm Lewis !

   Je me retournai vers le fond de la scène pour assister à l'entrée de la quatrième équipe. A l'image de leurs prédécesseurs, les trois coéquipiers avaient revêtu une combinaison noire mais hormis Tabatha, je ne leur avais jamais vu un air si sérieux. Le visage habituellement si moqueur d'Alexandre était totalement fermé, et je constatais la même chose chez Malcolm. Si je ne les avais pas connus, j'aurais probablement été pétrifié par la peur, sous l'aura écrasante qui se dégageait d'eux. On aurait pu croire qu'il s'agissait de la première équipe tellement ils étaient imposants.

   Contrairement à l'autre prétentieux, ils saluèrent Alice avec une déférence qui témoignait de la grande loyauté que j'avais pu observée chez Tabatha envers la Knight Guild. Quand ils s'approchèrent ensuite du bord de la scène, une clameur monta de la partie droite de l'amphithéâtre tandis que celle de gauche continuait de manifester le silence le plus complet. Je supposais que celle qui était à l'origine du bruit était composée de rooks, qui devaient admirer la première équipe de tous les temps à avoir deux cavaliers ainsi que Tabatha Taylor, un mythe à elle seule. Ils s'installèrent ensuite sur les fauteuils restants, délaissant également les deux premiers. Malcolm s'installa dans celui laissé vide par l'absence de partenaire pour le prétentieux. Je ne manquais d'ailleurs pas de remarquer le regard mauvais que jeta ce dernier à Tabatha lorsqu'elle passa devant lui pour s'asseoir. Il la fixait d'une façon vraiment malsaine alors qu'elle ne parut pas lui accorder le moindre regard. Je ne comprenais pas l'origine de cette haine alors qu'il était installé sur le siège au-dessus d'elle. Le fait qu'elle ait deux cavaliers ?

   Celle que je soupçonnais fort d'être la Première Conseillère de la Rook Guild se leva ensuite tandis qu'Alice se rasseyait. Elle commença également par un petit speech avant de commencer à annoncer les neuf premières équipes de la Rook Guild. J'étais pressée de constater si la première équipe allait elle aussi délaissé les deux premiers sièges. Peut-être s'agissait-il après tout d'une sorte de superstition qui voulait que personne ne soit nommée comme la première équipe ? Mais les deux hommes qui entrèrent, une fois présentés à l'amphithéâtre, prirent bien place sur les deux premiers sièges. Pourquoi les knights ne l'avaient-ils pas fait ? La première équipe knight était-elle absente ? Je me promettais intérieurement de trouver la solution au problème.

   La cérémonie se poursuivit, je pus ainsi voir l'élite des équipes rooks jusqu'à la neuvième, celle de Stanislas. Ce dernier, malgré l'atmosphère pesante et contrairement à ces congénères, n'avait pas réussi à se défaire de son sourire nonchalant, à l'image de Killian qui conservait lui aussi son air renfrogné. D'ailleurs, il me semble qu'ils se firent réprimander par les deux femmes de la huitième équipe quand ils s'installèrent sur leur fauteuils, même s'ils n'eurent pas l'air d'y accorder grande attention.

   Toutes les équipes présentées, les maîtresses de cérémonies prirent tour à tour la parole pendant environ deux heures. Tout le temps que dura la réunion me parut durer une éternité – je ne comprenais strictement rien à ce qu'il se racontait, j'avais mal aux fesses à passer autant de temps assise et toutes les équipes knights et rooks nous fixaient sans ciller, hormis celles, évidemment, de Tabatha et Stanislas alors que j'aurais souhaité un soutien de leur part.

   Heureusement, cette réunion prit fin après quelques derniers mots d'Alice. L'amphithéâtre se vida bruyamment, rendant ainsi compte du nombre de personnes qu'il avait accueilli, et les équipes de chaque camp quittèrent leur siège. Devançant tout le monde, la quatrième équipe knight se précipita vers nous et, sous le regard d'Alice, nous firent quitter la scène avant tout le monde. Bientôt rejoints par Stanislas et Killian, nous nous rendîmes dans une petite pièce semblable à celle dans laquelle on nous avait confiné avant la réunion. La Tour poussa un bruyant soupir de soulagement :

-   Ce que j'ai pu me faire chier, là-bas ! J'ai cru que ça ne finirait jamais !

   Malcolm et Alexandre compatirent, se plaignant eux aussi d'avoir trouvé le temps long.

-   Arrêtez de geindre, s'échauffa alors Tabatha. Il faut maintenant que l'on s'occupe d'assurer ce qui va suivre.

-   Hein ? S'étonna Killian. Elles vont aussi assister au banquet ? Moi qui croyait m'en servir comme prétexte pour me casser d'ici le plus tôt possible …

-   Positive un peu, l'encouragea le Cavalier blond. Au moins, on va pouvoir manger !

-   Tss … Ça va être loin d'être une partie de plaisir, rétorqua Tabatha. Il va falloir empêcher tous les chacals d'entrer en contact avec les " Trois Immortelles ".

   Stanislas opina du chef.

-   Comment comptes-tu procéder ? S'enquit-il, intéressé.

-   De une, on ne les laisse pas toutes les trois ensembles. Ça en ferait une proie trop facile. Il est préférable que chacun d'entre nous en prenne une en charge.

   Je commençais à appréhender l'évènement. Tout comme Killian, je croyais être sortie du pétrin une fois la réunion terminée et les termes employés pour parler du banquet ne m'inspiraient pas. Entre les " chacals " et les " proies " …

-    Malcolm, tu es dispensé, lui annonça sa Reine. Assiste au banquet si tu veux ou attends-nous quelque part à l'écart.

   Le concerné n'émit pas de protestation et cette décision ne parut pas surprendre Alexandre. Seul Killian voulut demander des explications mais Stanislas lui fit discrètement signe de se taire. J'aurais pourtant aimé savoir moi aussi, sans compter que j'avais un instant nourri l'espoir d'être confiée à la garde du Cavalier.

-   Killian, occupe-toi de Jade et toi Stanislas, de Morgan, poursuivit Tabatha. Alex, tu te chargeras de Lilian.

-   Et je peux savoir ce que tu fais, dans l'histoire ? Pourquoi tu ne t'en occupes pas, toi ? Protesta Killian.

-   Ne discute pas, siffla-t-elle. De toute manière, il est l'heure. Que fais-tu, Malcolm ? Enchaîna-t-elle ensuite sans se préoccuper des objections de la Tour.

-   Je ne vais pas descendre avec vous. Je vais rester tranquillement dans l'une de ces pièces.

-   Je te ramènerai à manger, vieux, lui assura son partenaire.

   Sans plus attendre, notre bande quitta la petite salle en abandonnant Malcolm.

-   Si ce n'est pas trop demander, j'aimerais quand même savoir à quoi m'attendre …, osai-je demander tandis que nous nous dirigions vers la salle du banquet.

-   A de la nourriture ! Insista Alexandre.

-   Arrête un peu …, pesta Tabatha. A quoi tu dois t'attendre ? Reprit-elle ensuite à mon intention. A ce que tout le monde vous regarde, tes copines et toi ! Les rooks vous prennent pour les Trois Immortelles, l'importance que vous revêtez à leurs yeux vous dépasse.

   J'aurais d'ailleurs aimé savoir ce qui poussait la Rook Guild à nous attribuer un tel rôle mais personne n'avait jamais abordé le sujet et quand j'avais voulu l'amener dans la conversation, tout le monde s'évertuait à en changer.

   Nous gagnâmes rapidement la pièce du banquet. En entrant, le silence se fit complet, seule la musique jouée par un orchestre continua de maintenir un semblant de vie. Rapidement toutefois, chacun des invités fit semblant de se désintéresser de nous et reprit sa discussion avec son voisin. Tabatha fut immédiatement abordée par un groupe d'individus et tandis qu'ils se rapprochaient de nous, elle fit signe à notre bande de se disperser.

Comme convenu, je me retrouvais avec Stanislas pendant que Lilian et Jade s'en allèrent avec leur partenaire respectif. Le Roi me proposa de profiter du banquet, nous nous servîmes donc chacun dans des assiettes avant de nous placer dans un coin sombre de la salle.

   Pendant que je grignotais, j'étudiais les invités. Certains se tenaient toujours pas deux, un homme et une femme, et portaient des vêtements d'époque – précisément des crinolines pour les femmes – : je les identifiais comme étant des aristocrates. D'autres étaient entièrement habillés en blanc et d'un âge plutôt avancé. Plusieurs étaient habillés en costumes mais leur grosse montre et autres bijoux en or les différenciaient des aristocrates, contrairement à ces derniers ils avaient un côté mafioso qui n'était pas pour me rassurer. Mais une partie ne portaient pas de signe caractéristique me permettant de les classer. Je demandais à Stanislas de me les présenter.

Hum … Comme tu l'as remarqué, les aristocrates sont bien là, accompagnés de leurs nounous.

-   Leurs nounous ? M'étonnai-je.

-   Oui, ceux qui sont habillés en blanc. Ce sont les membres du Conseil knight et ils sont, entre autre, chargés de gérer les aristocrates et leurs demandes. Ce n'est pas une tâche facile dans la mesure où ce sont ces mêmes aristocrates qui les élisent à leur poste.

   Il ricana tout en prenant une bouchée de son toast.

-   Que font-ils autrement ? Poursuivis-je.

-   Je ne suis pas un spécialiste mais il me semble que c'est bien eux qui se chargent de confier les missions aux premières équipes knights. Autrement, le Conseil travaille avec Alice dans la prise de décisions.

-   Quel est le rôle du Grand Chef si Alice et le Conseil prennent les décisions ? M'enquis-je.

-   Que ce soit pour la Knight Guild ou pour la Rook Guild, nos deux " grands chefs " ont tout pouvoir sur l'ensemble de leur camp. Pour la Knight Guild, Alice et le Conseil se chargent de gérer puis de faire des comptes-rendus et de proposer des solutions au Grand Chef qui ensuite décide ou pas d'écouter ses subalternes. Mais s'il veut rester populaire, le Grand Chef est obligé de brosser un minimum dans le sens du poil les différentes instances au-dessous de lui alors il n'est pas libre de faire tout ce qu'il lui plaît. Et c'est en ça que l'actuel Grand Chef est une légende vivante ! S'enthousiasma subitement Stanislas. Depuis son arrivée au pouvoir, beaucoup de projets qu'il a menés n'étaient pas approuvés par les membres du Conseil et les aristocrates et pourtant … Il n'y en a pas un qu'il n'aitpas pu mener à terme. C'est un véritable génie.

   C'était bien la première fois que je voyais Stanislas en admiration devant quelqu'un. Habituellement, j'avais l'impression qu'il se considérait comme une marche au-dessus du reste des mortels, ce qui ne faisait que rajouter du mystère autour de cet homme que je n'avais jamais rencontré mais que j'étais impatiente de mieux connaître.

-   Qui sont les autres invités ? Repris-je après quelques instants de réflexion.

-   Tu vois ce groupe, là-bas ? Me demanda le Roi.

   Il s'agissait des hommes à l'allure mafieuse ; j'acquiesçai.

-   Ils font partie de la Rook Guild et à eux dix, ils constituent l'ensemble des Responsables des Grandes Entreprises.

-   Ils ont l'air de mafieux, commentai-je.

-   Ce n'est pas étonnant, c'est ce qu'ils sont.

-   P … Pour de vrai ? M'inquiétai-je.

-   Oui. Une vraie bande de rapaces, s'ils t'approchent, je ne réponds plus de ta sécurité.

   Devant mon air paniqué, Stanislas rit.

-   Je grossis un peu le trait, plaisanta-t-il. En vérité, il ne te ferait rien car tu as beaucoup trop d'importance à leurs yeux mais … Je m'accorde le bénéfice du doute : ne les laisse pas t'approcher.

-   Compte sur moi. Je n'ai pas l'intention de frayer avec les requins.

   Le Roi éclata de rire et poursuivit sa rapide présentation des invités :

-   Là, il y a les membres de la Chambre des Continents de la Knight Guild. Pour faire simple, chacun d'eux est à la tête de la " succursale " knight sur un continent donné. Et pas loin d'eux, il y a leurs homologues de la Rook Guild.

-   Où se situent-ils dans la hiérarchie ? Me renseignai-je.

-   Juste en dessous de Alice et au même niveau que le Conseil, pour la Knight Guild. Chez nous, ils sont en-dessous des Trois Conseillères et au même niveau que les Responsables des Grandes Entreprises.

-   Les aristocrates sont en-dessous d'eux ?

-   Affirmatif. D'ailleurs, en parlant d'eux … Il y a des mystères.

   Je suivis le regard de Stanislas. Il était braqué sur Tabatha et le groupe qui s'était formé autour d'elle, majoritairement composé de rooks.

-   Quel est le problème ? Interrogeai-je mon partenaire.

-   Je pense qu'il y a beaucoup de squelettes dans le placard …

   Aussitôt, j'interprétais autrement l'étrange intensité de son regard.

-   Ne me dis pas que tu es en train d'épier leurs liens ? Chuchotai-je.

-   Bien sûr que si. Mais je ne te cache pas que tous ces gens me donnent du fil à retordre.

-   Arrête ça tout de suite ! Tu n'as pas à les espionner !

-   Tous les liens des knights s'emmêlent … Cela serait vraiment passionnant d'étudier tout ça de manière plus approfondie …

   Je poussais un profond soupir de désespoir.

-   Qu'est-ce que ces liens peuvent bien avoir de si intéressants ?

-   Tous les knights ont des liens bizarres avec Tabatha … Surtout les aristocrates. Et si tu regardes bien, tu verras que tous ces derniers sont en train de la regarder du coin de l'œil.

   Curieuse de voir si les élucubrations de Stanislas étaient vraies, je portai mon attention sur deux couples d'aristocrates qui discutaient. Au bout de plusieurs minutes d'observation, force m'était de constater que le Roi ne s'était pas trompé : chacun d'entre eux, de la façon la plus discrète possible mais à intervalle régulier, jetait un coup d'œil à la Reine.

-   Pourquoi lui portent-ils donc tant d'intérêt ? M'étonnai-je. Les autres membres des premières équipes sont pourtant là, eux aussi …

-   Je ne sais pas. Pas encore, s'empressa-t-il de préciser. Mais je te garantis que je finirai par le découvrir.

   Je ne pus m'empêcher de sourire devant la détermination de Stanislas.

-   Je croyais que tu étais entièrement consacré à savoir qui était le garçon avec lequel l'une des pom-pom girl couchait et que … Stanislas ?

   Subitement, il avait tourné la tête pour fixer une autre personne dans la foule.

-   Qu'est-ce qu'il se passe ?

   Il avait froncé les sourcils et quitté l'espace d'un instant son expression nonchalante habituelle.

-   Je te propose un marché, lâcha-t-il soudainement.

-   Lequel ?

-   Je te fais quitter cette salle de réception et te laisse tranquille jusqu'à la fin du banquet à condition que …

-   Que quoi ?

-   Que tu acceptes de rester tranquille cinq minutes, toute seule.

-   Ça ne va pas la tête ? Si je reste seule, tout le monde va venir me parler parce que je suis l'une des Trois Immortelles … Il est hors de question que je fasse la conversation ! Tu te rappelles de ce que tu m'as dit à propos des chacals mafieux et des autres ?

-   Tu tiens tant que ça à profiter du banquet ? Riposta-t-il avec sarcasme. En ma compagnie, en plus ? Je suis touché. Quand je pense que je t'ai proposé de partir et que tu préfères rester avec moi !

-   Ce n'est pas que je veuille rester avec toi, c'est juste qu'entre toi et les autres, je préfère être avec toi.

-   Je t'assure que tu ne resteras pas seule longtemps ! Deux minutes, à peine !

-   Pourquoi est-ce que tu tiens autant à ce que les vautours viennent me tourner autour ?

-   Têtue comme tu es, tu ne me laisses pas le choix, s'échauffa Stanislas. Je ferai ton bonheur même si tu ne le veux pas.

   Et sur ces belles paroles, il me laissa, se noyant au milieu de la foule. Je n'eus jamais autant envie de l'étriper ! Plusieurs personnes me regardèrent en constatant que mon garde du corps n'était plus là, entre autres des Responsables des Grandes Entreprises. Je fis mine d'avoir le nez plongé dans mon assiette en espérant qu'ils comprendraient le message " Je ne veux pas de vous " !

" Mon Dieu, mais dans quelle merde il me met ... " me plaignis-je intérieurement. " 

Dès qu'il revient, je l'étripe ! "
   

   Je jetai quelques coups d'œil rapides autour de moi, avec l'intention de fuir si l'un des invité faisait mine de m'approcher. Je ne me fis d'ailleurs pas prier pour mettre mes plans à exécution quand l'un des Responsables des Grandes Entreprises avança de plusieurs pas dans ma direction avec un sourire de circonstance qui me glaçait.

Je me dirigeai vers le banquet pour me resservir, suivie du regard me semblait-il par l'ensemble de la salle. Je m'étais rarement sentie aussi mal à l'aise même si ma gêne actuelle n'avait rien à avoir avec celle que j'avais éprouvée précédemment quand nous étions sur scène face à l'amphithéâtre.

   Pourquoi Stanislas avait-il tenu à me laisser seule ? J'aurais pourtant été persuadée que la simple prévision de ce que lui ferait endurer Tabatha lorsqu'elle apprendrait qu'il avait désobéi serait suffisante pour l'empêcher de faire une chose pareille. Qu'est-ce qui pouvait bien être assez passionnant pour que le Roi prenne le risque de transgresser les ordres de Tabatha ? Il était en train d'épier les liens des knights quand il avait été surpris par quelque chose …

   Je cherchai Alexandre ou Killian du regard pour aller les rejoindre quand quelqu'un m'interpella dans mon dos :

-   Vous êtes Morgan Jones ?

   Je me retournai vivement, surprise. Un mafieux venait-il de me mettre le grappin dessus ?

   Inquiétude inutile puisque c'était une femme qui m'avait apostrophée et qu'aucun de ces sombres individus n'en était une.

   Il s'agissait d'une aristocrate, vêtue d'une élégante et sobre robe bleue accordée à la couleur de ses yeux, qui contrastait avec sa chevelure d'ébène. Âgée d'une quarantaine d'années, elle était jusqu'à présent la seule aristocrate de la réception que je voyais seule.

-   Euh … Oui, finis-je par lui répondre après un bref silence.

   Dans un cadre plus normal, je lui aurais demandée son identité mais dans la situation présente, cela me paraissait mal venu. De son côté, elle resta parfaitement muette, me fixant de ses yeux clairs qui paraissait lire jusqu'au fond de mon âme. Son visage était totalement fermé, aucune expression n'y transparaissait.

-   Vous …

   Elle parut chercher ses mots, il était vrai que son fort accent m'indiquait que l'anglais n'était pas sa langue natale et qu'elle ne devait pas beaucoup le parler.

-   Vous êtes proche de Tabatha Taylor et de ses cavaliers ?

   Je ne savais pas quel genre de questions on me poserait si je devais parler avec l'un des invités mais je ne m'étais pas attendue à celle-ci.

-   Eh bien …

   Je ne savais pas quoi lui répondre. " Oui " ? Peut-être qu'elle n'oserait pas trop insister si elle se sentait menacée par la quatrième équipe. Si je voulais être parfaitement sincère, ma réponse était " non " toutefois.

-   Nous travaillons ensemble, c'est tout, lui répondis-je.

   Je ne pouvais pas me résoudre à lui mentir, j'avais la sensation qu'elle l'aurait su, avec ses yeux qui lisaient au fond des cœurs.

-   Pourquoi cette question ? Osai-je lui demander.

   Ses doigts serrèrent légèrement plus forts le pied de son verre de champagne, un signe presque imperceptible de la tension qu'elle dissimulait.

-   Je n'ai pas à vous répondre.

   Sa voix, comme le reste, ne laissait percevoir aucune émotion.

-   Je vous souhaite bon courage, pour les épreuves qui vous attendent.

   Et sur ces mots, elle tourna les talons et s'éloigna dans la foule d'une démarche élégante.

   Je restai pour ma part scotchée. Pourquoi cette femme m'avait-elle abordée, si ce n'était que pour me poser une question pareille ? Simplement pour frimer auprès de ses semblables ?

-   Tout ceci est tellement intéressant !

   Je me tournai vers Stanislas, revenu sans un bruit à mes côtés.

-   Je devrais te tuer pour le sale coup que tu m'as fait.

-   Tu ne le feras pas ? S'enquit-il avec un sourire complice.

-   C'est à cause de cette femme que tu m'as laissée seule ? Éludai-je.

   Il approuva d'un signe de tête. Il m'apparaissait en effet que la question qu'elle m'avait posée n'était peut-être que le sommet de l'iceberg. Que se cachait-il derrière le calme olympien de l'aristocrate ?

-   Elle a un gros squelette dans son placard, pas vrai ? Demandai-je au Roi, me souvenant de l'expression qu'il avait employé.

-   Cela me paraît évident. Et d'après ce que j'ai pu deviné, je dirai qu'elle fait " placard commun " avec …

   Du doigt, il me désigna Tabatha, toujours entourée de rooks.

     

    

   Comme promis, Stanislas me fit quitter la salle de réception.

-   Alors, heureuse ?

-   Le banquet me manquera, ironisai-je.

-   Seulement le banquet ?

   Nous nous regardâmes les yeux dans les yeux, tous les deux avec un sourire en coin.

-   Évidemment, me séparer de toi est une torture mais je préfère ne pas m'attarder sur le sujet, plaisantai-je.

   Stanislas rit devant la répartie que je lui opposais.

-   Je ne doute pas que je vais te manquer mais … si je peux me permettre, je ne suis certainement pas la personne que tu regrettes le plus.

   Je m'arrêtai au beau milieu du couloir.

-   Qu'est-ce que tu as dit ?

-   Rien du tout, m'affirma-t-il.

-   Je ne plaisante pas. Qu'est-ce que tu sais ?

   J'avais toujours voulu croire que Stanislas avait la décence de ne pas épier nos liens mais m'étais-je trompée ? Était-il au courant que j'aimais Malcolm ? Je me remis à marcher pour ne pas me faire distancer par le Roi.

-   Quelque chose qu'il vaudrait mieux que Tabatha ne sache jamais …, chuchota-t-il, énigmatique.

" Oh, merde. Il sait. "

   J'étais partagée entre l'envie de lui hurler dessus et celle de me prosterner à ses pieds en lui faisant jurer de ne jamais rien révéler à la Reine.

-   Tu n'avais pas le droit de m'espionner de la sorte, sifflai-je. Tu n'avais pas le droit.

   En plus de ma colère et de ma peur, j'étais en proie à la gêne. Mes sentiments m'embarrassaient beaucoup et je n'avais pas eu la moindre intention de les confier à quiconque, encore moins à Stanislas.

-   Je ne t'espionnais, protesta le Roi. C'est mon travail que d'étudier les liens autour de vous, pour assurer votre sécurité. Considère le fait que je sache comme un mal pour un bien.

-   Ne le répète jamais. A personne, lui ordonnai-je. Sinon, je t'assure que tu le regretteras jusqu'à la fin de tes jours.

-   Ne t'inquiète pas pour ça. Je crains bien plus la réaction de Tabatha si elle devait être au courant que la tienne.

-   Puisque tu sais ce qu'il risque de m'arriver si elle l'apprend, jure-moi de ne jamais lui dire.

-   Je ne jure jamais.

-   Moi non plus. Mais … Ne lui révèle jamais rien. A elle ou à quelqu'un d'autre.

-   Je te le répète, ne t'en fais pas pour ça. Et pour te prouver ma bonne foi, je vais même te faire un cadeau.

-   Quoi ?

   Il s'arrêta devant l'une des portes du couloir, l'ouvrit et me poussa sans ménagement dedans.

-   Ça ne va pas, dans ta tête ? Protestai-je.

-   Je reviendrai plus tard ! Passe un agréable moment !

-   Passe un bon moment toi-même, espèce de crétin !

   Il referma la porte, sans prendre la peine d'allumer la lumière. A tâtons, je cherchai l'interrupteur. Ce que je vis une fois l'ampoule allumée me figea sur place.

-   M … Malcolm ?

-   Je ne sais pas à quoi vous jouez avec Stanislas, mais vous pourriez laisser les gens faire leur sieste tranquillement.

   Le Cavalier s'étirait, confortablement installé dans son fauteuil.

-   Je … C'est pas … C'est Stanislas ! Et ne t'inquiète pas, je vais te laisser seul, je ne vais pas te déranger plus longtemps. Encore désolée pour t'avoir …

-   Non, reste.

   Il bailla et continua de s'étirer. Malcolm venait-il vraiment de manifester le désir que je reste ?

" Ne t'emballe pas " me raisonnai-je. " Il a dit ça juste pour être sympa. "

-   Tu peux t'asseoir, si tu veux, me pria-t-il en désignant le fauteuil à côté du sien.

-   Ah, euh … Oui, merci.

   Il eut un léger sourire tandis que je m'installais mais paraissait tranquille. De mon côté, j'avais le cœur qui battait à plus de cent à l'heure et c'était un véritable tour de force que de faire en sorte qu'il n'en paraisse rien.

Le silence était total. Ni lui ni moi ne disions rien ; Malcolm certainement parce qu'il n'avait rien à me dire, moi parce que je n'osais pas ouvrir la bouche.

-   Le buffet était bon ? Finit-il par me demander.

-   Je dois reconnaître que oui ! Alexandre doit être content.

-   Il vaudrait mieux, il va être insupportable sinon.

   Nous échangeâmes un sourire et le silence reprit sa place.

-   Comment ça se fait que Stanislas t'abandonne ici ? Reprit-il.

-   Je lui ai rendu un service alors en échange il m'a épargné le supplice de rester durant toute la durée de la fête.

-   Quel genre de service ? Se renseigna-t-il, manifestement intéressé.

-   Je suis tenue au secret professionnel, plaisantai-je, mais disons que je l'aide dans son étude anthropologique.

   Malcolm éclata de rire, j'en fus contente. C'était une petite victoire.

-   Pourquoi tu souris comme ça ? S'inquiéta le Cavalier.

   Ma joie devait être plus voyante que ce que j'escomptais.

-   Pour rien, éludai-je.

   Il leva un sourcil, peu convaincu.

-   Évite de me regarder avec ces yeux-la, alors, ça sera plus crédible.

-   Je … Je te regarde normalement.

   De nouveau, il sourit. J'étais affreusement gênée et ne pouvais m'empêcher de triturer mes doigts pour évacuer mon stress. Nous restâmes silencieux pendant quelques minutes, à la suite de quoi Malcolm crut bon de rompre le silence :

-   Cela fait longtemps qu'on ne s'était pas retrouvé seul, tous les deux.

" Ah ça … La dernière fois, c'était pour ... "

   La scène de mon premier baiser me revint avec la force d'un coup de poing. Terriblement troublée, je tâchais de noyer le poisson.

-   Ça doit dater du bal de promo, non ? Tu avais accepté d'être mon cavalier pour une danse afin de me prouver que tu étais bel et bien un " garçon ".

   J'espérais pouvoir reprendre le débat qui nous avait opposé une éternité auparavant, avant que nous ne partions pour Miami. Mais le Cavalier se mit à me fixer avec insistance, un peu étonné me semblait-il.

-   Le choc causé par ta chute du dôme avec le Pique a entraîné des pertes de mémoire ? Me questionna-t-il.

-   Pas que je sache. Pourquoi cette question ?

   Il retrouva son sourire et détourna son regard, pour le fixer droit devant lui.

-   Dans ce cas, tu fais exprès de ne pas te souvenir que tu m'as embrassé ?

   Mon cerveau cessa de fonctionner et je me retrouvais paralysée, le souffle court. Pourquoi prenait-il la peine de me rappeler ce fait alors que je m'étais persuadée que nous n'aborderions jamais le sujet ?

-   Tu n'as rien à dire ou tu ne t'en souvenais vraiment pas ?

-   C'est-à-dire que … Je ne pensais pas en parler un jour avec toi.

-   Pourquoi ça ?

-   Je ne voudrais pas que … Enfin … Je ne voudrais pas te mettre mal à l'aise. Ou instaurer de la gêne entre nous alors que tu es chargé d'assurer ma protection …

-   Tu aurais mieux fait d'y penser avant de m'embrasser plutôt que de me laisser ensuite avec toutes mes incertitudes sur les bras.

-   Tes incertitudes ?

-   Quand une fille m'embrasse, je préfère savoir pourquoi, m'expliqua-t-il. Toi, tu m'as embrassé et ensuite pfiout ! plus rien ! Je me posais des questions.

   Que lui dire ?

-   Je suis désolée, tentai-je.

-   Ce qui est fait est fait, objecta-t-il. Ce que j'aimerais savoir maintenant, c'est pourquoi tu m'as embrassé.

   Je fixais intensément mes pieds en espérant que la solution pour me sortir de ce mauvais pas m'apparaîtrait. La Voix ne me répondant pas, comme je lui avais expressément demandé, il n'y avait personne pour me dire ce qu'il convenait de faire.

-   Je me doutais que tu ne me dirais rien, finit par dire Malcolm. De mon côté, j'ai émis trois solutions. Tu veux que je te dise lesquelles ?

-   Je … Euh, oui.

-   Alors. Solution A : terrifiée à l'idée de mourir sans avoir embrassé un garçon aussi séduisant que moi, tu laisses parler tes pulsions et … m'embrasse.

-   Solution suivante ?

-   La B : comme dans les films, tu espérais que j'allais te faire du bouche à bouche pour t'apporter de l'oxygène. Comme tu avais épuisé tes réserves d'air, tu as pris les devants et … m'a embrassé.

   Je n'ajoutai rien, ne sachant pas quoi lui répondre.

-   Donc ? Poursuivit Malcolm.

-   Il n'y a pas d'autres solutions ? M'assurai-je.

-   Il y en aurait bien une autre … mais …

-   Mais quoi ?

-   Mais elle me paraît plus improbable et n'est, au fond, qu'une version alternative de la solution A.

-   Dis toujours, soupirai-je.

   Lui aussi se mit à regarder ses pieds, visiblement gêné – je n'aurais pourtant jamais cru voir un jour le Cavalier habituellement si sûr de lui dans cet état.

-   C'est un peu présomptueux …

-   Je suis habituée, venant de toi. Dis-moi, insistai-je, un semblant d'assurance retrouvé maintenant que c'était lui qui était mal à l'aise.

-   Puisque tu insistes …

   Il inspira un grand coup avant de lâcher la bombe :

-   La solution C : étant amoureuse de moi, avant de mourir tu as trouvé le courage nécessaire pour faire ce dont tu avais envie et … m'a embrassé.

   Je me tendis comme un arc, il avait visé juste ! Mais si j'attestais que la solution C était la bonne, cela revenait à lui avouer ma passion … ce que je n'avais jamais envisagé de faire dans un avenir proche.

-   Maintenant, c'est à toi de parler. Solution A, B ou C ?

   Il retrouvait son audace caractéristique et me mettait sans le moindre scrupule au pied du mur.

-   Eh bien …

" La Voix, si tu m'entends, oublie tout ce que j'ai pu te dire. Je veux que tu sois là. J'ai besoin de toi. J'ai vraiment besoin de toi. "

-   Comment te dire ?

-   Hum ?

-   Je, je, je, je …

   C'était comme si toutes mes fonctions cognitives encore opérationnelles venaient de me lâcher en même temps.

-   Accouche ! Tu vas me faire mourir de stress ! Me pressa Malcolm.

-   Je ne sais pas moi … Quelle solution te plairait le plus ?

-   Quoi ? Mais je ne te demande pas de me faire plaisir mais de me dire la vé-ri-té, que je puisse enfin passer à autre chose et arrêter de penser à ça dès que je te vois !

-   Quelle solution t'arrangerait le plus, alors ? Paniquai-je.

   Il s'affaissa dans son fauteuil puis plaqua ses mains sur ses yeux.

-   Je ne te demande pas la lune, bon sang !

" C'est le moment pour tout lui dire, Morgan. Tabatha n'est pas là et il a lui même envisagé la possibilité que je sois hypothétiquement amoureuse de lui … Je n'aurai plus jamais une pareille occasion ! "

   Mais je ne parvenais pas à cracher le morceau. Froussarde et impatiente de me tirer rapidement de ce mauvais pas, j'optais pour la solution de facilité :

-   Si tu veux tout savoir, la bonne réponse est la solution B ! Être mignon n'est pas suffisant pour que je laisse mes " pulsions " me contrôler ou pour que je sois folle de toi ! Je raisonne d'abord en terme pratique, moi !

-   C'est bizarre, la manière dont tu dis ça m'incite à penser que tu cherches surtout à passer à autre chose …

-   Tu tiens tant que ça aux solutions A et C ? Tu es sûr que ce n'est pas toi qui est amoureux de moi ? Débitai-je d'une seule traite. Tu aurais dû me le dire, tu sais, que tu avais une préférence pour ces deux solutions …

   Malcolm me regardait avec des yeux hallucinés tandis que je lui servais mon petit speech. Il n'avait pas dû prévoir un tel retournement de situation.

-   Et comme j'ai faim, tu m'excuses mais je vais retourner au banquet et te laisser faire ta sieste tranquillement.

   Je me levai de mon siège et me dirigeai vers la porte, pressée de quitter cette maudite pièce mais le Cavalier décida que cela ne pouvait pas être aussi simple.

-   Attends un peu ! M'intima-t-il en attrapant mon poignet. Tu ne m'as toujours pas dit si la solution B est vraiment la bonne et tu fuis !

-   Je ne fuis rien du tout ! Lui rétorquai-je en me dégageant. Tu n'as qu'à décider tout seul de la solution qui explique ce regrettable baiser et faire comme moi : passer à autre chose et oublier.

   Et d'un pas décidé, j'allais jusqu'à la porte puis sortis de la pièce, avant de regagner la salle du banquet, pleinement consciente que je venais d'avoir un comportement aussi puéril qu'inadapté et de laisser passer la seule occasion de révéler à Malcolm les sentiments que j'entretenais à son égard.

      Mais heureusement, on dit qu'il existe un dieu pour les simples d'esprit.

   

   Mes gardes du corps me redéposèrent chez moi aux alentours de vingt deux heures, à l'horloge du Colorado. Charity, qui avait joué mon rôle pendant la soirée, fut contente de voir sa mission se terminer et me félicita sur mes goûts musicaux – elle avait dû écouter ma musique pour s'occuper. J'avais tâché de ne pas croiser le regard de Malcolm pendant le trajet en voiture et cela s'était révélé épuisant, j'étais aussi contente que Charity de regagner ma chambre.

   Je me dépêchai de me changer et de revêtir un vieux tee-shirt pour la nuit et d'attacher mes cheveux en un chignon approximatif pour éviter qu'ils ne me gênent. Je me jetai ensuite sur mon lit pour souffler un bon coup.

" Plus jamais ça " me jurai-je. " Tu n'acceptes plus jamais d'invitation aussi foireuse. "

" Finalement tu n'as pas eu besoin de la batte de baseball " intervint la Voix. " C'est plutôt une bonne nouvelle, connaissant ton don pour t'attirer des ennuis. "

" Toi, je te retiens ! Où étais-tu passée quand j'avais besoin de toi ? "

" Tu m'avais bien précisé de ne pas intervenir, je n'ai fait que suivre tes ordres, maîtresse. "

" De une, je ne suis pas en état de supporter ton ironie grinçante. De deux, je suis revenue sur ce que j'avais dit, finalement ! "

" Mais tu t'en es magnifiquement bien sortie ! Bon, d'accord, Malcolm ne te verra plus jamais de la même manière mais bon ... "

" Qu'est-ce que j'ai dit à propos de l'usage de l'ironie ce soir ? Tu n'en as pas besoin pour que je sache à quel point j'ai été ridicule. "

Oui, j'avais été ridicule. Mais en même temps, je n'étais déjà pas assez mature pour assumer mes sentiments au quotidien alors les avouer à Malcolm était au-dessus de mes forces.

" Je suppose que tu as raison, il est mon ''rêve complètement fou, mon désir inavouable''. "

"J'ai toujours raison, que je sache. Mais maintenant que tu as réduit tes chances de conclure à néant, tu vas pouvoir passer à autre chose. Par exemple, tu ..."  

   Sur ma table de chevet, mon portable vibra – quelqu'un m'appelait.

" La barbe. Je ne réponds pas. Si c'est important, on laissera un message sur mon répondeur. "

   Mais mon portable se remit à vibrer. Celui qui m'appelait insistait. Décidée à ne pas donner signe de vie, je ne répondis pas cette fois encore. Cela ne découragea pas l'importun qui cherchait à me joindre, qui me rappela une troisième fois. Excédée, je me saisissais de mon portable et me mis debout.

-   Allô ?

   Mon ton était on ne peut plus hargneux, avec un peu de chance cela inciterait le gêneur à raccrocher. Mon " allô " resta cependant sans réponse.

-   Allô ? Insistai-je, ne tenant pas tout de même à mettre lever pour moi.

   Je me mis à faire les cent pas dans ma chambre, jusqu'à ma fenêtre où je laissais ma tête lourdement tomber contre la vitre.

-   Je vais raccrocher, prévins-je.

-   Cela serait dommage alors que tu daignes enfin décrocher.

   J'écarquillai en grand mes yeux.

-   M … Malcolm ?

-   Lui-même.

-   Pourquoi est-ce que tu … m'appelles ?

-   Tabatha vient de nous donner quartier libre alors je l'utilise à bon escient.

-   C'est-à-dire ?

-   Je veux te parler. Tu peux descendre ?

-   Mais attends, tu es où ?

-   Dans ta rue, en voiture. A propos : jolie coiffure.

   Je décollai mon front de la vitre en panique et souleva un pan de rideau pour espionner discrètement ma rue. Je remarquai rapidement la voiture de Malcolm : l'unique passager du véhicule me faisait coucou.

-   Tu veux que je descende … maintenant ?

-   Je n'ai pas l'intention d'attendre une nuit en voiture pour tes beaux yeux, tu sais.

-   Donne-moi …

   Je jetai un coup d'œil à mon réveil.

-   Deux minutes.

-   Les secondes me paraîtront longues ! Plaisanta-t-il.

   Je rabattis le rideau et retirai en quatrième vitesse mon vieux tee-shirt pour le remplacer par les vêtements que j'avais portés durant la journée – pas le temps de faire plus sophistiqué. Je détachai mes cheveux que je laissai flottés sur mes épaules puis descendis aussi silencieusement que possible l'escalier. Mes parents étaient devant la télé et ne semblaient pas m'avoir entendu, j'enfilai mes chaussures avant de filer au garage et ainsi de sortir par la porte de derrière. Je contournai la maison, sautai par dessus le portail et cherchai du regard la voiture du Cavalier.

   Avant que je ne me mette à courir dans sa direction, je pris conscience de mon cœur qui battait à un rythme effréné et réalisai que Malcolm n'était pas là pour discuter du buffet de la réception. Dans la mesure où je ne me sentais ni le courage ni l'envie de poursuivre notre discussion de tout à l'heure, était-il raisonnable que je me jette dans la gueule du loup ? Il paraissait plus prudent de regagner mon chez-moi et ma chambre, en le plantant là. Il finirait bien par retourner chez lui.

 " Qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je fais ... ?"

" Un conseil : arrête de réfléchir trente secondes. Déconnecte-toi, mets toi en veille ... " 

 

" Je ne suis pas un robot ! "

" Dans ce cas, arrête de me demander des instructions et fais un peu par toi-même, grosse courge !"   

   Prenant mon courage à deux mains, j'avançais jusqu'à la voiture, en ouvris la portière et pris place dans l'habitacle. Malcolm avait encore son portable en main mais ne m'adressa pas un seul regard. N'osant pas briser le silence, je ne dis rien.

   Je ne sus pas combien de temps nous restâmes ainsi, assis dans nos sièges sans nous regarder ou nous parler. Pourquoi m'avoir fait venir si c'était pour être aussi bavard qu'un légume ? Si j'étais une courge, nous nous étions bien trouvés. Sans compter que si je restais trop longtemps dehors, mes parents finiraient pas refermer la porte du garage et je me retrouverai enfermée à l'extérieur.

-   Il va falloir que j'y aille …, finis-je par chuchoter.

   Malcolm tourna enfin la tête pour me regarder. Allait-il se décider à me dire pourquoi il m'avait fait descendre ? A l'évidence, non, il demeura muet comme une carpe. Énervée sur les bords, et un peu déçue, je poussai un soupir et ouvris la portière.

-   Non, reste.

   Comme la dernière fois, le Cavalier attrapa mon poignet. Sa voix était calme, mesurée. Je me rassis.

-   Si c'est pour que l'on continue à se regarder en chiens de faïence, je préfère autant rentrer chez moi, lui indiquai-je en espérant que cela délierait sa langue.

-   C'est que … J'étais très motivé sur le chemin et maintenant que tu es là, je ne sais plus quoi te dire.

   Il soupira et se passa la main dans les cheveux. Étaient-ce des signes de nervosité ? Le fougueux Malcolm Lewis se retrouvait-il de nouveau mal à l'aise ? Il était toujours si sûr de lui … J'avais presque l'impression d'avoir affaire à une autre personne.

" Enfin, c'est surtout que je ne le connais pas très bien. "

   J'aurais été incapable de dire ce qui m'attirait chez lui, hormis son physique. Il y avait un je-ne-sais-quoi qui me pourrait irrésistiblement vers lui sans que je sache de quoi il s'agissait. Si on me demandait de brosser sa personnalité, tout ce que j'aurais pu dire se bornait à : vantard, sûr de lui, dévoué à Tabatha. Je ne savais rien d'autre et ce constat me navra. Sans compter la Reine à qui j'avais moi même juré de ne pas m'attacher à son Cavalier. Qu'est-ce que j'espérais, au juste ? Une relation cachée, interdite et lourde de conséquences, pour lui comme pour moi ? J'avais eu l'occasion de voir Tabatha en colère et je ne tenais absolument pas à être l'objet de sa fureur.

-   J'ai repensé à ce que tu m'as demandé …, murmura Malcolm.

-   A quel sujet ?

-   Quand tu m'as dit quelle solution me plaisait le plus. Après, tu as dit celle qui " m'arrangeait " le plus mais au début, tu as bien dit " me plaisait ".

-   … Et ? Où est-ce que tu veux en venir ?

   Il eut un sourire, un peu gêné me semblait-il.

-   Je n'ai pas l'habitude que l'on me demande ce qui me plaît. En règle générale, je n'ai qu'à suivre ce que l'on me dit de faire, sans me poser de question. C'est inutile et même dangereux dans mon … travail, de trop s'en poser.

   Il marqua une courte pause avant de reprendre :

-   Et c'est vrai que même quand je me suis fait des nœuds au cerveau pour comprendre pourquoi tu m'avais embrassé, je n'ai pas réfléchi à la solution qui me plairait le plus. Celle qui m'arrange, elle est évidente.

-   Dans ce cas, plus besoin de te compliquer la vie. C'est cette solution qui t'arrange le plus qui est la bonne.

-   Cependant, il y a un problème.

-   Lequel ? M'étonnai-je.

-   En creusant le sujet, je me retrouve face à un dilemme.

-   Je ne te suis pas, lui avouai-je.

-   Je me suis … aperçu que la solution qui m'arrangeait le plus et celle qui me plaisait le plus n'étaient pas forcément la même.

-   Quoi ?

   J'étais abasourdie. Je sentais de nouveau mes esprits me quitter.

-   Il m'est beaucoup plus facile à gérer de penser que la solution B est la bonne.

   Je tâchai de me souvenir de l'ordre des solutions. A : je l'embrasse pour ne pas mourir sans avoir embrasser un garçon aussi mignon. B : je pratique le bouche-à-bouche pour recharger mes ressources en oxygène. C (la bonne) : amoureuse de lui, je prends mon courage à deux mains pour l'embrasser avant de mourir.

-   Je te l'ai dit, ne t'embarrasse pas : la B est LA solution, répétai-je.

-   Mais ça serait mentir que de cacher que la solution A me plaît beaucoup.

   Nous nous regardâmes les yeux dans les yeux. Je ne parvenais pas à en croire mes oreilles. La solution A ? Il aimait penser que je l'avais embrassé parce que je le trouvais mignon ? C'était plutôt agréable de me dire qu'il pensait ça.

-   Mais …

   Il se rapprocha de moi. Beaucoup. Trop ? Je ne pouvais plus respirer. Je n'avais jamais pu le regarder d'aussi près.

-   La solution C est … vraiment très plaisante. Probablement à cause du danger qu'elle induit.

   Il essaya de m'embrasser mais je le repoussais, paniquée.

-   Tu te rends compte de ce que tu me racontes ? Tu es bien conscient que … enfin, que Tabatha est … ou plutôt n'est pas …

-   S'il te plaît, ne parle pas de Tabatha. Pas maintenant.

   Et, en être faible que j'étais, je le laissai m'embrasser.

   Ceci marqua les débuts de ma secrète, passionnée et dangereuse liaison avec Malcolm Lewis.

 

 

 

 

 Voilà le chapitre 5 !  J'aurai mis une éternité à l

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24 juillet 2011 7 24 /07 /juillet /2011 22:03

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-    Qu'avez-vous déjà rêver de faire de complètement fou ?

   Je cessai de lasser mes bottes dont les lacets s'étaient encore défaits pour jeter un regard interrogateur à Tina, l'une de mes compagnes de table pour ce midi.

-   Quoi ?

-   Qu'avez-vous déjà rêver de faire de complètement fou ? Répéta-t-elle en constatant qu'aucune des filles de la table n'avait compris.

-   C'est à dire ? Insista Jenny, une autre de mes nouvelles copines de classe.

-   Je ne sais pas moi ! S'emporta Tina. Il n'y a jamais eu quelque chose que vous avez eu envie de faire mais que vous n'avez pas pu faire ? Que ce soit parce que vous n'étiez pas seules ou bien parce que ça ne se fait pas …

-   Tu veux bien nous donner le tien, de rêve complètement fou ? Lui demandai-je pour avoir un exemple.

-   Eh bien … Quand vous êtes dans la salle de cinéma, dans les places les plus hautes, vous n'avez jamais été amenées à regarder le reste des sièges qui s'étalent en dessous de vous ?

   Tout le monde acquiesça, en se demandant où Tina voulait en venir. Elle était plutôt connue pour avoir quelques idées un peu loufoques, bien que cela soit ça qui la rende terriblement sympathique.

-   Moi, cela m'arrive souvent, reprit-elle, et à chaque fois je suis prise de la même envie soudaine et incontrôlable !

-   Laquelle ? Voulut savoir Jenny.

-   Celle de sauter en hurlant aussi loin que je peux parmi les sièges !

   J'explosai de rire, imitée par toutes les autres filles attablées avec nous.

-   J'aimerais que tu m'expliques comment tu peux avoir des envies pareilles ! Finis-je par articuler entre deux éclats de rire.

-   Ça vous ne l'a jamais fait ? S'étonna Tina.

-   Jamais ! Lui répondit-on en chœur.

   Ma camarade leva les yeux au ciel pour manifester son incompréhension puis attendit que nous nous calmâmes. En voyant que cela n'arrivait pas cependant, elle croisa les bras puis nous demanda à notre tour notre rêve le plus fou. Certaines d'entre nous cessèrent de rire pour trouver en quelle occasion elles avaient pu avoir ce genre d'idées saugrenues.

-   Il y a bien quelques garçons sur lesquels je me serais bien jetée dessus sauvagement en pleine rue tellement ils étaient sexy …, proposa Beauty, dont plusieurs filles semblaient partager l'avis. Sans passer à l'acte malheureusement !

-   Ce n'est pas un rêve complètement fou, la reprit Tina. C'est quelque chose de parfaitement normal, voyons.

   De nouveau, des rires fusèrent. Dans le même temps, quelques langues se délièrent ; Jenny nous apprit ainsi qu'elle avait toujours mourut d'envie de se jeter dans une fontaine pour s'y agiter comme une folle. Tour à tour, chacune des filles finit par confier son " rêve complètement fou ". A plusieurs reprises, il y eut des éclats de rire. J'étais moi-même en train de rigoler comme une hyène quand mon tour arriva.

-   Et toi, Morgan ? Quel est ton rêve le plus fou ?

   A la surprise générale, je dus avouer que je n'en avais pas.

-   Quoi ? Ce n'est pas possible ! Protesta Tina.

-   Et pourtant si.

   Je n'y avais même jamais réfléchi, à dire vrai.

-   Tu n'as jamais eu envie de faire un truc de totalement interdit ? Insista Jenny.

-   Non, lui répondis-je simplement.

 " Menteuse ! " s'écria alors soudainement la voix.

" Menteuse, rien du tout ! " lui rétorquai-je tandis qu'une autre fille était interrogée, me permettant de me lancer dans une discussion silencieuse.

"  Pourtant, s'il y a bien une personne qui voudrait faire par-dessus tout quelque chose d'interdit, c'est toi ! TOI !  "

" C'est du délire ! Pourquoi moi ? "

" Il me semblait que Malcolm Lewis et tes fantasmes de jeune fille pure et innocente étaient prohibés par une certaine Tabatha Taylor !  "

   Ah. Ça.

"  Oui, ça. Ce n'est pas interdit ?  "

" Je ne tiens pas aborder le sujet avec toi. "

"  Ne te braque pas ! Reconnais juste que Malcolm est ton rêve complètement fou ! Ton désir inavouable ! "

   Heureusement pour moi, je fus tirée de la pente glissante vers laquelle m'entraînait la voix par mes amies, qui avaient décidé pendant mon absence mentale qu'il était temps de quitter le self.

"  On reprendra cette conversation plus tard " m'avertit la voix tandis que je débarrassais mon plateau.

" Certainement pas. "

"  Si je te laisse te débrouiller seule, il ne se passera jamais rien !  "

" Qui t'a dit que j'espérais quelque chose ? "

"  Autant te le dire tout de suite : le concept d'aimer au loin en espérant que le mâle fasse le premier pas est complètement has been de nos jours. Et dans ton cas, franchement peu probable.  " 

" Je ne te l'ai jamais dit ? Je suis vieux jeu et j'adore me faire souffrir inutilement. "

 

 

   Mon dernier cours de la journée arriva rapidement. Mes amies me proposèrent d'aller me balader en ville avec elles, profitant qu'exceptionnellement Jenny n'ait pas à se rendre à son petit boulot mais je déclinais l'invitation, prétextant une dissertation à terminer. En réalité, j'étais juste atrocement fatiguée, chose peu commune en début d'après-midi. Je n'avais qu'une envie : aller me coucher.

   Quand elles furent parties, j'attendis que Killian arrive – il était chargé de s'occuper de moi jusqu'à ce soir. Je baillai plus d'une fois pendant ce temps, le maudissant un peu plus à chaque minute qui s'écoulait. J'aurais pu me faire enlever des centaines de fois par l'Ace Guild si elle avait été en activité.

   Quand il finit par montrer le bout de son nez, j'étais sur le point de m'endormir debout, ce qui se serait révélé un poil gênant et inconfortable. Je lui fis délicatement remarquer qu'il aurait pu bouger ses fesses plus rapidement mais il prit ma remarque par-dessus la jambe et me proposa juste de me ramener en moto, ce que j'acceptais avec plaisir.

   Killian me déposa ensuite juste devant mon portail. Je retirai le casque qu'il m'avait prêtée pour éviter que je ne me fracture la tête sur le goudron en cas d'accident puis le lui rendis.

-   Tu veux attendre la relève à la maison ? Lui suggérai-je.

-   Non, merci. Je dois partir tout de suite, c'est quelqu'un d'autre qui va s'occuper de toi ce soir.

-   Pourquoi ?

-   A cause de la réunion de demain. Stanislas veut revoir certains points avec moi avant.

-   A quelle heure passez-vous me chercher, déjà ?

-   Aux alentours de dix sept heures trente.

-  On va changer de continent ? Lui demandai-je en réalisant le changement de fuseau horaire puisque la réunion avait lieu à onze heures. Ça va devenir une habitude !

-   Ça l'est pour moi, répondit Killian, faussement blasé.

   Il y avait une foule de questions que je mourrais d'envie de lui poser, sans oser le faire. Que ce soit l'équipe knight ou l'équipe rook, aucune n'avait laissé passer la moindre information au sujet de la réunion de demain, ce qui n'était pas sans m'inquiéter. Ces derniers jours, je les avais souvent vu au téléphone et ils ne parlaient pas toujours en anglais à leurs interlocuteurs, sans compter qu'ils baissaient d'un ton dès que Lilian, Jade ou moi étions dans le secteur. C'était non seulement inquiétant mais aussi frustrant et énervant.

-   Je vais te laisser dans ce cas, me contentai-je de lui dire. Je ne voudrais pas te retenir plus longtemps.

-   C'est ça. A demain matin alors !

   Je gagnai mon chez moi et à peine arrivée, je me précipitai à la cuisine où j'ouvris un paquet de gâteaux que je montais dans ma chambre. Là, je me jetai sur mon lit puis plaçai les écouteurs de mon mp3 dans mes oreilles avec l'intention de me couper du monde. Je n'y parvins que quelques secondes, ce délais passé mes pensées revinrent sur l'invitation de mon " obligé ".

   De une, qui était-il ? Alexandre, qui m'avait remis la lettre, n'avait pas voulu me donner son nom pour respecter le désir de ce mystérieux expéditeur. C'était bien l'une des rares fois où je le voyais obéir à un ordre qui n'émanait pas de Tabatha.

   De deux, pourquoi ma présence à cette réception pouvait-elle m'être " bénéfique " ? Une réception dont personne ne voulait me parler, en plus.

   Je ne savais vraiment pas quoi en penser. Être ou ne pas être, disait Shakespeare. S'y rendre ou ne pas s'y rendre, pensais-je. Mettre les pieds à une réunion dont je ne connaissais pas les enjeux n'était pas pour me plaire, je détestais ne pas savoir à quelle sauce j'allais être manger. Avoir affaire aux knights et aux rooks séparément était déjà difficilement gérable pour moi, alors aux deux simultanément ! Mais quelqu'un prenait la peine de m'écrire, quelqu'un d'important, je le devinais. Ce simple fait méritait que je porte mon attention à cette réception. A moins qu'il soit simplement mal intentionné. Mais dans ce cas, la quatrième équipe knight ne m'aurait certainement pas remis l'invitation.

   Je me relevai sur mes coudes et jetai un coup d'œil au réveil posé sur ma table de nuit : il était encore tôt dans l'après-midi. J'allais donc m'atteler à mes devoirs et une fois la chose faîte, il me resterait largement le temps de méditer sur cette fichue réunion.

  

  

   Le lendemain, peu après dix sept heures, je décidais qu'il était temps que je finisse de me préparer. Je me brossai les dents, redonnai un coup de brosse à mes cheveux et vérifiai le contenu de la pochette en bandoulière que j'emmenais avec moi. Mon portable, ma carte d'identité, mon passeport (subtilisé discrètement à ma mère), un boîte de paracétamol pour parer aux éventuels migraines ou maux de ventre qui pouvaient survenir ainsi qu'une autre contenant les cachets que me prescrivaient Maximilien contre l'emprise de la voix (j'allais me retrouver dans un endroit avec plein de knights, ce n'était pas le moment d'aller exploser le nez de l'un d'entre eux). J'avais également pris un petit bouquin de poche au cas où il faille tuer le temps – une option envisageable. J'avais envisagé de m'acheter un manuel avec les bases de l'auto-défense mais j'avais fini par juger ça inutile, la réception devant avoir lieu avec des "hauts dignitaires" d'après les dires de mon "obligé " et non pas des racailles comme lors des fêtes de la Rook Guild. Par contre, je m'étais faite toute une liste de mots utiles dans différentes langues en utilisant des traducteurs sur Internet : tout le monde ne comprendrait pas l'anglais et je me voyais mal mimer "J'ai envie d'aller aux toilettes, pouvez-vous me les indiquer s'il vous plaît ?". J'estimais avoir été pragmatique et emporter avec moi tout ce qui pouvait se révéler utile. Je n'avais pas oublié de mettre ma montre, que j'avais réglé avec une différence horaire de huit heures pour savoir quelle heure il serait quand je serai à la réunion. Mon portable quant à lui m'indiquerait l'heure à Denver.

"C'est bon, je n'ai rien oublié."

" Une batte de base-ball ? "

"Pff ... De toute manière, ça ne rentrerait pas dans mon sac."

" Pour la fête de la Rook Guild, tu l'avais regretté alors je préfère te le rappeler. "

"Pourquoi viens-tu systématiquement me pourrir la vie quand je commence enfin à me calmer ?"

" Parce qu'avec des boîtes de médoc et quelques papiers, tu te sens rassurée ? Je sais que tu n'es pas du genre à paniquer mais bon ... Il y a des limites à la naïveté  !"

"Franchement, tais-toi. Ne te manifeste que s'il doit m'arriver quelque chose qui en vaille la peine."

   Comme la voix ne me répondit rien, j'en conclus que par un hasard miraculeux elle m'obéissait. Mon portable sonna à ce moment-là le temps des deux premières notes de la sonnerie. C'était le signal, je devais donc me dépêcher d'enfiler mes chaussures et de sortir dehors.

   Je quittai la maison en faisant le moins de bruit possible, pour ne pas attirer l'attention de mes parents. Le 4x4 habituel de Stanislas et Killian était garé un peu plus haut dans ma rue, je trottinai jusque là et montai à bord.

-   Salut les gars ! Lançai-je d'abord à l'intention de deux rooks, installés à l'avant.

   J'allais saluer Jade et Lilian quand je remarquai

Charity, la blonde pulpeuse que j'avais rencontrée à plusieurs reprises. Elle m'adressa un signe de la main amicale mais ne me laissa pas le temps d'en faire de même, elle copia mon apparence et quitta aussitôt la voiture.

   Je fus rassurée de voir que mes amies n'avaient pas changé de style vestimentaire pour la réception, j'avais moi même jugé qu'il n'était pas nécessaire de sortir le costard de ma penderie pour l'occasion. Je préférais être la seule habillée avec mes vêtements de tous les jours plutôt que d'être la seule en tenue de soirée. De toute manière, ni mon " obligé " ni un autre doué ne m'avaient demandé de faire un effort vestimentaire.

-   Où sont les knights ?

-   Ils doivent nous rejoindre directement sur le lieu de la réunion, ils ont des choses à faire avant, me renseigna Killian.

   Je ne manquai pas de remarquer le regard inquiet de son roi dans le rétro-viseur tandis que nous commencions à nous éloigner de chez moi .

-   Il y a un problème, Stanislas ? M'enquis-je.

-   Disons que je ne suis pas très au courant de ce que nous sommes censés faire de vous trois, une fois arrivés.

   Mes inquiétudes ressurgirent du trou mental dans lequel je les avais confiné. Les regards que j'échangeais avec Lilian et Jade me confirmèrent qu'elles n'étaient pas plus rassurées que moi.

-   Les knights ont encore tout fait en solo ! Grogna Killian en s'affaissant dans son siège. Ce qu'ils peuvent être chiants !

-   Je ne suis pas certain que Tabatha ou l'un de ses cavaliers soient plus informés que nous sur la situation, objecta Stanislas.

-   Il manquerait plus que ça ! S'écria Killian. Les invitations pour les filles viennent tout de même de leur propre camp !

   Le roi garda le silence et sa tour se tourna vers nous, à l'arrière.

-   Dîtes, l'un des trois guignols ne vous a pas dit de qui venait les invitations ? Ils n'ont rien voulu nous dire !

-   Moi, Tabatha ne m'a rien dit …, répondit Lilian en se tournant vers Jade et moi.

   Mais toutes les deux, nous indiquâmes d'un signe de tête que nous étions dans le même cas.

-   Malcolm m'a dit que s'il me donnait le nom de l'expéditeur de la lettre, il ne me dirait rien et que nous n'étions pas censées … assister à cette réunion, ajouta Jade.

-   Ça veut dire qu'il vous a ajouter sur la liste des invités, en déduisit Killian. Qui peut faire un truc pareil ? Demanda-t-il ensuite à Stanislas.

   Ce dernier n'ouvrit pas la bouche, il paraissait réfléchir.

-   Il faut être sacrément bien placé, en tout cas, poursuivit la tour devant le silence de son partenaire. Il doit falloir faire partie du comité d'organisation, alors …

   Je sentis mes sourcils se froncer. Que l'équipe rook ne soit pas au courant et que l'équipe knight fasse des cachoteries ne me plaisaient pas. Mais alors pas du tout.

 

 

   Après avoir emprunté une Porte située peu après les limites de Denver, nous arrivâmes en plein cœur d'une grande ville. Stanislas gagna un parking sous-terrain où il gara notre véhicule. Je repérais Malcolm et Alexandre, adossés à leur voiture dans laquelle Tabatha se trouvait toujours, et qu'elle ne quitta qu'une fois notre moteur éteint.

-   C'est quoi le plan ? S'informa Killian à peine un pied en dehors du 4x4. Parce que maintenant qu'on y est, on aimerait bien savoir quoi faire !

   J'entendis un " Tss " émanant de Tabatha.

-   Rien de très exceptionnel. On se rend à l'accueil et on demande où sont attendues les Trois Immortelles, persifla-t-elle.

   Notre groupe quitta donc le parking sous-terrain et se dirigea jusqu'à un bel immeuble moderne, qui ne détonnait pas par rapport aux autres buildings qui longeaient la rue, si ce n'est qu'il était le seul devant lequel se trouvait une armada de vigiles. Ils étaient tous identiques, baraqués avec des costumes et des lunettes noires, une oreillette derrière l'oreille. En arrivant à leur niveau, Tabatha leur adressa quelques mots dans une langue que je ne comprenais pas. L'un des gorilles acquiesça d'un signe de tête et nous fit signe de rentrer, non sans nous avoir jeter un regard que je devinais inquisiteur malgré ses lunettes sombres.

   Déjà peu rassurée au moment de passer devant eux, je crus mourir de peur quand l'un d'eux m'empoigna le bras avec l'une de ses larges mains. Il commença à aboyer après Tabatha, nous regardant tour à tour Jade, Lilian et moi. Stanislas prit notre défense, de sa voix aux accents mesurés tandis que je lui jetais des regards apeurés, le suppliant intérieurement de me tirer de ce mauvais pas. Après quelques paroles échangés, le colosse me relâcha mais le problème ne paraissait pas clos. Killian se mêla à son tour à la discussion, de manière beaucoup plus bruyante que son partenaire. Il criait, pointait du doigt le vigile qui finit par l'empoigner par le col. Tabatha reprit la situation en main, il me semblait qu'elle essayait de calmer le jeu. En effet, Killian et le gardien finirent par se détendre, du moins en apparence. La reine dit encore quelque chose, qui parut mettre véritablement fin à la dispute puisqu'un des vigiles nous fit signe de rentrer dans l'immeuble. Killian lâcha une dernière remarque qui ne dut pas être du goût du colosse, ce dernier l'aurait de nouveau attaqué si l'un de ses collègues ne l'avaient pas retenu.

   Notre groupe gagna tout de même le hall de l'immeuble, qui était complètement vide à l'exception d'une hôtesse derrière son comptoir à l'accueil et des vigiles postés de part et d'autres des portes d'ascenseurs et des accès aux escaliers. Le seul bruit était celui de nos pas jusqu'au comptoir. L'hôtesse commença par nous accueillir tout sourire, nous demandant dans un anglais dans lequel on pouvait percevoir une pointe d'accent de décliner nos identités.

-   La quatrième équipe knight et la neuvième équipe rook, la renseigna Tabatha en désignant tour à tour ses cavaliers puis Stanislas et Killian. Ainsi que Morgan Jones, Lilian Stevens et Jade Takano.

   A ce moment précis, le sourire de la réceptionniste disparut.

-   Pardon ? Je peux me tromper mais il me semble que …

   On entendit le bruit de ses ongles sur les touches de son ordinateur puis celui de la roulette de la souris.

-   Les trois dernières personnes ne sont pas sur la liste des invités.

-   Comment ? C'est impossible, la contredit Tabatha. Nous leur avons nous-même remis leur invitation.

-   Est-ce que je peux les voir ?

   Malcolm les chercha dans le sac à dos qu'il avait sur lui avant de les tendre à sa reine, qui les transmis à l'hôtesse. Celle-ci parcourut du regard chaque centimètre carré des enveloppes et des lettres, passant nerveusement sa main dans ses cheveux, ce qui avait pour effet de faire échapper quelques mèches de son chignon.

-   Je … Je ne comprends pas … Les documents ont l'air authentiques mais …

-   Il s'agit des Trois Immortelles, la renseigna Stanislas. On vous a peut-être prévenu qu'elles viendraient.

-   Non plus … Je vous assure que ces trois demoiselles ne sont pas attendues. Je ne sais pas ce que je dois faire …

-   C'est aussi simple que ça : nous savons toutes les deux de qui provient cette invitation, non ? S'assura Tabatha.

   D'un regard entendu, la réceptionniste approuva.

-   Alors il n'y a pas à se poser de questions : elles rentrent et puis c'est tout, conclut la reine. Donnez-leur un passe où je ne sais quoi et finissons-en, nous sommes attendus.

-   Mais j'ai reçu des ordres … Et je ne sais pas où je devrais conduire ces jeunes filles, il y a des consignes très strictes à ce sujet. Pour ce genre d'évènement nous ne pouvons pas nous permettre de faire n'importe quoi …

-   Dans ce cas, renseignez-vous et tâchez de savoir quoi faire ! Comme je vous l'ai dit, nous n'avons pas que ça à faire et l'heure tourne.

   La froideur de Tabatha semblait faire peur à l'hôtesse, qui se saisit du téléphone. Elle cessa de parler anglais et de nouveau, je ne compris rien à la conversation qu'elle tint avec son interlocuteur. La discussion était hachée, la réceptionniste se passait de plus en plus la main dans les cheveux et son chignon se tirait de plus en plus la malle. De mon côté, je commençais vraiment à m'inquiéter. Je n'étais pas déjà très rassurée en venant et apprendre que je n'étais finalement pas invitée finissait de me rendre folle. J'étais également en colère contre les knights : à quoi bon faire des cachotteries à la terre entière pour finir aussi peu avancé que nous ? Quitte à faire les choses en douce, autant que cela serve à quelque chose !

-   Bon, eh bien …, reprit l'hôtesse après avoir reposé le combiné du téléphone sur son socle. Vous allez vous rendre à l'endroit initialement prévu, dit-elle à l'intention des knights et des rooks. Quant aux demoiselles, je vais m'en occuper personnellement.

-   Cela ne va pas poser de problème que vous quittiez votre poste ? S'étonna Malcolm.

-   Non, vous êtes les dernières personnes qui devaient arrivées, tout le monde est déjà là.

   Elle héla ensuite un des vigiles postés devant un ascenseur et lui indiqua de prendre en charge les doués.

-   Hé ! Vous n'allez tout de même pas nous laissez toutes seules ? M'inquiétai-je.

   Alexandre et Malcolm me regardèrent, un poil gênés me sembla-t-il, et échangèrent un coup d'œil entre eux.

-   Il n'y a pas de quoi paniquer, nous allons nous revoir tout de suite, tâcha de me rassurer Stanislas.

-   On pourrait tout aussi bien venir avec vous, non ? Au moins, on serait sûr de ne pas de perdre de vue !

   Il me sembla que Tabatha leva les yeux au ciel.

-   Tss … Vous n'êtes plus des bébés. Vous pouvez parfaitement vous passer de nous pendant quelques instants.

-   Le problème n'est pas là ! M'enflammai-je. Si au moins on savait ce que l'on attend de nous, en venant ici ! Mais ce n'est même pas le cas ! On ne sait même pas qui nous a invité ! Franchement, ça dépasse les bornes !

   La réceptionniste était affolée et ne devait plus savoir où se mettre. Malgré la crainte que j'avais pour elle, je regardais Tabatha les yeux dans les yeux, la défiant presque. Divers sentiments se mêlaient en moi, certains n'ayant rien à voir avec la situation présente. La reine soutint mon regard quelques instants, avant de se retourner et de se diriger vers le vigile qui les attendait. Un à un, les doués l'imitèrent, non sans un dernier regard pour nous. Killian alla jusqu'à nous adresser un signe d'encouragement.

-   Euh … Si vous voulez bien me suivre, mesdemoiselles …, murmura l'hôtesse.

   Je me retournai vers Lilian et Jade.

-   Franchement, ils m'énervent !

   Après un court instant d'hésitation, la réceptionniste commença à marcher jusqu'à l'un des escaliers.

-   Excusez-moi de ne pas vous faire emprunter l'un des ascenseurs …

-   Au point où on en est, de toute façon ! Ce n'est pas marcher qui va aggraver notre cas.

   Nous entamâmes donc notre montée dans un silence de mort tandis que chacun ruminait, moi tout du moins. Je me maudissais intérieurement pour ne pas avoir insisté d'être tenue au parfum sur cette affaire et me jurais de ne plus jamais me retrouver embarquer dans des embrouilles pareilles. La prochaine fois, mon " obligé " pourrait se mettre son invitation là où je le pensais, bien profondément.

   Arrivées au sixième étage, l'hôtesse nous fit quitter la cage d'escalier pour les couloirs du bâtiment. Celui dans lequel nous pénétrâmes était une longue série de bureaux devant lesquels la réceptionniste passa sans leur prêter la moindre attention. Quelques uns dont les portes n'étaient pas complètement fermées laissèrent voir des postes de surveillance et ce qui paraissaient être des salles de détente pour les employés. De toute évidence, nous n'étions pas dans les locaux des invités. Non pas que cela me pose un problème d'être mêlée au personnel mais cela laissait entrevoir que l'on ne savait vraiment pas quoi faire de notre cas. L'hôtesse ouvrit plusieurs portes qu'elle referma aussitôt avant de s'arrêter devant l'une d'elles.

-   Celle-ci est vide, vous allez pouvoir l'occuper.

   Elle ouvrit la porte en grand, nous laissant voir une petite pièce sans prétention avec deux fauteuils blancs et une petite banquette blanche, aux murs blancs et vides, dont les seuls agréments se trouvaient être une plante verte dans un pot blanc avec quelques magazines sur une table basse et blanche.

-   Si vous voulez bien patientez ici le temps que …

   Que quoi ? La question me brûlait les lèvres mais je me résignai en songeant que notre situation actuelle n'était pas la faute de la réceptionniste et qu'il valait mieux ne pas aggraver son stress. Elle nous adressa d'ailleurs un regard reconnaissant en constatant que nous ne lui compliquions pas la tâche puis nous quitta en nous assurant de revenir bientôt et en s'excusant une nouvelle fois.

   Je m'installai dans l'un des fauteuils en lâchant un long soupir, Lilian m'imita et Jade hérita de la banquette. Je lançai un regard circulaire autour de moi – je trouvais cette pièce petite et blanche atrocement oppressante. Peut-être était-ce dû à la trop grande présence du blanc ou bien à l'unique bruit de l'horloge à cadre blanc. Quelque part, ça me rappelait l'hôpital et le dernier séjour que j'y avais effectué, à Miami. A cette pensée, je sentis mon ventre se tordre, je n'aimais pas trop ressasser les mauvais souvenirs à l'origine de mon hospitalisation.

   Pour me distraire de mes sombres pensées, je pris un magazine sur les people sur la table. Je ne comprenais strictement rien à ce qu'il y avait d'écrit sur les pages et les photos des acteurs, que je reconnaissais pour la plupart, passaient devant mes yeux sans retenir mon attention. Mon esprit était comme focalisé à se souvenir de ce que j'aurais préféré oublier.

" Kjell. "

   Le démon de mes nuits. Je ne comptais plus le nombre de cauchemars que j'avais pu faire où il apparaissait, depuis que j'étais tombée du dôme.

" Ça craint, là. Je ne me sens vraiment pas bien. "

   Il fallait impérativement que je pense à autre chose. Je n'avais pas envie d'être prise d'une crise de panique dans cette salle minuscule, avec mes deux amies à côté. Je n'avais osé parler à personne de mes rêves que Kjell venait hanter, même si Maximilien, les fois où j'étais passée le voir pour renouveler mes stocks de médicaments, m'avait toujours posée la question. Quelque part, je voulais vaincre mes rêves seule, comme pour prendre ma revanche sur lui.

   Je me forçais à respirer calmement, et tâchais de me concentrer sur les photos du magazine. Je sentais pourtant que je perdais le contrôle.

" Pas ici. Il faut que tu te calmes. Kjell n'est pas là, il ne peut rien te faire. Alors tu arrêtes d'y penser. "

   Je serrais les dents, tellement fort que cela commençait à devenir douloureux. Heureusement, l'hôtesse revint nous voir, au moment où je risquais de péter une durite. Elle avait un plateau dans les mains, avec diverses boissons et gâteaux dessus. Je remarquais qu'elle s'était recoiffée.

-    N'hésitez pas à vous servir, je repasserai au cas où vous vouliez que je vous resserve …

   Elle posa le plateau sur la petite table et s'apprêtait à repartir quand Lilian la retint :

-   Attendez, s'il vous plaît ! J'ai une question à vous poser.

   La réceptionniste se retourna et lui adressa un regard un peu ennuyée – elle devait craindre les complications.

-   Je vous en prie … Que voulez-vous savoir ?

-   Qui nous a envoyé les invitations mais ne nous a pas comptées dans la liste des invités ?

   Je félicitai l'éclair de génie de Lilian et reportai toute mon attention sur l'hôtesse. J'étais moi aussi curieuse de le savoir.

-   Oh … Eh bien …

   Elle avait perdu le peu d'assurance qu'elle était parvenue à conserver.

-   C'est que … c'est confidentiel, je ne peux vous donner ce genre d'informations …

-   S'il vous plaît ! Nous sommes complètement perdues ici et j'aurais aimé savoir au moins ça.

-   Oui, s'il vous plaît, insistai-je. Nous ne voulons pas vous attirer d'ennuis mais nous avons vraiment besoin de le savoir.

   Nerveusement, la réceptionniste recommença à passer sa main dans ses cheveux. Elle paraissait partagée, il y avait une chance pour qu'elle finisse par cracher le morceau.

-   S'il vous plaît, répétai-je.

   Peut-être touchée par notre situation, l'hôtesse, après un mouvement de dépit, accepta de nous dire ce que nous voulions savoir :

-   Ne le répétez surtout pas, cela causerait beaucoup d'ennuis à une plus grande échelle que vous ne pouvez l'imaginer … Celui qui vous a envoyé vos cartons d'invitation n'est autre que …

   Elle hésita encore pendant quelques secondes, en se mordillant les lèvres.

-   Que … que le Grand Chef de la Knight Guild.

   Encore ce type ! Je l'avais entendu mentionner plusieurs fois, sans que l'on me dise quel poste exact. J'avais envisagé qu'il soit le responsable de la Knight Guild aux États-Unis, tout comme autre chose.

-   Quel est son rôle exactement ? Demandai-je à l'hôtesse.

-   Eh bien, c'est … le Grand Chef de la Knight Guild … dans son ensemble.

-   Attendez, vous voulez dire le … il n'y a personne au-dessus de lui ?

   Elle acquiesça.

-   Et maintenant, vous allez devoir m'excuser mais j'ai … il y a des choses dont je dois m'occuper.

   Elle s'empressa de quitter la pièce, paniquée. J'étais dans un état presque similaire, pour ma part. Comment se faisait-il qu'une personne comme le Grand Chef est pris la peine de nous écrire en main propre et de signer " Votre obligé " ? Jusqu'à présent, il ne s'était jamais manifesté à nous.

-   Pourquoi est-ce que c'est lui qui nous a invité ? Formula Jade à voix haute.

-   Je ne sais pas … Ça me paraît bizarre que ce soit lui qui s'occupe d'écrire son courrier …

-   Malcolm m'a dit quand il m'a donné la lettre que ce n'était pas des courriers officiels parce qu'il ne voulait pas passer par les moyens habituels et qu'il préférait l'on nous remette les invitations personnellement, m'informa Jade.

-   Ce qui veut dire qu'à part lui, personne ne voulait nous voir ici, raisonnai-je. Ce type est trop bizarre !

   Je remarquai alors l'expression ambiguë de Lilian.

-   Tu en sais plus ? Lui demandai-je.

-   Pas sur la raison qui pousse le Grand Chef a nous invité mais … Je sais d'autre chose sur lui.

-   Dans quel genre ?

-   La dernière fois que l'on a été chez Shannon, après la fête de la Rook Guild, un livreur a déposé un paquet qui venait de lui … mais qui n'était pas pour Shannon.

-   Pourquoi il l'a fait déposer chez elle si ce n'était pas pour elle ? S'étonna Jade.

-   Parce que Tabatha était là, elle, lui répondit Lilian.

-   Shannon est la boîte aux lettres de Tabatha ? M'interloquai-je.

-   Non, mais le paquet était pour elle.

-   Il y avait quoi à l'intérieur ?

-   Un énorme bouquet entièrement bleu ! Vous auriez dû voir ça ! Shannon m'a dit qu'il avait été confectionné par un doué et c'est vrai que c'était … exceptionnel. Mais ce n'était pas le seul cadeau. Il y avait aussi une boîte à bijoux incrustée de perles, un collier avec un saphir gros comme poing et une fleur …

-   Une fleur ?

-   Shannon m'a dit que dans le langage des fleurs, cette fleur signifiait " un amour éternel " !

-   Et le Grand Chef envoie tout ça à Tabatha ?

   J'étais perdue. Tabatha était la quatrième reine, alors je me doutais qu'elle avait déjà dû rencontrer le Grand Chef mais je n'étais pas persuadée que les trois autres premières équipes reçoivent des cadeaux pareils. Pourquoi de telles faveurs à l'encontre de Tabatha ? Je ne savais pas si cela avait un rapport avec le fait qu'il nous invite de manière détournée, de premier abord, je n'en voyais pas. En tout cas, le Grand Chef m'apparaissait comme une figure de plus en plus obscure. Je comprenais qu'il s'intéresse à notre sort, puisque la Rook Guild et l'Ace Guild nous considéraient comme les mystiques Immortelles, mais pourquoi prenait-il la peine de nous convier à des réceptions où nous n'étions pas censées nous rendre ? Plus j'y pensais, plus mes pensées devenaient floues.

   Je continuais ainsi à réfléchir au problème pendant je ne sais combien de temps avec la désagréable sensation de tourner en rond, quand la porte de notre prison s'ouvrit brusquement. Cette fois, il ne s'agissait pas de la réceptionniste mais d'un homme avec une oreillette, qui ressemblait à ceux que j'avais pu voir devant les postes de surveillance un peu plus tôt.

-   Venez avec moi.

   Devant notre regard interloqué à mes amies et moi, il nous pressa :

-   Vite !

   Nous nous relevâmes brusquement et le suivîmes dehors puis à travers les couloirs.

-   Que se passe-t-il ? M'inquiétai-je.

   L'homme parut gêné et me fit signe qu'il ne pouvait pas répondre. En effet, s'il nous avait parlées en anglais, il n'était pas aussi à l'aise que l'hôtesse qui nous avait accueillie.

" Mais qu'est-ce que c'est que ce binz, à la fin ! "

   Nous finîmes par arriver devant une large porte à battants, gardée par deux gorilles ressemblant trait pour trait à ceux qui se trouvaient devant l'immeuble. Notre guide leur expliqua la situation dans une langue étrangère, ce qui tira à l'un d'eux un air ahuri, toujours sans que je n'y comprenne rien. Il repartit aussitôt, sans nous prêter la moindre attention, tandis que l'un des vigiles balbutia dans un anglais malhabile :

-   A dix.

   Il commença alors le décompte en se servant de ses doigts, en soulevant un à chaque seconde qui passait. Le délais achevé, il lâcha un " Ok " et nous poussa en avant, nous propulsant ainsi de l'autre côté des battants de la porte.

 

Voilà la partie 1 de cet attendu chapitre 5 ! Celui-ci faisant 26 pages (aurais-je exagéré ?), je suis obligée de le couper en deux articles et cette partie-ci du chapitre n'est pas la plus intéressante ... La seconde devrait vous plaire ;)

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23 juillet 2011 6 23 /07 /juillet /2011 13:02

Article au combien inutile, juste pour remettre un peu en activité le blog. Le chapitre 5 sera bientôt prêt, et sera raconté du point de vue de Morgan. Comme le dernier chapitre doit dater de décembre (environ), je ne saurai que vous conseiller de relire les chapitres précédents pour vous remettre dans le bain ... Histoire que mon long passage à vide n'est pas d'influence sur votre lecture.

En parallèle, je procède en ce moment même à la réécriture du premier volume. Cela vous intéresserait-il de la lire ?

 

Voilà, c'est tout ce que j'avais à dire. Du moins, je crois.

 

A bientôt, j'espère !

 

Clo#

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11 décembre 2010 6 11 /12 /décembre /2010 13:37

chapitre 4 - salle de classe

 

-   J'ai fait des recherches et je suis sûre que c'était un alligator ! Un vrai !

-   Shannon ne peut pas laisser un alligator en liberté.

-   Pourquoi pas ? Personnellement, ça ne m'étonnerait pas.

   Tout en nous rendant en cours, Morgan tâchait de me convaincre que nous étions bien tombées nez à nez avec une de ces terrifiantes créatures lors de notre ballade à travers les jardins de l'aristocrate. Certains d'entre eux abritaient en effet des formes de vie pour le moins … dangereuses.

   Nous nous séparâmes quand j'eus atteint ma salle de classe tandis qu'elle devait continuer son chemin jusqu'à la sienne. J'eus envie de bailler rien qu'en pensant à l'heure de maths qui m'attendait – mon prof se trouvant être particulièrement ennuyeux. M'étant cependant déjà fait remarquer, il était hors de question de me faire surprendre en flagrant délit de rêverie une deuxième fois. Hors de question !

   Je m'assis à la deuxième rangée la plus proche du tableau en espérant que cela m'empêcherait de somnoler, sortis mes affaires et pris une posture attentive, ne serait-ce que pour le prof le remarque. En effet, il ne manqua pas de me jeter un coup d'œil appuyé tandis qu'il triait ses feuilles de cours avant qu'il ne commence à prendre la parole.

" Regarde-moi bien car tu ne trouveras rien à me reprocher, aujourd'hui "

   Je jubilais intérieurement en m'imaginant mon professeur chercher désespérément à saisir l'instant où je ne l'écouterai pas et sa mine déconfite à la fin de l'heure. Je ne pensais pas qu'il soit sadique pour aller jusque là mais il était toujours plaisant de s'inventer des histoires pareilles. Sans compter que cela ne laissait pas la possibilité à mon esprit de dériver sur d'autres sujets.

-   Je peux m'asseoir ici ?

   Je me tournai vers celui qui m'avait apostrophée et le reconnus comme l'un de mes camarades en cet ennuyeux cours de maths. Je perdis immédiatement toute ma fougue à l'encontre de mon prof pour balbutier un timide " oui ", n'ayant pas de voisine ou voisin attitré pendant cette heure.

   Il s'installa sans plus de manière et déballa lui aussi de quoi écrire ainsi que ses feuilles des cours précédents. Je l'observai faire du coin de l'œil en tâchant de me remémorer si je l'avais déjà croisé au sein du lycée ; les élèves avaient beau y être nombreux, la tête de mon voisin ne me disait vraiment rien. Pas plus sa tignasse de cheveux sombres frisés que sa large paire de lunettes rectangulaires à montures noires.

   Un court instant, l'éventualité qu'il soit un doué me traversa l'esprit. Je la tuais cependant dans l'œuf : tous les élèves que je n'avais jamais rencontré, qu'ils soient nouveaux ou pas, n'étaient pas forcément des knights ou des rooks (ou des aces). Je ne devais pas faire de mes expériences précédentes des généralités si je voulais continuer à avoir un semblant de sens commun.

-   J'ai quelque chose de bizarre ?

   Sans m'en apercevoir, je m'étais mise à fixer mon voisin. Mise mal à l'aise par sa remarque, je me justifiai :

-   N … Non … Je … Je me disais juste que … je ne t'avais encore jamais vu …

   On aurait dit une médiocre tentative de drague et je priai pour que mon interlocuteur ne le prenne pas ainsi.

-   Je suis arrivé dans ce lycée à la rentrée, ce n'est pas très étonnant, me répondit-il toutefois calmement, sans une once d'ironie.

-   Ah …

   Arrivée à ce stade, pourtant peu élevé, de la conversation, je ne savais déjà plus quoi dire. Je m'exhortai cependant à poursuivre :

-   Où habitais-tu avant ?

-   Déjà dans le Colorado, à Colorado Springs. Mes parents ont trouvé du travail ici et je me suis retrouvé obligé de les suivre !

-   J'es … J'espère que la ville te plaît …

-   Pas de problème là-dessus ! Et le lycée est super sympa lui-aussi, il est bien côté en plus.

   Nerveusement, je triturais mes doigts sous la table et frottais mes genoux l'un contre l'autre. J'osais espérer que mon visage n'avait pas l'air trop crispé.

-   Tu t'es fait des amis ? Lui demandai-je ensuite.

-   Pas encore vraiment, non. Mais je n'ai pas d'ennemi non plus, alors ça va, plaisanta-t-il.

   Il eut un large sourire qui me permit de me détendre un peu.

-   Tant mieux, conclus-je.

-   Tant mieux, répéta-t-il.

   Son sourire s'élargit un peu plus. Mon voisin cessa ensuite de me regarder pour suivre le début du cours tout en réajustant ses lunettes. Je fis de même en me disant que si Karen avait assisté à la scène, elle nous aurait déjà vu en train de nous remettre mutuellement nos bagues, mon voisin et moi, lors de notre cérémonie de mariage, à l'instar de Darryl et elle. " Je suis sûre qu'il y a quelqu'un de parfait pour toi ! Peut-être même est-il tout près ! " m'avait-elle dit, après tout.

   Le reste de l'heure passa très, très lentement. A plusieurs reprises, j'eus envie de reposer mon crayon sur ma table et de caler ma tête entre mes bras pour faire une petite sieste mais, à chaque fois, la voix de mon prof de maths lorsqu'il m'avait sermonnée devant toute la classe me revenait aux oreilles, telle une mise en garde.

   J'accueillis donc la sonnerie marquant la fin du cours avec une véritable joie et m'empressai de ranger mes affaires, trop pressée d'en finir et de passer au cours suivant. Je me forçai toutefois à attendre mon voisin à la sortie de la salle pour lui témoigner ma sympathie. Il sourit en me voyant, me donnant le courage nécessaire pour lui souhaiter une bonne journée.

-   C'est que … mon prochain cours est le même que le tien, si je ne me trompe pas, rit-il lorsque j'eus terminé ma tirade.

   J'eus envie de me terrer dans un trou, ou de m'enfuir en courant, ou bien de m'enfuir en courant pour me terrer dans un trou. Devant mon air gêné, mon voisin rit un peu plus.

-   Au fait, je suis Pierce Dixon, se présenta-t-il en me tendant la main.

   Je remarquai seulement à ce moment-là que je n'avais pas été fichue de lui demander son nom.

-   Et moi, Jade Takano, dis-je tout en lui serrant la main.

-   Je sais.

   Je songeai alors que s'il assistait à mon cours de maths, il avait été présent lorsque le prof m'avait interpellée devant toute la classe.

-   Enchanté de faire ta connaissance, ajouta-t-il. Vraiment enchanté.

 

   Lorsque Tabatha me vit arriver à midi avec Pierce, elle se dépêcha de se lever et de m'emporter loin de mon nouvel ami avec mon plateau, en coup de vent.

 -   Je te préviens, siffla-t-elle. Je ne suis pas baby-sitter. Si tu veux manger avec ton copain, ça ne sera pas avec moi.

   Je fus, les premières secondes après sa menace, littéralement statufiée – clouée sur place par l'éclat menaçant de ses yeux émeraudes – mais je lui assurais que je n'avais pas eu l'intention de manger avec Pierce et elle.

-   Je venais justement … pour te prévenir que je ne mangerai pas avec toi … et Stanislas.

   Ce dernier attendait sa prétendue petite-amie à table avec un grand sourire de circonstance. La reine, elle, à la mention du nom du roi rook, sembla se décomposer.

-   Je préférerais encore manger avec Andrea, grommela-t-elle.

   J'avais beau ne pas savoir qui était Andrea, je devinai l'ampleur de sa déclaration.

   Tabatha parut un instant vouloir ajouter quelque chose mais n'en fit finalement rien, se bornant à tourner les talons pour rejoindre son " petit-ami ". Je rejoignis donc Pierce, qui avait assisté de loin à la scène.

-   Taylor n'avait pas l'air très contente, remarqua-t-il.

-   Pas parce que je ne mange pas avec elle, le rassurai-je. En réalité, ça doit même lui plaire.

   Parce que ne pas manger avec elle (et Stanislas) revenait à ne pas me retrouver à côté de son canari. Un détail d'une importance capitale.

   Avec Pierce, nous nous installâmes à une table libre du self. Je fis des efforts pour lui poser des questions sur sa vie avant son installation à Denver – non pas que cela ne m'intéressasse pas mais j'avais toujours peur qu'il me trouve indiscrète. Il répondit toutefois avec bonne humeur à toutes mes questions, sans jamais m'interrompre quand je butais sur mes mots, en me confiant une foule d'anecdotes amusantes sur son enfance ou sa famille. Malgré ma réserve naturelle, je me sentis rapidement à l'aise avec lui ; une première avec un garçon.

-   Et sinon, toi ? Finit néanmoins par me demander Pierce à son tour.

   Là, mon bien-être s'envola d'un coup. Je cachais bien trop de secrets inavouables pour répondre avec sincérité à toutes les questions qu'il ne manquerait pas de me poser. Je craignais par-dessus tout de commettre une bourde lourde de conséquences pour lui comme pour moi. Je tâchais cependant de me calmer en me disant que jusqu'au début de l'année j'avais mené une vie parfaitement normale, sans rien qui mérite d'être caché, si ce n'est les étranges rêves où m'étaient apparue la Femme. Les neuf derniers mois ne représentaient pas une longue période comparés à tout le reste de mon existence.

-   Tu es née ici ? Poursuivit Pierce devant mon silence.

-   Oui … Tout comme mon frère et ma sœur.

-   Quel âge ont-ils ?

-   Ma sœur va avoir quinze ans ce mois-ci et mon frère douze.

-   Tu es l'aînée alors. C'est super, j'aurais adoré avoir un frère ou une sœur moi aussi. Vous vous entendez bien ?

-   Comparé à d'autres fratries, oui. Ça ne veut pas dire que l'on ne se dispute jamais par contre.

-   Normal.

   Jusqu'à notre sortie du self, l'essentiel de ses questions se concentrèrent sur des éléments de ce genre : mes parents, mes relations avec eux, le reste de ma famille, mes loisirs … Ce ne fut qu'une fois à l'extérieur que les sujets fâcheux furent abordés.

-   Comment est-ce que tu as rencontré Taylor ?

   Un poids apparut au creux de mon ventre et je sentis simultanément une vague de chaleur et de froid me parcourir l'échine.

-   Je ne la connaissais pas avant qu'elle n'arrive au lycée l'année dernière, au second semestre. C'est durant un stage en forêt que nous nous sommes rapprochées.

   C'était la pure vérité et l'aplomb dont j'avais fait preuve me rassura.

-   C'est là aussi que tu es devenue amie avec Morgan Jones, non ?

   Sa question me désarçonna. Autant je n'étais pas étonnée qu'il ait entendu parler de Tabatha mais Morgan … Depuis qu'elle avait quitté la sphère des populaires, plus grand monde ne parlait d'elle.

-   Oui …. Oui, aussi. Mais comment l'as-tu appris ?

-   Au self, me renseigna-t-il en désignant le bâtiment qui s'étirait derrière nous et dont nous nous éloignions tout en marchant. Quand je suis arrivé, j'ai remarqué que tous les matins, toute une bande venait voir trois filles. En laissant un peu traîner mes oreilles, j'en ai appris pas mal. Par exemple qui étaient Tabatha Taylor et Alexandre Evans, qu'ils traînaient toujours ensemble, ce genre de trucs … Et puis un jour, quelqu'un a parlé de Morgan Jones. J'ai compris que c'était l'une des trois filles que je voyais tous les matins. J'ai entendu qu'avant cette année, elle était hypra populaire et que bizarrement, elle avait eu une sorte de crise et tout … Et que maintenant elle était principalement avec la " bande à Taylor ". Quelqu'un a mentionné un stage auquel elle aurait participé qui l'aurait rendue à moitié cinglée … Quand tu m'as dit que tu t'étais rapprochée de Tabatha à un stage en forêt, j'ai fait le rapprochement.

   Je soupirais intérieurement. J'avais commencé à psychoter, m'imaginant des tas de scénarios invraisemblables où Pierce traquait la moindre information sur nous pour les revendre à l'Ace Guild. Il ne tenait cependant ses sources que de ce qu'il se racontait dans le self ou pendant les cours.

-   D'ailleurs …, murmura ce dernier. Si Taylor est venue te parler tout à l'heure, c'était pour … ?

   Visiblement, j'étais censée pouvoir comprendre seule la fin de sa phrase. Ce n'était pas le cas.

-   C'était pour … ? répétai-je.

-   Enfin, comme elle est super proche de Evans, elle voulait peut-être savoir pourquoi on mangeait ensemble et …

-   Minute, le coupai-je. Je … Je ne comprends pas.

-   C'est que … tu n'es pas la petite amie d'Evans ?

-   De quoi ?!

   Je n'avais pas pu m'empêcher d'élever la voix, sous le coup de la surprise et, un peu, de la colère.

-   Je ne sors pas du tout avec lui ! répliquai-je avec une férocité qui parut surprendre Pierce. C'est … C'est un ami à Tabatha, c'est tout !

-   D'accord, d'accord, j'ai compris, ne t'énerve pas, m'en conjura-t-il. Mais vous … Je trouvais que vous aviez un " truc " spécial et pas mal de monde semblait penser que vous étiez ensemble.

   MOI, la PETITE AMIE de cette LARVE qui se prétendait punk ?! De ce GOSSE ! Personne dans ce lycée n'avait donc remarqué le mépris évident avec lequel je le traitais ? Je pensais que seule Karen pouvait interpréter ça comme une preuve d'amour !

-    JE NE SORS PAS AVEC LUI !

-   J'ai compris ! M'assura Pierce, presque affolé. Je suis désolé, je ne pensais pas que tu te fâcherais si je me trompais !

   Il avait raison, en plus. Je n'avais pas à sortir de mes gonds simplement parce que quelques personnes partageaient les mêmes valeurs que mon amie. Honteuse de mon comportement, je me sentis rougir.

-   Ex … Excuse-moi ! Bafouillai-je. C'est juste que … que …

   Je ne voyais pas quel genre de mensonge je pouvais inventer pour me justifier.

-   C'est compliqué ?

   J'arrêtai de fixer mes pieds pour lever la tête vers Pierce. Je m'attendais à lire de l'amusement dans son regard ou à voir un sourire plein de sous-entendus, à l'instar de la tête d'oursin ou de Karen. Pourtant, il n'y avait rien de suspect dans l'expression de son visage. Juste une profonde envie de comprendre, de me comprendre. Chez d'autres personnes – bon, soyons honnête –, chez d'autres garçons, je me serais sentie affreusement gênée. Ici, ce n'était pas le cas.

-   Pas vraiment.

   J'étais soulagée en sa présence. Vraiment soulagée. Et ça par contre me perturbait.

 

   Je sortais de mon dernier cours et m'apprêtais à rentrer chez moi, la tête pleine de questions après avoir passé l'après-midi sans Pierce, quand je rencontrai le canari à la sortie du lycée, qui accompagnait vraisemblablement des amis partis fumer. C'était la première fois de la journée que je le voyais depuis que nous nous étions réunis le matin.
 

   Je me mis immédiatement en rogne, comme à chaque fois qu'il entrait dans mon champ de vision, et passai devant lui sans lui adresser un regard. Aurait-il été chargé de ma protection ce soir, peut-être l'aurais-je bipé sur son portable. Ce n'était même pas le cas, je ne me sentais donc pas l'envie de lui signaler ma présence pour qu'il vienne encore me prendre la tête.

   Je l'ignorai donc superbement, en passant presque sous son nez sans même lui adresser un regard. Malheureusement cependant, mon excès me coûta de me faire remarquer.

-   Hé ! Jade !

   Je tournai la tête dans sa direction sans pour autant m'arrêter. J'espérais que cela suffirait à le maintenir à distance. Toutefois, à ma grande surprise, il me courut après. Je m'arrêtai, intriguée. Pourquoi se lançait-il à ma poursuite ? Ces derniers jours, quand j'avais fait de même, il s'était contenté d'éclater de rire devant mon obstination à ne pas lui adresser la parole.

-   Qu'est-ce qui se passe ? M'inquiétai-je quand il fut proche.

   Son sourire en coin et la malice qui s'en dégageait me rassura tout de suite : il venait simplement se payer ma tête, d'une façon ou d'une autre.

-   Je n'ai pas que ça à faire, Alex, dépêche-toi.

   Le canari pouffa mais ne dit rien. Exaspérée, je tournai les talons dans un bruyant soupir.

-   Non, non, attends ! Me retint-il. Je voulais te féliciter !

   De nouveau, je m'arrêtai pour me tenir face à lui.

-   Me féliciter ? M'étonnai-je. Pour quoi ?

-   Pour ton petit ami ! Tabatha m'a raconté, tu sais ! Un brun à lunettes, c'est ça ?

-   Il s'appelle Pierce, précisai-je en soupirant, et ce n'est pas mon petit ami.

   Pourquoi fallait-il que Pierce prenne la larve pour mon copain et vice-versa ?

-   D'après Tabatha, vous aviez l'air très proche.

   Où avait-elle vu ça ?

-   Je l'ai rencontré ce matin, le contredis-je. Nous nous sommes aperçus que nous avions plusieurs cours en commun et comme il est nouveau au lycée, j'ai sympathisé avec lui.

-   Mais pas la peine de te justifier, Jade ! Je ne t'en ai jamais demandé autant à son sujet !

   Il m'énervait ! Il amplifiait tout ce que je disais ! Pas question qu'il en fasse son nouveau jeu.

-   Alors toi, je te préviens, le menaçai-je. Ne commence pas à …

-   Alex !

   Dans son dos, ses camarades lui faisaient de grands signes de la main.

-   Alex ! Répéta l'un d'eux.

-   Tes amis t'appellent, lui fis-je remarquer. Tu devrais les rejoindre, non ?

-   Certainement, c'est même ce que je vais faire. Au plaisir de te revoir !

   Sans se soucier de ce que je m'apprêtais à lui dire, il rejoignit ses amis au petit trot. Même pas un regard.

   Je le regardai s'éloigner en songeant que si une chose pareille s'était produite avant les vacances, j'aurais été profondément blessée qu'il m'ignore ainsi. Je me serais torturée l'esprit à rejouer la scène encore et encore, m'imaginant plus belle, plus envoutante, tout du moins suffisamment pour qu'il manifeste un regret en partant. J'aurais envié Tabatha presque maladivement pour toute l'attention qu'il lui portait, pour tout ce qu'elle avait de mieux que moi. J'eus envie de me gifler en repensant à toutes les fois où ce prétendu punk m'avait ainsi fait tourner en bourrique et où je m'étais enflammée. Comment avais-je pu être aussi aveuglée par son charisme ? Comment avais-je pu m'emballer aussi vite ? Je comprenais qu'il ait pu rire de mon admiration éperdue pour lui. J'avais été tellement ridicule !

   Tellement, tellement ridicule !

  

   Je m'appliquais à résoudre un problème de maths quand mon portable vibra. Heureuse de me trouver une bonne raison de délaisser mon exercice, je me jetai sur lui.
   

 

" Un nouveau message "
    

   En constatant l'identité de l'expéditeur, j'eus un sourire. Que me voulait donc Pierce ?

 " Pourrais-tu me dire où il est possible de bien manger au centre ville ? "

   Je commençai à me creuser la tête avant de me dire que le centre ville couvrait un périmètre plutôt large.

 " Où ça au centre ville ? "

   Même pas une minute après, j'obtins ma réponse.

 " Dans le Downtown "

" Du côté de la 16th Street Mall ? "

" Pas loin, je faisais les boutiques. Alors ? Que me conseilles-tu ? "

" Le Corner Bakery Cafe. C'est très sympa. "

   Cette fois, pas de réponse immédiate. J'attendis néanmoins un peu avant de reprendre mon crayon et mon manuel. Je jetais ensuite à intervalle régulier des coups d'œil à mon réveil, comptant les minutes qui passaient depuis que j'avais envoyé mon message. 

   J'en étais à six quand mon portable afficha à nouveau " Un nouveau message ". Je l'ouvrais avec avidité avant de me figer sur place :

" Tu veux y aller avec moi ? "

   Les yeux fixés sur les quelques mots du message, je ne réfléchissais plus, comme si mon cerveau était déconnecté.

" C'est … C'est un … ? "

   J'eus beaucoup de mal à penser le dernier mot.

" Un … rencard ? "

   Mon ventre se tordit dans tous les sens et ma respiration ralentit.

   Je devais me reprendre. Ça ne pouvait pas être un rencard. Pierce et moi nous connaissions depuis ce matin ! Oui, il voulait simplement être avec une amie, pas avec moi en particulier, sauf si l'on considérait le fait que j'étais pour le moment sa seule amie au lycée.

" Je suis sûre qu'il y a quelqu'un de parfait pour toi ! Peut-être même est-il tout près ! "

   En repensant à cette phrase de Karen, je perdis un peu plus mes moyens. Il fallait pourtant que je réponde à Pierce ! Quoique … je pouvais bien lui dire le lendemain que mon portable s'était déchargé … Non, ça ne se faisait pas ! Je lui devais une réponse ! Mais que répondre ?

" Pourquoi faut-il que tout soit toujours aussi compliqué ? " me plaignis-je intérieurement.

   Avais-je seulement envie de prendre un goûter – nous étions aux alentours de quatre heures – avec Pierce ? Je devais commencer par ça pour ensuite savoir quoi lui répondre.

-   Hum …

   Après un instant de réflexion, je finis par arriver à la conclusion que même dans l'hypothèse où Pierce considérait son invitation comme un rencard, je pouvais de mon côté prendre ça comme un simple rendez-vous entre amis. Je répondis donc, plus de deux minutes après, à son message :

 " Ça ne me pose pas de problème ^^ J'arrive ! "

   Je retirai le point d'exclamation à la fin de mon sms, pour le remettre puis finalement l'enlever. Ensuite, je partis enfiler mes chaussures.

   Pierce m'attendait devant le Corner Bakery Cafe quand j'arrivais. J'accélérai le pas quand il m'eut remarquée.

-   Je ne te dérange pas, j'espère ? S'enquit-il tout en ouvrant la porte du restaurant.

-   Tu me sauves la vie plutôt, je bloquais sur un exercice de maths.

-   Lequel ?

-   Celui où …

   Nous nous installâmes à une table pendant que je lui répétais de mémoire l'énoncé de l'exercice. En attendant qu'un serveur vienne prendre notre commande, nous devisâmes de la manière de résoudre le problème.

-   Et tu as essayé avec la méthode que l'on a vu la semaine dernière ? Proposa-t-il.

   J'acquiesçai.

-   Et ça n'a pas marché ?

   J'acquiesçai. Il garda ensuite le silence, passant sa main dans ses cheveux et les ébouriffant.

-   Tu me poses une colle, admit-il. Je ne sais pas.

   Sa facilité à admettre qu'il s'était trompé me plut. La plupart des garçons se seraient braqués.

" Je suis sûre qu'il y a quelqu'un de parfait pour toi ! Peut-être même est-il tout près ! "

   Il fallait absolument que j'oublie cette remarque de Karen si je voulais maintenir des relations normales avec mes connaissances masculines. Comment allais-je faire si chacun d'entre eux se transformait en " proie " potentielle ?

-   C'est la première fois que je viens dans un restaurant de cette chaîne, me confia Pierce. Qu'est-ce qui est mangeable ?

   Après un rapide coup d'œil à la carte, je lui indiquai mes mets favoris.

-   Je te fais confiance mais je te préviens : si je me retrouve intoxiqué, je t'attaque en justice ! Plaisanta-t-il.

-   J'ai la conscience tranquille à ce sujet !

   Un serveur arriva à ce moment-là pour prendre nos commandes, nous coupant dans notre fou rire. Quand il fut reparti cependant et que nos regards se croisèrent, nous reprîmes de plus belle.

   Par la suite, pendant que j'engloutissais mon gâteau, je songeais que je n'avais pas passer un moment aussi serein que celui-là depuis une éternité. C'était très perturbant que cela m'arrive en compagnie de Pierce. Mais je m'en fichais. Qu'il considère ce tête à tête comme un rencard ou pas, j'étais très heureuse d'être là, avec lui. Sans aucun élément pour me rappeler la menace de l'Ace Guild qui ne cessait de peser au-dessus de ma tête.

 

    J'aurais aimé faire découvrir la ville à mon nouvel ami mais mon sérieux m'en empêcha, nous nous quittâmes donc peu de temps après être sortis du restaurant pour nous remettre à nos devoirs. Il me fit jurer de l'appeler si jamais je ne réussissais pas à terminer mon exercice de maths, ce à quoi je lui fis promettre de faire de même s'il n'y arrivait pas non plus de son côté. Après cela, mon bus arriva et je laissais Pierce rejoindre son propre arrêt, situé un peu plus loin.

   En revenant chez moi, je n'échappais pas à un interrogatoire de ma sœur, qui voulut savoir où j'étais allée, avec qui, ce que j'avais fait et pourquoi. Je lui répondis donc que j'étais allée sur la 16th Street Mall, avec un copain de classe, pour manger, parce que, justement, c'était un ami. Joanna eut un sourire amusé qui ne manqua pas de me rappeler celui de Karen. Je me sentis obligée de lui préciser que Pierce n'était qu'un simple ami et que j'avais pour objectif qu'il le reste.

-   On verra ça ! Rit-elle avant de daigner me laisser finir mes exercices.

   Je soupirais en refermant la porte de ma chambre, blasée devant le peu de crédit que tout le monde semblait m'accorder quand il était question de garçons.

-   Je peux sortir maintenant ?

   Accompagnant le geste à la parole, j'eus la surprise de voir Malcolm sortir de sous mon lit.

-   Mais qu'est-ce … Qu'est-ce que tu fais là ? M'étonnais-je.

-   Je t'attendais, m'expliqua-t-il en s'époussetant. Tu devrais passer un coup de balais sous ton lit un de ces jours, il y a une véritable colonie d'acariens là-dessous.

   Je rougis un peu en réfléchissant à la dernière fois que j'avais fait la poussière dans ma chambre.

-   Et … et donc ? Pourquoi est-ce que tu m'attendais ?

-   Pour ça.

   Il me tendit une enveloppe en papier jaune de forme carré qui me fit penser à celle des faire-parts de mariage. " Celui de Tabatha et Stanislas ? " songeai-je en m'en emparant.

   Sur le devant de l'enveloppe, mon nom complet avait été tracé à l'encre noire d'une écriture élégante. Qui avait pris la peine de m'écrire en personne et de me faire remettre le message en main propre ? Je retournai ensuite l'enveloppe, pour voir qu'un sceau en cire rouge, à l'ancienne, avait été imposé pour la fermer.

-   Je … Comment je l'ouvre ? Demandai-je à Malcolm.

-   Tire sur le sceau.

   Je m'exécutai et l'enveloppe cachetée ne le resta pas bien longtemps. Quand je pus me saisir de la lettre placée à l'intérieur, je m'attardai sur le symbole représenté par le sceau. La cire fondue ne laissait de lisible que deux lettres, écrites en majuscules et accolées l'une à l'autre.

-   " GC " ? lis-je à vois haute.

-   L'abréviation de Guilde du Cavalier en français, me renseigna Malcolm. En anglais cela donne Knight Guild.

-   Pourquoi en français ?

-   Pour nous, le centre du monde n'est pas les États-Unis mais l'Europe, car Loreleï était une européenne. C'est là-bas que siègent toutes les principales institutions de nos organisations, autant pour la Rook Guild que la Knight Guild et que tout se joue. Et la langue utilisée pour tout ce qui officiel est le français.

-   Loreleï était française ?

   Malcolm haussa les épaules.

-   Peut-être, personne ne sait.

   Shannon aussi, quand elle nous avait révélé l'existence des dons, était restée vague quant à la nationalité de la mythique Loreleï, j'avais pensé à l'époque que c'était pour ne pas s'attarder sur les détails et abordé le gros du sujet. Mais comment se faisait-il que l'on puisse l'ignorer ce détail ?

-   Tu peux sortir la lettre de son enveloppe, tu sais, me fit remarquer Malcolm sur le ton de la plaisanterie. Il paraît que les gens écrivent dessus !

   Sa blague me fit sourire et relégua au quatrième sous-sol de ma mémoire le mystère de la contrée natale de Loreleï. Non sans une certaine appréhension, je finis par sortir la lettre pour découvrir son mystérieux destinataire et ce qu'il pouvait bien avoir à me  dire.

  " Chère Mademoiselle Takano,

 Je me permets de vous écrire pour vous convier à la réunion qui se tiendra le samedi 5 Septembre à partir de 11 heures en présence de hauts dignitaires de la Knight Guild et de la Rook Guild, ainsi qu'au repas qui suivra.

Votre présence ne peut vous être que bénéfique, mademoiselle, et il est toujours bon de savoir à quoi s'attendre.

Merci de faire savoir à Mlle Taylor ou à Ms Lewis et Evans si vous ferez acte de présence.

Avec tous mes sentiments respectueux,

Votre obligé."

    Je restai un bon moment muette après avoir lu le contenu de la lettre. Un parfait inconnu – mon " obligé " - me faisait savoir qu'une réunion où il serait intéressant de me rendre allait bientôt se tenir avec beaucoup de gens d'importance.
     

-   Alors ? Finit par s'enquérir Malcolm. Bonnes nouvelles ?

-   Tu le sais très bien. Mais … Je … Je ne comprends pas bien … Qui m'a écrit et pourquoi ? Qu'est-ce que c'est que cette réunion ?

-   Une question à la fois, me pria le cavalier.

-   Bon, alors d'abord, qui m'a écrit ?

-   Quelqu'un. Question suivante ?

-   Tu n'as pas répondu à la première !

-   Si je te donnais son nom, il ne te dirait rien. Dis-toi simplement que c'est quelqu'un qui te veut du bien, dans ton intérêt et pour le sien, aussi.

   De toute évidence, Malcolm ne voulait rien ajouter de plus à ce sujet. Je passai à la question suivante :

-   Pourquoi m'écrit-on ?

-   Certaines choses sont susceptibles de t'intéresser lors de cette réunion.

-   Susceptible ou sûr de m'intéresser ?

-   Sûr.

   J'attendis un instant pour voir ce qu'il allait ajouter mais rien ne vint. J'en déduisis que c'était le moment de passer à une autre question.

-   De quoi … Pourquoi cette réunion a-t-elle lieu ?

-   Pour mettre définitivement au clair entre la Knight Guild et la Rook Guild certains points.

-   Là non plus pas de … pas plus d'infos ?

-   Et non ! La vie est mal-faite, que veux-tu !

-   Malcolm, arrête ça ! Tu ressembles à Stanislas ! Pour … Pourquoi ne me donnes-tu pas des réponses claires, nettes et précises ?

-   J'ai reçu des ordres. " Les mesdemoiselles Jones, Stevens et Takano ne doivent rien savoir avant la réunion ! Rien ne doit filtrer à ce propos ! ", singea Malcolm. Même moi je ne sais pas exactement qui y assistera ! Du monde, c'est sûr mais je n'ai pas la liste. En tout cas, ni Morgan ni Lilian ni toi n'êtes censées y être. Celui qui t'a écrit a tenu à ce que l'on vous remette ces lettres personnellement, pas en les faisant passer par un messager comme il conviendrait de le faire. S'il a cacheté la lettre comme il l'a fait, c'est pour que vous ayez un moyen de prouver que l'on vous a vraiment invité.

   J'étais on ne peut plus perplexe. Une personne dont on taisait le nom me conviait à une réunion aux objectifs et participants incertains par voie non officielle.

   Je ne cessais de parcourir la lettre des yeux, comme si un autre message, plus clair, allait apparaître sur le papier. Je finis toutefois par prendre conscience d'un détail.

-   Le … Le samedi 5 Septembre … C'est celui qui arrive ?

   Malcolm acquiesça.

-   Oui.

   Le week-end dernier, je n'avais pas pu m'avancer dans mes devoirs à cause de la fête de la Rook Guild et m'étais dit que j'aurais tout le temps de le faire cette semaine. J'allais finir par demander à ce que l'on désigne des knights ou des rooks pour les faire à ma place !

   Soudainement, Malcolm se baissa et se glissa en une fraction de seconde sous mon lit. J'allais lui demander à quoi il jouait quand Joanna ouvrit la porte de ma chambre.

-   Jade ! Je viens de me doucher, la salle de bain est libre ! Tu veux passer avant Corentin ou pas ?

-   Ah … Euh … Que Corentin y aille … J'irai après … Je n'ai pas fini mes devoirs.

-   Ça marche.

   Elle referma la porte. Quelques secondes après, Malcolm sortit de nouveau de sous mon lit.

-   Franchement, Jade … Pense à faire le ménage un de ces jours … Même la chambre d'Alex est plus propre …

   Je repliais nerveusement la lettre en deux pour la ranger dans l'enveloppe.

-   Je suppose que je suis … obligée de venir ? Demandai-je au cavalier.

-   Non, du tout. Comme je te l'ai dit, tu n'es pas invitée à l'origine. Si tu ne veux pas y aller, n'y va pas.

-   Hum …

   Je me voyais mal ignorer l'invitation de celui qui se disait mon " obligé ", sans compter que j'avais une chance de le rencontrer si je me rendais à la réunion. Je me demandais qui prenait la peine de m'y convier. Alice ? Je ne connaissais pas grand monde qui puisse donner des ordres à la quatrième équipe knight.

-   Tu préfères t'abstenir ? S'informa Malcolm.

-   Non, je vais y aller. Juste … Ça me dérange de ne rien savoir de plus.

-   Crois-moi, en allant à cette réunion, tu vas apprendre des choses.

-   Lesquelles ?

   Je ne désespérais pas d'en savoir un peu plus malgré la réticence du cavalier à m'en parler.

-   Considère que tu vas prendre ton premier cours de savoir-vivre dans le " monde " des doués. Et pas le moindre, si tu veux avoir une chance de survivre.

   Je levais un sourcil. Malcolm eut un sourire un peu carnassier.

-   Leçon un : ne jamais faire confiance à personne.





Plus d'un mois entre le chapitre précédent et celui-ci ... Mille fois pardons !J'espère qu'il n'en sera que meilleur à vos yeux ^_^"

 Si seulement j'avais plus de temps pour écrire ... Vivement la semaine prochaine, que je sois en vacances !

 

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1 novembre 2010 1 01 /11 /novembre /2010 19:33

chapitre-3---chateau-Shannon.jpg

   Mes rêves furent particulièrement colorés cette nuit-là. Et c'était bien la seule chose dont je me souvienne à leur sujet.

Je n'étais pas pressée de quitter mon lit tellement je m'y sentais bien. J'envisageai même de ne plus jamais en sortir.

" Plus jamais ! "

   Je redoutais tellement de perdre la chaleur accumulée pendant la nuit que je n'osais pas bouger. Je doutais cependant d'avoir la force nécessaire pour bouger une infime parcelle de mon corps mou.

   Des coups portés à la porte me firent cependant sursauter et ouvrir les yeux.

-   Mlle Stevens ! Êtes-vous réveillée ? S'enquit une voix à travers la porte.

-   O … Oui ! Réussis-je à articuler, en panique.

-   Voulez-vous que l'on vous prépare votre petit-déjeuner ?

-   Euh … Oui … Merci !

-   Très bien !

   Je m'étais relevée sur un coude pour que ma voix porte suffisamment afin de me faire entendre de la domestique mais une fois notre conversation finie je me laissais retomber mollement sur le matelas. Je n'étais pas sortie des couvertures plus de trente secondes mais le mal était fait : mon cocon de chaleur avait été percé. Mon projet de rester éternellement au lit me parut tout de suite beaucoup plus fade.

   Décidant de ne pas traîner plus longtemps, je me levai avant de me rasseoir sur le bord de ma couche. Pendant un bref instant, j'avais eu l'impression d'être revenue quelques mois plus tôt, le matin qui avait suivi notre kidnapping par la Rook Guild. Le jour même, Shannon nous avait révélé l'existence des dons. Cela me paraissait à la fois très loin et récent.

   La chambre était la même en tout cas. La même coiffeuse avec son revêtement en marbre et sa chaise, le lit à baldaquins, le coffre en bois au pied du lit … Les deux seules choses de changées étaient la position de la fenêtre et le pyjama que l'on avait mis à ma disposition, beaucoup plus simple que son prédécesseur. Le tissu était plus aéré et l'on ne trouvait de la dentelle que sur le col. Le haut était légèrement resserré sous la poitrine puis évasé et le pantalon s'arrêtait au-dessus des genoux. Je triturai mes cheveux mais aucun ruban ne s'y trouvait – on ne m'avait pas apprêtée pendant mon sommeil.

   Je m'étirai en me mettant debout. Arrivée au niveau de la chaise de la coiffeuse, je m'aperçus que mes vêtements de la veille ne s'y trouvaient plus. Mes chaussures non plus.

" On ne m'a pas déguisée mais on a quand même fait le ménage … " réalisai-je.

   A leur place, quelqu'un avait déposé une robe de chambre, plus légère que lors de mon dernier séjour, et des chaussons rouges, comme la dernière fois.

   Je jetai ensuite un coup d'œil dans le miroir pour voir l'état de ma coiffure. Mes cheveux m'arrivaient désormais aux épaules et avaient pris la fâcheuse habitude de rebiquer. Je les aplatis un peu, pour ne pas paraître trop négligée, avant de quitter ma chambre.

   Derrière la porte, une domestique m'attendait. A sa voix, je sus que ce n'était pas la même personne que tout à l'heure.

-   Bonjour Mlle Stevens ! Avez-vous bien dormi ?

 

   Je la rassurai à ce sujet et la suivis à travers le château pour prendre mon petit-déjeuner, que je devinais copieux.

 

 

   La fantastique serre de Shannon me fit la même forte impression : la profusion de plantes, de couleurs et d'animaux … Sans compter la cascade artificielle ! Seule, j'aurai pu errer des jours dans le dédale de chemins dessinés entre les différents végétaux.

   La domestique me mena à la terrasse, au centre de la serre et perdue au milieu des fleurs et des hautes herbes. La table dressée pour y déjeuner comptait déjà une convive : Tabatha.

   Elle ne portait pas la même tenue que moi mais une petite chemise de nuit noire en soie. Elle sirotait ce qui me semblait être un chocolat chaud, d'après le fumet qui se dégageait de son bol. Les jambes croisées, elle lisait un livre tout en buvant. Très classe.

   En nous entendant arriver, elle me porta un coup d'œil avant de retourner à sa lecture. Ce fut la seule fois qu'elle leva les yeux de son livre jusqu'à ce qu'on m'apporte mon petit-déjeuner. Après, elle rejeta ses cheveux en arrière puis quitta la terrasse sans un mot, non sans avoir poussé un soupir, m'indiquant ainsi que ma présence la dérangeait dans sa lecture.

   Je me renseignai sur le reste de mes camarades auprès de la domestique chargée de beurrer mes tartines. J'appris ainsi que Morgan était déjà levée mais qu'elle avait préféré prendre sa douche avant de descendre déjeuner. Tous les autres, Alexandre, Malcolm, Jade et même Shannon, dormaient encore.

-   Les cavaliers de Mlle Taylor sont rentrés vraiment tard hier soir ! Se plaignit la domestique. Et en faisant un boucan monstre ! Ils ont réveillé toute l'aile des employés à eux seuls !

   De la part des deux personnages, cela ne m'étonnait pas vraiment. J'étais même un peu horrifiée de constater à quelle vitesse je m'étais habituée à leurs excentricités.

-   Oh ! Bonjour M. Lewis !

   Je levai la tête de mon bol pour voir Malcolm s'approcher de la table, en trainant les pieds. Il ne s'était pas coiffé, était en pyjama et pieds nus. Les cernes sous ses yeux étaient impressionnantes. Il tira une chaise pour s'asseoir à table et, une fois qu'il eut posé ses fesses, laissa retomber sa tête sur la nappe dans un grand " boum ".

-   Euh … M. Lewis ? S'inquiéta la domestique. Que voulez-vous manger ?

-   Cque ou vouzer …

   Décidément, il n'était pas bien réveillé. Mais la scène était amusante et je dus me retenir pour ne pas rire.

-   M. Lewis ?

   Cette fois, il prit la peine de relever la tête.

-   Ben … Je sais pas … Je crois que je vais aller me recoucher …

   A ce moment-là, il remarqua ma présence.

-   Ah … Salut Lilian …

-   Salut Malcolm.

   Après une brève tentative de sourire, sa tête s'écrasa de nouveau sur la table.

-   Bonjour tout le monde !

   Toute pimpante après son bain, l'arrivée de Morgan contrastait vivement avec celle de Malcolm. Elle lui jeta d'ailleurs un regard interrogateur qu'elle posa ensuite sur moi : elle ne l'avait pas reconnu.

-   C'est Malcolm ! Lui soufflai-je.

-   A … Ah ?

   Elle perdit de sa fraîcheur pendant une seconde avant de revenir à la normale.

-   Je meurs de faim !

   Pendant tout le petit-déjeuner, elle n'eut aucune attention pour le cavalier et bavarda gaiement. Je trouvais néanmoins son attitude un peu bizarre, moins naturelle qu'à l'accoutumée.

   Y avait-il anguille sous roche ?

   Jade nous rejoignit à table plus d'une heure après ; Morgan et moi avions fini de déjeuner mais étions restées attablées pour discuter tandis que Malcolm n'avait pas bougé d'un pouce. Je pensais qu'il s'était rendormi malgré l'agitation autour de lui.

   Notre amie passa commande auprès d'une des domestiques et, pour éviter qu'elle n'imite le cavalier, nous échangeâmes nos impressions sur le Powerful d'hier soir et la fête en général.

-   C'était énorme ! Affirmait Morgan. " Mortellement fun " comme dirait Killian ! C'est vraiment dommage que l'on ait pas pu aller dans l'une des boîtes de nuit !

   A la tête de Jade, je compris que pour sa part elle ne le regrettait pas.

-   Dis, Morgan, tu as essayé de … de faire comme les rooks pendant le Powerful ? Demandai-je.

   D'un signe de tête, elle m'indiqua d'abord que non, avant de s'expliquer.

-   Je ne contrôle pas assez mon don pour ça.

-   Celui de Tabatha était énorme par contre, murmura Jade, endormie.

   Elle avait raison ! Je n'en avais pas cru mes yeux en voyant son don se transformer en un dragon. Cela avait été une expérience véritablement magique dont j'étais certaine de me souvenir longtemps.

-   C'était …

   Je fus coupée par un cri monstrueux amplifié par le haut plafond de la serre, qui fit frémir les tasses en porcelaine sur la table et affola les animaux cachés par la végétation.

-   ESPECE DE VERMISSEAU ! JE T'ASSURE QUE TU ME LE PAIERAS !

   Je reconnus avec stupéfaction la voix de Shannon, que je n'avais encore jamais entendu avec des intonations meurtrières. Ses vociférations eurent l'effet de sortir Malcolm de son sommeil en sursaut.

-   Q … Quoi ? Balbutia-t-il.

-   ET ATTENDS UN PEU QUE JE TROUVE MALCOLM ! JE VAIS VOUS PENDRE TOUS LES DEUX !

   Une vague de terreur passa un instant sur le visage du cavalier. Je me rappelai de ce que m'avait racontée une domestique : en plus d'être arrivés tard au château, Alexandre et Malcolm avaient réveillé les employés. Et à mon humble avis, Shannon aussi, qui était maintenant décidée à leur faire passer l'envie de recommencer. En ce moment, elle devait déjà courir après le punk, à qui elle adressait des menaces très explicites.

   En entendant quelqu'un se rapprocher de la terrasse au pas de course, Malcolm se releva puis nous adressa un regard très sérieux :

-   Je ne suis jamais venu ici.

   Et il sauta par-dessus un buisson avant de s'enfuir à travers la jungle.

 

 

   Les deux cavaliers furent retrouvés bien après par les domestiques, quand il fut sûr que la colère de Shannon était passée. Il s'avéra que l'un et l'autre avait sauté dans le bassin de la cascade et qu'ils se cachaient sous les nénuphars quand l'on passait à proximité.

   Leur mésaventure amusa beaucoup Tabatha, quand ils la lui racontèrent lors du déjeuner. Je l'avais même rarement vu aussi hilare. Jade aussi rit beaucoup et j'étais prête à parier qu'Alexandre en entendrait parler pendant longtemps.

   A la fin du repas, la reine nous informa que nous repartirions pour Denver en milieu d'après-midi. Nous avions jusque-là pour profiter du château. Je me lançai donc dans une expédition en solitaire à travers la serre, curieuse de savoir à quel point la végétation pouvait être aussi diversifiée dans un espace minuscule comparée à l'échelle de notre planète. Cela me valut de me retrouver nez à nez avec l'un de ces perroquets bavards, capable de répéter un certain nombre de mots. Il me retint ainsi pendant un bon moment, à me parler de la météo : " Je trrrrouve qu'il fait bô ! " ; " Je gèèèle ! " ; " Le temps est pourrri ! ". Quand je voulus prendre congé de l'aimable créature, celle-ci s'affola et me vola dans les plumes – au sens littéral du terme. En me débattant, je trébuchai sur un branche et me blessai au genou sur une pierre. Le sang se mit à couler mais, apparemment satisfaite, l'animal daigna enfin me laisser.

   Je me relevai en étouffant un gémissement et fus obligée d'admettre que je ne pourrai pas continuer ma promenade. Je revins sur mes pas et tâchai de regagner la terrasse, le tout en boitant.

-   C'est un vrai labyrinthe ! M'écriai-je lors d'une de mes nombreuses pauses pour reposer mon genou.

   J'aurai très bien pu appeler à l'aide mais je ne voulais pas en arriver à cette extrémité. Ma situation était tellement ridicule ! Perdue dans une serre après s'être fait agresser par un perroquet ! Hors de question que quiconque soit au courant, j'avais ma fierté.

   Je poursuivis ma route en boitant, maudissant à chaque pas mes amis les piafs. Je finis toutefois par retrouver la terrasse grâce à un extraordinaire coup de chance : des herbes avaient été aplaties lors de la fuite de Malcolm ; je n'avais plus eu qu'à les suivre.

   Je m'assis sur une chaise et inspectai ma plaie. Le sang ne coulait plus mais il allait falloir que l'on désinfecte ma blessure. Une sonnette était posée sur la table de manière à appeler les domestiques. Je m'en servis et, une minute après, quelqu'un se trouvait auprès de moi.

   Je montrai à l'employée mon genou, qui s'enquit de la manière dont je me l'étais écorchée. Je lui racontais que je m'étais baladée dans la serre et que j'avais par inadvertance trébuchée – j'omis l'épisode du perroquet.

-   Et bien … Vous pouvez vous rendre auprès de M. Maximilien, me renseigna la domestique.

-   Qui est-ce ?

-   Un excellent ami à Mlle McKeon, il est médecin et à son propre bureau au château. Je vais vous y conduire.

-   Ne prenez pas cette peine, je peux marcher. Dîtes-moi simplement où est son cabinet.

   Elle eut une moue désapprobatrice mais ne pouvait pas aller contre mes envies. Elle m'expliqua en détail le trajet à prendre ; heureusement le bureau du médecin n'était pas très loin de la serre. Elle s'apprêtait ensuite à reprendre ses activités, après m'avoir de nouveau proposée son aide, quand je lui fis part d'une remarque :

-   Je n'ai jamais vu M. Maximilien, habite-t-il ici ou a-t-il seulement son cabinet ?

-   Oh ! Il vit bien au château mais il n'aime pas beaucoup sortir de ses quartiers, surtout quand il y a des invités. Habituellement, il prend ses repas avec Mlle McKeon.

   Je remerciai la serviable employée et me mis en route jusqu'au bureau du mystérieux Maximilien.

 

 

   Je tournai dans le couloir entièrement blanc que l'on m'avait indiquée et aperçus la porte en bois clair qui marquait l'entrée des appartements du médecin et de son cabinet. Je claudiquai jusqu'à la porte puis tournai la poignée ronde sans le moindre bruit.

   La pièce dans laquelle j'arrivais était l'équivalent d'une salle d'attente. Les murs étaient également blancs et les chaises en osier. Les seuls agréments étaient quelques tableaux aux couleurs claires qui ornaient les murs et les inévitables plantes vertes, typique de la demeure de Shannon. Dans un angle, se trouvait un escalier que la domestique m'avait dit menée aux quartiers de Maximilien.

   Il y avait deux portes : derrière celle en métal se trouvait une salle d'opération - ce qui rappela à ma mémoire que Jade avait été soignée la première fois que nous étions venues, après qu'elle se soit fait tirer dessus – et une autre en bois assortie à celle qui conduisait à la salle d'attente. C'était cette porte qui m'intéressait puisque c'était celle du cabinet. En m'en approchant, je remarquai qu'elle était légèrement entrouverte.

   J'agrippai la poignée pour ouvrir la porte quand des murmures me parvinrent.

" Maximilien reçoit déjà quelqu'un … ? "

   En effet, en tendant l'oreille je pus parfaitement entendre la conversation :

-   Tu sais très bien que je ne peux pas …, soupira une voix douce, probablement celle du médecin.

-   Ne me raconte pas des âneries pareilles !

   Je fus très étonnée de constater que l'interlocuteur de Maximilien était Tabatha. La voix de cette dernière avait été très froide, presque menaçante.

-   Tu ne veux pas !

-   D'une part, oui, mais de l'autre je ne peux vraiment pas.

-   Tu sais que j'en ai besoin !

   Je tressaillis. La reine ne parlait plus, elle rugissait. Je redoutais de savoir ce qu'elle me ferait subir si elle découvrait que j'avais assisté à cette conversation, certainement privée.

-   Cela fait quatre jours que je n'ai pas dormi, il m'en faut absolument !

-   Tu sais parfaitement que dans ton cas, des somnifères ne règleront rien. Et ce, pour deux raisons. Que je me tus à te répéter depuis des années, d'ailleurs.

   Tabatha lâcha l'un de ces " Tss " habituels.

-   Je t'accorde que la première des raisons est … difficile à régler, s'expliqua Maximilien, avec un embarras certain. Mais pas la deuxième.

   Je ne voyais pas la scène, pourtant j'imaginais très bien la reine lever les yeux au ciel.

-   Tu dois te faire soigner, Tabatha. Tu devrais consulter un psy.

-   Un … un psy ? Et puis quoi encore ? S'indigna-t-elle. Je vais très bien.

-   Bien entendu. C'est bien pour ça que tu insomniaque depuis bientôt trois ans, lui répliqua le médecin avec sarcasme.

   L'un d'entre eux repoussa sa chaise avant d'attraper un objet et de le lancer par terre. Je devinais aisément qu'il s'agissait de Tabatha.

-   Ça ne sert à rien de me servir l'une de tes crises de gamine, lui dit Maximilien d'un ton parfaitement neutre. Ça ne marche pas avec moi.

-   POURQUOI, POURQUOI TU NE VEUX PAS M'EN PRESCRIRE ?!

   La reine devenait complètement hystérique et je sentis des frissons sur ma peau.

-   J'EN AI BESOIN ! SI JE N'EN PRENDS PAS, JE VAIS DEVENIR FOLLE ! JE VEUX DORMIR ! JE NE SUPPORTE PLUS MES NUITS BLANCHES !

   Sa voix paraissait sur le point de se briser.

-   Va voir un psy.

-   Vous tous, vous n'avez que ce mot à la bouche ! C'est pourtant bien de votre faute si j'en suis là ! Il est un peu tard pour se préoccuper de moi !

   Pour la première fois, Maximilien parut mis en difficulté. La pique de Tabatha devait trouver écho chez le médecin.

-   Je suis désolé, Tabatha, je ne peux pas, finit-il par répondre.

-   Je demanderai au Grand Chef de t'ordonner de m'en donner, rétorqua-t-elle. Tu n'auras pas d'autre choix que de t'exécuter.

-   Je ne suis pas sûr qu'il me le demande. Parce que quand je lui aurai expliqué que même si je te prescrivais des somnifères, tu ne dormirais pas plus et que, désespérée ou dans une crise de folie, tu risquerais d'ingérer une dose de médicaments trop importante qui te tuerait, il se rangera certainement à mon avis, qui est que tu te rendes chez un psy.

   Le Grand Chef … Ce n'était pas la première fois que j'entendais ce nom. Mais je ne savais pas précisément quel poste il avait au sein de la Knight Guild, même si je comprenais bien que c'était un homme important. Par contre, quel rapport avec Tabatha ? N'importe qui ne pouvait pas déranger le genre de personne comme je pensais qu'était le Grand Chef. Surtout pour une histoire de somnifère.

-   Je te hais.

   Même s'ils ne m'étaient pas destinés, les mots de Tabatha me blessèrent profondément. Je n'aurai souhaité pour rien au monde être à la place de Maximilien.

   Le silence qui suivit la funeste phrase de la reine me fit comprendre qu'il était temps pour moi de me retirer. J'en avais déjà trop appris. Moi et mon irrépressible curiosité !

   Je sortis telle une ombre de la salle d'attente, aussi vite que me le permit mon genou mal en point, la tête pleine de questions.

" C'est pourtant bien de votre faute si j'en suis là ! "

   En était où ? Quelle faute ? De la part de qui ? Que s'était-il passé il y a de ça presque trois ans d'assez terrible pour donner des insomnies à Tabatha ?

   Et hormis les concernés, qui était au courant ?

   Je me rappelai soudainement du " monde intérieur " de la reine, où je m'étais rendue avec les pouvoirs du Carreau. Je me souvenais parfaitement de l'irrépressible mélancolie qui m'avait broyée le cœur quand j'étais là-bas.

   De la terrible solitude qui y régnait …

 

 

   Sur la terrasse, Shannon prenait le thé. Je venais de rincer ma plaie et l'avais recouverte d'un pansement que j'avais obtenu auprès des domestiques – je n'avais pas osé retourner au cabinet de Maximilien après l'avoir quitté. J'avais ensuite cherché mes amies mais personne n'avait pu me dire où elles étaient passées. J'espérais que Shannon le pourrait.

-   Lilian ! S'écria-t-elle en me voyant venir. Jade et Morgan te se demandaient où tu étais !

-   Justement, moi aussi. Où sont-elles ?

   L'aristocrate eut un geste approximatif de la main :

-   Dans les jardins …

   Ma blessure me lançait encore un peu (le perroquet ne m'avait pas loupée) et je ne me sentais pas le courage de courir à travers le parc de l'irlandaise. Je m'assis donc à table avec elle.

-   Il n'est pas un peu de tôt pour prendre le thé ? L'interrogeai-je.

-   Il est toujours l'heure ! Contesta-t-elle avec le sourire.

   Je souris à mon tour et regardai Shannon déguster sa boisson. La vue de ses traits détendus étaient très reposant et m'apaisa. Je ne pus néanmoins m'empêcher de me demander si la belle rousse était au courant ce que reprochait Tabatha à Maximilien.

-   Mlle McKeon !

   Shannon leva la tête de sa tasse de thé pour voir un commis arrivé. Il tenait dans ses bras ce que j'identifiais comme un bouquet recouvert d'un voile de plastique pour conserver l'humidité. Avec une exclamation de surprise, l'aristocrate le regarda le déposer sur la table.

-   Si vous voulez bien signer le reçu, M'damoiselle, la pria-t-il ensuite en lui tendant une feuille de papier et un crayon.

   Elle s'exécuta immédiatement et le commis repartit tout de suite après. Je m'intéressais alors au bouquet.

   Ce n'en était pas un, en fait, mais une composition florale. L'artiste avait reproduit une forêt, sur une surface rectangulaire d'approximativement trente sur cinquante centimètres, avec deux sortes de fleurs, toutes les deux bleus. Le parterre, des arbres … Je n'en croyais pas mes yeux. Chaque construction était magnifiquement travaillée et unique.

-   Je reconnais bien son œuvre …, chuchota Shannon, rêveuse.

-   A qui ? A l'expéditeur ?

-   Non, non ! Seulement à celui qui a réalisé ce chef d'œuvre. Son don lui permet de modeler à sa guise tous les végétaux …

   Ainsi, il était doué. Non pas que cela casse l'aspect merveilleux de sa composition.

-   Qui te l'a envoyé alors ? Ton petit ami ? Plaisantai-je.

-   Je ne pense pas non. Mais je crois savoir … Pour en être sûre, il faudrait que je retire le plastique … Oh, non, je ne peux pas faire ça …

   Elle s'accorda quelques secondes de réflexion avant de braquer son regard vert sur moi avec un sourire taquin.

-   Je suis chez moi, après tout ! Je peux faire tout ce que je veux !

   Et sans plus attendre, elle retira l'attache maintenant le plastique, qui tomba comme la corolle d'une fleur autour de la composition. Je pus ainsi admirée l'œuvre de plus près. Le travail était admirable ! Les tiges des fleurs ressemblaient trait pour trait au tronc noueux d'un arbre et des gouttes d'eau perlaient sur les pétales qui représentaient les feuilles. Une forêt bleue et verte …

   Shannon ramassa une petite carte blanche sur laquelle se trouvait le nom de l'expéditeur de la composition florale. Je voulus lui demander de qui il s'agissait mais elle ne m'en laissa pas le temps :

-   Voyons, voyons … Si ça vient de Torstein, les fleurs doivent avoir une signification …

   Je m'attardai sur les fleurs ; je n'en avais jamais vu de pareilles.

-   Quand tu dis qu'elles ont une signification, tu veux dire dans le langage des fleurs ?

   Shannon opina.

-   Celle-ci, vois-tu, m'expliqua-t-elle en me désignant l'une des deux espèces de fleur, est une agératum multicolore. Et dans le langage poétique qu'est celui des fleurs, elle signifie " bien le plus précieux ". La deuxième est une bourrache bleue.

   Elle eut un petit rire.

-   Que veut-elle dire ? Me renseignai-je.

-   " Aimée depuis longtemps " !

   Je poussai un petit sifflement, impressionnée.

-   Dis donc ! Celui qui t'envoie ça est un vrai romantique !

-   Ah mais … Ce bouquet n'est pas pour moi.

-   Quoi ? Mais à qui alors ?

   L'aristocrate retira l'une des fleurs de la composition pour l'examiner de plus près.

-   Pour Tabatha.

   Il y avait donc des hommes qui lui envoyaient de tels cadeaux ! Enfin, il devait bien falloir ça pour rendre hommage à sa beauté. Je continuai à contempler l'œuvre ; si le doué qui l'avait réalisée était si talentueux que le laissait entendre Shannon, il avait sans doute été payé par l'expéditeur pour le concevoir, et pas qu'un peu.

   Un détail attira mon attention au milieu de la " forêt ". Je m'approchais pour vérifier que je ne l'avais pas rêvé. Après quelques secondes d'observation, je fus convaincue qu'il y avait quelque chose de caché au milieu de la composition et j'en fis part à Shannon. Elle observa à son tour puis passa sa main au milieu des arbres. Quand elle la retira, elle tenait ce qui me semblait être une boîte à bijoux ou a musique bleue, merveilleusement ouvragée, cernée de perles. L'irlandaise mit sa main devant sa bouche tout en poussant une exclamation de surprise.

-   Quelle petite merveille ! Je suis sûre qu'il y a quelque chose à l'intérieur !

   Elle s'empressa de lever le loquet mais je la mis en garde.

-   Cette boîte et son contenu doivent être destinés à Tabatha … On ne devrait peut-être pas l'ouvrir …

   Shannon ne m'écouta pas et souleva le couvercle. Aucune musique ne se mit en marche, c'était donc bien une boîte à bijoux. Les yeux de l'aristocrate s'agrandirent. Les miens aussi quand elle sortit ce que contenait la cassette.

-   Ce … Ce n'est quand même pas …, balbutiai-je.

-   Oh que si, Lilian. C'est un saphir.

   Aussi large que mon poing, la pierre précieuse était sertie de perles blanches qui contrastaient avec sa couleur sombre et était la pièce maîtresse d'un collier. Elle pendait au bout d'une fine chaîne en argent que l'on remarquait à peine, donnant certainement l'impression – quand on portait le collier – que la pierre tenait seule.

   La main de Shannon disparut à nouveau dans la boîte à bijoux.

-   Il … Il y a encore autre chose ?

   Quel autre cadeau pouvait tenir la comparaison avec un saphir ? J'étais un peu affolée de le voir, surtout en constatant que Shannon était émue rien qu'en le regardant.

   Pourtant, quand elle sortit, je constatai qu'il s'agissait d'une bête fleur blanche. Coûtait-elle donc affreusement cher pour que l'aristocrate en ait les larmes aux yeux ? Une solution alternative m'apparut cependant :

-   Quelle est cette fleur ?

-   Une immortelle …, souffla Shannon en la posant contre son cœur.

-   Et que représente-t-elle ?

-   Un amour éternel. Il lui en offre donc toujours …, ajouta-t-elle ensuite pour elle-même.

   Une composition florale certainement hors de prix et d'une beauté sans nom, une boîte à bijoux d'un raffinement rare, un saphir de taille conséquente et une fleur jurant un amour éternel …

-   Qui est celui qui envoie tout ça à Tabatha ? Demandai-je à Shannon.

-   Torstein …

   Devant mon air interdit, elle précisa :

-   Le Grand Chef.

 

"  Veux-tu que je passe te prendre en voiture demain matin ?  "

   Je m'empressai de répondre à Anthony, maintenant que j'avais réintégré mon chez moi.

"  Oui, merci beaucoup ^^ "

-   Pff … Tu peux me dire à qui tu réponds comme ça ?

   Je sursautai et faillis laisser échapper mon téléphone de mes mains.

-   Ki-ki-killian ! Ça ne va pas d'apparaître comme ça dans mon dos ?!

-   Ça m'apprendra à vouloir prendre de tes nouvelles, tiens ! Pesta-t-il.

   Je tâchai de me remettre de ma frayeur en respirant calmement. Quand ce fut le cas, je m'enquis de la raison de la venue de la tour à mon domicile.

-   Ben … Je voulais savoir …

   Il s'installa au bord de mon lit.

-   Enfin, je suis chargé de ta sécurité aujourd'hui et je me suis dit que je pouvais en profiter pour te demander … ce que tu avais pensé de la fête.

   Ses yeux trop sombres brillaient ; il était impatient d'avoir mon avis.

-   C'était génial, lui assurai-je. Sauf quand des fous furieux s'en sont pris à nous, bien sûr.

   Killian haussa les épaules.

-   Si c'est que ça ! Le Powerful était monstrueusement fun ! Enchaîna-t-il immédiatement. Tabatha est un vrai monstre !

   Qu'il évoque la reine me fit penser à la conversation que j'avais surprise chez Shannon et aux splendides cadeaux qu'elle avait reçus. Le rook perçut une gêne de ma part.

-   Ça ne va pas ?

-   Si, si … Mais …

   Je cherchai mes mots, mes pensées allaient trop vite pour que je puisse les traduire oralement.

-   Il … Il y a des tas de choses que je ne comprends pas et …

-   Comme ? S'intéressa Killian.

-   Tabatha …, lâchai-je. Et … Et tellement d'autres …

-   Si ça peut te rassurer, je ne la comprends pas non plus.

" Il est un peu tard pour se préoccuper de moi ! "

   Jamais je n'avais connu la reine aussi hystérique, même pas quand elle avait appris la fusion de la Knight Guild et de la Rook Guild puis l'adhésion de l'équipe de Stanislas à la sienne. Ses hurlements dans le cabinet du médecin avaient été si … désespérés !

-   Tu sais, tu n'as pas à t'occuper d'elle, me certifia le rook. Chacun a ses propres problèmes et ce n'est pas à toi de régler les siens.

-   Pourquoi ?

-   Qu'est-ce que tu veux lui dire ? " Si tu as des soucis, tu peux m'en parler " ? Elle va te rire au nez !

-   Mais … Si elle en a vraiment … Ça lui ferait peut-être du bien d'en parler …

-   Parce que toi tu déballes ta vie à de quasi-inconnus ? Railla Killian.

-   Je ne suis pas une quasi-inconnue, protestai-je.

-   Tu n'es pas sa copine pour autant. Si elle veut vider son sac, elle a Malcolm et Alexandre, qu'elle a quasiment connu en couche culotte si j'ai bien compris ce qu'a baragouiné Stanislas.

   Le ton employé par la tour était suffisamment dur pour m'empêcher de remettre en cause ce qu'il avançait. Les idées se mélangeaient néanmoins toujours dans ma tête, mais de manière moins douloureuse.

   Killian et moi restâmes silencieux un petit moment, moi rangeant mes pensées dans les cases appropriées de mon cerveau, lui m'observant en plein rangement. Au bout d'un moment cependant, il pointa mon téléphone du doigt.

-   Tu écrivais à qui quand je suis arrivé ?

   En effet, mon message attendait toujours sur l'écran, prêt à être envoyé.

-   À Anthony.

-   Noon ?

   Je fronçai les sourcils.

-   Pourquoi ce " noon " ? m'inquiétai-je.

-   Tu envoies à ton petit copain des " Merci beaucoup " ?

   La chose semblait beaucoup l'amuser et cela me gênait.

-   C'est … C'est quoi le problème ?

   Killian éclata de rire, franchement cette fois.

-   Mais enfin, on croirait que tu réponds à un message de ton père !

   Il se bedonnait sur mon lit, tout seul. Je craignais que ma mère ne finisse par l'entendre du rez-de-chaussée.

-   Ça suffit maintenant ! Lui intimai-je. Qu'est-ce que je devrais écrire selon toi ?

-   Déjà, tu pourrais caser son prénom dans ta phrase. Son prénom, hein, parce que je suppose que tu ne l'appelles pas " chéri " ou " mon cœur ", non ?

-   De quoi je me mêle !

-   Mettre son prénom marquerait une certaine proximité, continua la tour. Et que c'est bien lui qui t'appelle et pas un autre bouffon du lycée.

   Je me mis à méditer les paroles du rook. Effectivement, il n'avait pas tort, quand j'y réfléchissais. Je casai donc après mon " Merci beaucoup " un " Anthony " bien senti.

" Oui, merci beaucoup, Anthony ^^ 

   C'est sûr que, tout de suite, ça rendait mieux. Pourquoi n'avais-je pas pu m'en apercevoir, non seulement avant, mais également toute seule ?

-   Je suis vraiment nulle …, soupirai-je.

-   Hé ho ! Ce n'est qu'un sms ! Paniqua Killian. Pas la peine de se déprécier à cause de ça !

   Je savais que là-aussi il avait raison mais c'était un vrai problème chez moi. La moindre critique ou reproche et je commençais à me dévaluer.

" Je ne veux pas rompre une nouvelle fois parce que je fais n'importe quoi. Il faut absolument que je sois plus démonstrative, plus … "

   J'entamai mentalement une liste de " plus " dont chaque nouveau point me déprimait parce que je savais que je ne serai pas capable de m'y tenir. Étais-donc si mauvaise en amour ?

-   Mais non ! Argua la tour.

-   De quoi ? Je n'ai rien dit.

-   Tu as pensé très fort alors, parce que moi je t'ai entendu.

   Je gémis. Killian me laissa de nouveau un instant en tête à tête avec moi même pendant quelques minutes. Passé ce délais, il se dirigea vers la moindre hésitation vers mon armoire et l'ouvrit en grand, laissant à découvert tout ce qu'elle contenait, y compris mes sous-vêtements.

-   Hé ! Protestai-je. Referme !

-   Montre-moi ce que tu comptes mettre demain pour aller au lycée dans la voiture de ton petit copain.

-   C'est une blague ?

   Le rook resta fermement planté devant le meuble. Constatant que je n'avais pas l'intention de bouger, il porta son attention sur mes vêtements et commença à les examiner avant de se mettre à les trier.

-   Non, ça c'est nul … Ça aussi … Pourquoi pas ce truc …

   Cette fois, je me précipitai sur lui, roulai en boule les vêtements qu'il avait sortis dans l'armoire puis en refermai les battants.

-   Mais qu'est-ce que tu fais ! M'insurgeai-je. Tu veux que je vide ta penderie moi aussi ?

-   Si tu n'as rien de mieux à faire …

-   Je ne rigole pas !

-   Moi non plus !

   Killian inspira un grand coup.

-   Écoute-moi bien. Tu as déjà cassé une fois avec ton copain, pour des raisons que je crois avoir plus ou moins devinées, et tu as été malheureuse comme les pierres, si ma mémoire est bonne. Tu me coupes si je me trompe surtout. Je continue, reprit-il après une légère pause. J'ai HORREUR des histoires d'amour qui finissent mal, tu m'entends ? HORREUR ! Dans la mesure du possible, j'aimerai t'éviter de traverser une nouvelle rupture et d'avoir à te tendre des mouchoirs alors désormais, considère-moi comme ton coach sentimental. Appelle-moi coach, d'ailleurs.

   Comme je ne répondais rien, n'étant pas encore très sûre d'avoir compris ce qu'il venait de me dire, il explicita :

-   Tu vas devoir m'obéir au doigt et à l'œil.

   La bouche grande ouverte, je commençais à vraiment assimiler ce qu'il m'avait racontée.

-   Oh mon dieu …

-   Appelle-moi " coach ", je t'assure que ça suffira !

 

 

 

 

Cela fait un bon moment que j'ai terminé ce chapitre mais j'ai attendu des commentaires de ceux qui les ont lus. Je mets ce chapitre en ligne avec deux semaines en retard, en espérant que vous serez un peu plus bavards la prochaine fois. Je n'attends pas de vous des pages et des pages, mais même si c'est pour dire que vous avez lu le chapitre, n'hésitez pas pas à mettre un commentaire, cela fait toujours plaisir.

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16 octobre 2010 6 16 /10 /octobre /2010 19:52

chapitre 2 - rave

 

   J'étais toute excitée à la perspective de découvrir une partie de l'univers de la Rook Guild. Killian, qui n'en était pourtant pas à sa première fête, l'était tout autant que moi. Je me doutais des grandes lignes, mes années de lycée à côtoyer des populaires m'ayant amenée à participer à ces fêtes dites de « jeunes » mais je savais qu'en même temps, cela ne pouvait qu'être différent. La Rook Guild comme la Knight Guild disposaient de fonds d'argent absolument incroyables et une partie devait être dépensée par ses jeunes membres en ce genre de rassemblements. Les proportions que cela devait prendre devaient être sans commune mesure avec ce que je connaissais déjà.

   Ce n'était pas sans risque, nous avait toutefois prévenues Stanislas. Avec Jade et Lilian, nous allions devoir éviter de porter des jupes ou des décolletés, ainsi que tout ce qui pouvait se révéler un tant soit peu sexy, car nous n'avions pas de moyens de nous défendre face à des, dans le meilleur des cas, tripoteurs intempestifs que comportaient inévitablement ces fêtes. Et qui possédaient des dons et pour une partie ne pratiquait pas moins de trois styles d'arts martiaux différents. Le mien, de don, ne les empêcherait pas de faire grand chose.

« C'est vrai qu'une matraque est plus pratique dans ce genre de cas. Ou bien une bonne batte de baseball » avait reconnu la voix.

   J'avais donc opté pour un short et un tee-shirt, avec des bottes.

« Ton short est plus court que la jupe que tu voulais mettre. »

« Il est hors de question que je mette un pantalon. Je vais crever de chaud. Et je n'aime pas les pantalons. »

   Elle grogna quelque chose comme « Faudra pas qu'elle vienne se plaindre si un pervers l'attire dans un coin sombre » mais ne répliqua rien d'autre. Tant mieux. J'avais autre chose à faire que de me disputer avec elle. Car Malcolm assistait lui-aussi à la fête de ce soir.

   La scène de mon premier baiser me revint en mémoire comme une grande claque. On ne pouvait pas dire que je regrettais de l'avoir fait – bien que j'aurais préféré le faire en sachant ce que mon partenaire en pensait ou sans avoir l'épaule en compote, et ne pas être en train de me noyer – mais … C'était extrêmement gênant.

   Le reste de notre séjour à Miami, après que l'on m'ait recollé tous les os du corps, nous nous étions comportés comme si rien ne c'était passé, avec Malcolm. Il était vrai que ce n'était pas un sujet facile à aborder. J'avais quand même préparé plusieurs manières de lui présenter les choses si nous en venions, un jour, à en parler.

   Solution 1 : « Peut-être que tu te demandes pourquoi je t'ai embrassé alors que tu essayais de me remonter à la surface ? Ne cherche pas : je t'aime et comme je pensais crever, j'ai osé. Si tu pouvais ne pas trop m'en vouloir, ça serait pas mal. »

   Solution 2 : « Mon cœur bat pour toi depuis le début, Malcolm ! N'as-tu pas senti mon amour infiltré chaque parcelle de ton corps lorsque nous avons échangé ce doux baiser ? Je souhaite passer ma vie à tes côtés et ne jamais avoir à te quitter, sans quoi je mettrais fin à mes jours. »

   Solution 3 : « Hahaha, t'as eu peur ? C'était une blague ! »

   Solution 4 : « De quoi parles-tu ? Je ne me souviens pas t'avoir un jour embrassé. »

   Chacune de ses possibilités comportait des inconvénients. La première était un poil direct, la deuxième un brin ridicule, la troisième me faisait passer pour quelqu'un possédant un sens de l'humour plus que douteux et la dernière ne faisait que contourner le problème.

« Tu es bien consciente que tu t'agites dans le vide ? Ton knight, là, il a pas l'air de vouloir mettre les pieds dans le plat. Un conseil : passe à autre chose. Il ne voudra jamais d'une fille qui lui a explosé le pif. »

« C'était de ta faute, je te rappelle. »

« Va donc lui expliquer ça, tiens. Va lui dire que tu entends une voix dans ta tête ! Pas sûr que ce soit ton atout séduction. »

   Mon portable vibra sur mon bureau et je m'en emparais. Le message que je venais de recevoir venait de Killian et disait simplement :

« Je suis en bas de chez toi. Dépêche-toi d'arriver. »

   J'enfournai mon portable dans ma poche puis descendis les escaliers le plus doucement possible : il était plus de onze heures du soir et j'étais censée être couchée. Mes parents risquaient d'être surpris de me trouver tout habillée s'ils se réveillaient. Je sortis par la porte au fond du garage, en prenant soin de la refermer sans émettre le moindre bruit.

   Killian s'était garé un peu plus loin dans la rue ; je reconnus le 4x4 qu'il avait pris pour nous conduire à la fête, c'était celui qu'avaient emprunté les garçons pour se rendre à Miami. Ayant dû me voir dans son rétroviseur, le rook descendit de son véhicule avec un homme d'une trentaine d'années que je ne me souvenais pas avoir déjà rencontré.

-   C'est lui qui va te remplacer, m'expliqua simplement Killian en me désignant l'inconnu.

-   Comment dois-je rentrer chez vous ? enchaîna le trentenaire.

-   Par la porte à l'arrière du garage. Ma chambre se trouve à l'étage et j'ai laissé sa porte ouverte pour qu'on la trouve plus facilement. J'ai posé mon pyjama sur mon lit.

   Dormant habituellement en petite tenue, c'est-à-dire en culotte avec un vieux tee-shirt, j'avais dû fouiller dans les affaires de ma mère pour m'en dégoter un convenable. J'espérais que le doué apprécierait l'effort.

-   Bien.

   Il se dirigea immédiatement vers ma maison, sans dire un mot de plus. Le visage de Killian s'éclaira alors d'un large sourire.

-   On est parti !

   Nous montâmes dans le tout-terrain ; Jade et Lilian étaient déjà installées, la première à l'avant et la seconde sur la banquette arrière, où je la rejoignis. Je constatais ainsi que ma tenue était la plus osée de notre groupe, les deux filles portant toutes les deux un pantacourt, l'un en jean, l'autre en tissu, et un tee-shirt avec un pull léger.

« Finalement, la batte de baseball n'était peut-être pas une si mauvaise idée. »

« Bien évidemment : c'était la mienne. »

 

-   Où se trouve la fête ? S'enquit Lilian auprès de Killian.

-   Où sont Tabatha et Malcolm ? Et Alexandre ? M'inquiétai-je à mon tour.

-   Pour répondre à Morgan, les knights nous retrouvent à la Porte. Pour Lilian : je ne sais pas. Les participants à la fête doivent se retrouver à Los Angeles, après seulement on nous indique où aller.

-   Les knights nous attendent donc à la Porte qui va nous permettre de gagner Los Angeles depuis Denver ? Insistai-je.

   La tour opina.

-   Les voilà, d'ailleurs.

   La voiture de Tabatha était en effet garée dans une ruelle, nous guettant. Nous les dépassâmes et ils nous suivirent.

Nous finîmes par arriver devant l'entrée d'un parking souterrain. Killian avança le 4x4 jusqu'à un interphone, où il sonna.

-   Oui ? Grésilla une voix.

-   Il fait beau ce soir, lui répondit le rook avec flegme. Et les passagers de la voiture de derrière sont d'accord avec moi.

   Le portail du garage s'ouvrit avec un bruit d'engrenages et nous nous engageâmes. Mais à l'instant où l'extrémité du capot s'engouffra dans le parking, tout ce qui nous entourait s'effaça. Il n'y avait plus rien de matériel et notre véhicule paraissait flotter dans un univers blanc.

   Cela ne dura néanmoins qu'une seconde, comme un flash. L'instant d'après, nous nous retrouvâmes dans une file de voitures, dans un parking souterrain semblable à celui qui s'était trouvé face à nous juste à l'instant, sauf que celui-ci était à Los Angeles. Je me retournai et constatai que Tabatha et ses cavaliers étaient toujours derrière nous.

   La queue avançait rapidement et, en quelques minutes, ce fut à notre tour d'être contrôlé. Deux responsables avec des gilets fluorescents jaunes nous demandèrent de baisser notre vitre, l'un debout et l'autre assis devant un petit ordinateur portable.

-   Noms et prénoms ? Se renseignèrent-ils

-   Killian Reese, Jade Takano, Lilian Stevens et Morgan Jones, énonça Killian.

   L'agent qui nous avait demandé nos patronymes fronça les sourcils et nous dévisagea, Lilian, Jade et moi, avant de les transmettre à son pair. Il pianota aussitôt sur sa machine – je devinais qu'il vérifiait que nous étions, à défaut d'être sur la liste des invités, au moins répertoriés dans leur base de donnés, pour vérifier que nous ne soyons pas de parfaits inconnus.

-   C'est bon, ils peuvent y aller, valida-t-il.

   Le premier responsable allait nous le répéter quand Killian ajouta :

-   Dans la voiture de derrière, il y a Tabatha Taylor, Malcolm Lewis et Alexandre Evans, les membres de la quatrième équipe knight. Comme ils sont chargés de la protection des Trois Immortelles (il nous désigna d'un signe de tête), ils doivent nous accompagner.

   De nouveau, l'intermédiaire nous lorgna avant de se tourner vers son partenaire. Ce dernier, derrière son écran, hocha la tête en signe d'approbation.

-   Pas de problème, nous garantit l'agent. La Porte est à la sortie du parking.

-   Merci !

   On nous fit signe d'avancer, ainsi qu'aux knights. Nous gagnâmes la sortie du garage et là, sur le même procédé que tout à l'heure, nous empruntâmes la Porte qui allait nous mener à la fête.

 

 

   C'était une vaste plaine où l'on avait aménagé des places pour garer les différents moyens de transport (motos ou automobiles) avec des barrières métalliques et des cordons blancs et rouges en plastique. La plupart était prise et nous dûmes passer devant de nombreuses allées avant d'en trouver une.

   C'était une nuit très sombre et j'eus un peu la chair de poule en sortant du tout-terrain.

« J'aurais dû faire comme Lilian et Jade et embarquée un pull … »

   Nous longeâmes l'allée de voitures puis attendîmes que nos camarades aient trouvé une place.

   Quand ils nous eurent rejoint, Killian nous fit sortir du parking improvisé et nous guida jusqu'à une nouvelle queue, de gens cette fois.

-   Pour emmener les participants sur le lieu de la fête, nous expliqua-t-il, un service de bus ait mis en place. Mais il faut attendre son tour.

   Tabatha soupira bruyamment et croisa les bras sur sa poitrine alors que Malcolm et Alexandre étaient enthousiastes, sous l'effet de l'adrénaline.

   Je profitais de ce sursis occasionné par l'attente des bus pour détaillé le style vestimentaire des personnes qui m'entouraient. Les knights et Killian n'étaient pas habillés différemment de d'habitude, je me préoccupais donc de celles qui attendaient devant nous. Et autant dire que cela tranchait net avec l'impression très « vieille époque » que j'avais de la Knight Guild.

   Les rooks avaient des looks typiques de notre siècle, très modernes. Les filles portaient des mini-jupes très courtes avec des décolletés affolants accompagnés de bijoux très voyants et d'un maquillage très marqué. Les garçons de leur côté avaient des cheveux longs coiffés au gel, des chemises entièrement ouvertes et des pantalons taille basse. Après, on en trouvait avec des styles très typés, comme Killian ou Alexandre – des rockers et des punks – ou encore comme April, avec des looks venus d'Orient qui associaient souvent du noir à des couleurs fluos dans leurs vêtements ou leurs cheveux, quand ils avaient des mèches. Que Stanislas ne se rende pas à ces fêtes ne m'étonnait pas finalement : il était beaucoup trop « classique ». Cette pensée m'attira un sourire et je jetai un coup d'œil à Jade et Lilian. On ne les imaginait pas non plus y participer.

   Au bout d'une dizaine de minutes, nous arrivâmes au bout de la file et pûmes monter dans l'un des autocars. Jade, Killian, Tabatha, Alexandre, Malcolm et moi dûmes rester debout, en nous accrochant où nous le pouvions pour ne pas tomber lors du parcours. Les responsables chargés de superviser la montée dans les bus trouvant que le nôtre n'était pas assez plein, ils demandèrent à d'autres fêtards d'y grimper. Tout le monde dut se serrer pour leur faire de la place et je me retrouvais collée à Malcolm. Malheureusement pas contre son torse, comme pendant le bal de promo, mais tout de même. Cette soudaine proximité fit battre mon cœur plus vite bien que je tâche de ne pas le laisser paraître.

« Écarte-toi ! »

   J'ignorais la voix, trop heureuse. De plus, Malcolm ne chercha pas à s'éloigner. D'accord, sûrement parce qu'il ne pouvait pas plus bouger que moi – serrés comme des sardines que nous étions – mais je ne m'en préoccupais pas plus que ça.

   Collés serrés, le trajet en bus fut trop court à mon goût. Mais une fois descendue, ma petite déception fut oubliée. Nous n'étions pas encore tout à fait arrivés à la fête que déjà la musique se faisait entendre. Avec Jade et Lilian, nous nous regardâmes : nous avions toutes les trois hâte de voir à quoi une fête de la Rook Guild pouvait ressembler.

 

 

   C'était tout bonnement énorme. Mille fois plus intense que toutes les fêtes des richards du lycée. « Mortellement fun » comme disait Killian.

   Sur tout le site, un dizaine de scènes avait été installée, où des groupes et des D-J se produisaient devant une foule chaque fois en délire. Au fond avait été installé un chapiteau sous lequel se dressait la plus grande des scènes. Il était impossible d'y rentrer, à moins de vouloir mourir asphyxié et sourd, le nombre de spectateurs dépassant de loin la véritable contenance de la salle et les musiciens n'ayant pas lésiné sur le volume des amplis.

   Des bâtiments métalliques de forme cubique, de taille moyenne étaient édifiées ça et là, et de nombreuses personnes attendaient de pouvoir y rentrer. Je demandais à Killian – le seul à être rester avec nous, les cavaliers s'étant dépêchés de partir à la découverte du site, accompagnés de Tabatha – ce que c'était. Il s'agissait en réalité de mini-boites de nuit qui proposaient à leurs clients des attractions dites « spéciales ». Notre accompagnateur avait refusé de nous en dire plus, prétextant qu'il préférait gardé la surprise de notre découverte intacte.

   Des fumigènes et des lumières de toutes les couleurs étaient projetés sur le sol et dans le ciel, rendant la foule diffuse. De tous les côtés, on trouvait de la musique à s'en percer les tympans et des danseurs frénétiques. A intervalle régulier, des bars et des stands étaient établis, où l'on pouvait, d'après les dires de la tour, boire de tout sans la moindre limite – ce qui était la cause des multiples déchets humains que l'on pouvait croiser, effondrés ivres morts à même le sol ou dans les toilettes, occupés à vomir. De nombreux couples étaient présents également, qui s'embrassaient sans la moindre retenue, voir plus dans les coins sombres.

   En bref, la musique, l'alcool et l'amour coulaient à flots.

   Nous commençâmes véritablement notre soirée en assistant à quelques concerts rock sur les petites scènes. Killian et moi furent les seuls de notre bande à sauter et à hurler, Lilian et Jade se contentant de nous regarder faire. Je tentais tout le long des représentations de les pousser à se laisser aller, sans grand succès, même avec l'aide de la tour.

-   Voyons Jade ! Réveille la bête qui est en toi !

-   Oui, Lilian ! Renchérissait Killian. Comme pendant « la grande évasion » !

   Je ne savais pas pourquoi il lui disait ça, mais elle par contre, recevait parfaitement le message caché de la phrase.

Après cinq concerts (A moins que nous en soyons à six ? J'avais perdu le compte), nous décidâmes qu'une petite pause ne nous ferait pas de mal. Killian se chargea de trouver le stand avec le moins de dégénérés à proximité puis de braver la masse de clients pour nous rapporter des boissons et des hot-dogs. Avec les filles, nous nous occupâmes de réserver une place où s'asseoir pour manger, à même le sol. Ce fut précisément pendant cette seule dizaine de minutes que nous passions seules depuis notre arrivée à la fête que nous fûmes accostées par des types. Bonjour la poisse.

   Ils étaient deux, un peu débraillés avec une légère barbe. Ils tenaient chacun un gobelet en plastique, que j'imaginais très bien remplis de bière d'après la couleur et la mousse qui flottait au-dessus.

-   Alors les filles, vous êtes seules ? Commença l'un d'eux.

-   Non, lui rétorquai-je du tac au tac.

-   Ah ! Avec vos petits amis ? Reprit le deuxième.

-   Un ami tout court.

   Par chance, ils ne paraissaient pas trop éméchés.

-   Et où il est votre … ami ? Poursuivit-il.

   Il mit sa main valide en visière et regarda tout autour de nous, de manière caricaturale.

-   Je ne le vois pas !

   Il rit. Si je ne m'inquiétais pas trop parce que les deux lascars ne me paraissaient pas dangereux – je n'avais aucune vision à leur sujet – Lilian et Jade n'étaient pas de mon avis et étaient plutôt mal à l'aise.

-   Il est parti nous chercher à manger, répondis-je. Mais il ne va pas tarder.

   Les deux compères s'assirent à côté de nous, vraisemblablement avec le désir de continuer la discussion.

-   Quel âge avez-vous ? Nous demanda le premier, qui portait une casquette.

-   Dix sept ans.

   C'était la première fois que Lilian prenait la parole.

-   Nous, précisa celui qui n'avait pas de casquette, on en a trente cinq (il indiqua son ami) et trente trois. L'âge du Christ ! Commenta-t-il en s'esclaffant.

   Hahaha. Il était évident qu'ils en avaient moins, ils ne devaient certainement pas avoir passé la barrière des trente.

-   Vous venez d'où ? S'enquit le casqueteux en avalant une gorgée de bière.

-   De l'Ohio.

   Pourquoi diable Lilian inventait-elle un truc pareil ? Ces types ne connaissaient même pas nos noms, nous n'avions pas besoin de brouiller les pistes pour éviter qu'ils ne nous retrouvent pour nous inviter à prendre un verre un de ces quatre.

-   Et vous ? M'intéressai-je, pour ne pas qu'il commence à nous poser de questions.

-   Du Michigan. Tu veux boire un coup ? Proposa ensuite le sans casquette à Jade avec un sourire malin. Papa et maman n'en sauront rien.

-   Non.

   Le ton avait été mordant. Cela parut refroidir les ardeurs de son prétendant.

   Ils enchainèrent ensuite sur des trucs badins. J'appris donc qu'ils se connaissaient tous les deux depuis la maternelle et qu'ils avaient appris à faire du vélo ensembles, entre autre. A aucun moment ils n'évoquèrent la Rook Guild ou leur don, ce qui m'arrangea.

   Ils nous quittèrent juste avant que Killian ne revienne de sa noble mission, en nous indiquant qu'ils partaient se « réhydrater aux toilettes » et qu'ils espéraient nous croiser à nouveau. Je leur souhaitais bon courage avant de me tourner vers Lilian :

-   Pourquoi l'Ohio ?

-   Ils sont de la Rook Guild. Ils auraient bien été capables de nous retrouver sinon.

   Elle avait fait la moue en prononçant ses derniers mots et je ris avec Jade.

-   Tu as loupé ta chance ! Lançai-je à cette dernière. L'un des deux était intéressé !

-   Pas moi, siffla-t-elle.

   Je rigolai de nouveau. Aussi, quand Killian nous rejoignit, il fut intrigué.

-   Qu'est-ce qui se passe ? Tu m'as pris pour un farfadet ?

 

 

-   J'aimerai aller dans les boîtes de nuit ! lâchai-je quand nous eûmes fini de manger.

-   Ben, on peut y aller tout de suite, si tu veux, accepta Killian.

-   Mais … Quand tu … quand tu parles « d'attractions spéciales » …, s'inquiéta Jade. Qu'est-ce que ça peut être, par exemple ?

-   Ne t'inquiète pas ! On ne te forcera pas à te déshabiller ! S'esclaffa la tour.

   Mon amie grimaça mais ne dit rien quand notre groupe se releva.

   De nouveau, nous dûmes nous frayer un chemin au coude à coude au milieu des danseurs.

-   Hé ! Tu nous emmènes jusqu'au où comme ça ? Interrogeai-je notre guide, en me rendant compte qu'il nous menait du côté de la grande scène.

-   Quand j'ai été chercher la bouffe, j'ai entendu dire que l'une des meilleures boîtes de nuit de ce soir était près du chapiteau !

-   Merci ! Et à bientôt !

   Je me tournai vers la grande scène. C'était le chanteur du groupe qui s'y produisait qui saluait ses fans. Le concert devait être fini.

-   Ah ! S'écria alors Killian. Tenez-vous la main ! Restez grou …. !

   Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Les spectateurs évacuèrent le chapiteau en masse, créant un mouvement de foule. Sans rien comprendre, des dizaines et des dizaines de personnes se retrouvèrent entre la tour et nous, les filles, et nous éloignèrent d'elle. Nous faisions de notre mieux pour ne pas être propulser de l'autre côté du site mais je finis par comprendre que nous ne réussirions pas à rejoindre Killian. J'empoignai donc Lilian et Jade par le bras et les tirai de ce bourbier, en forçant le passage.

   Nous parvînmes tant bien que mal à quitter la zone de passage, pour nous retrouver entre une boîte de nuit et un bar. L'un et l'autre paraissaient plutôt malfamés mais j'étais contente de ne plus être au milieu de la foule. J'avais cru mourir étouffé.

« Ne reste pas là ! »

   Le hurlement de la voix se répercuta dans tout mon crâne.

« Ne crie pas ! Je t'entends très bien sans ça ! Qu'est-ce qui se …. qui va se passer ? »

« Ne reste pas là ! »

   Je me concentrai pour voir la vision qui inquiétait la voix. Mais la musique m'empêchait de le faire.

« Qu'est-ce que tu fais, pauvre gourde ?! Tire-toi de là ! »

-   On devrait appeler Killian, suggéra Lilian.

   Sans qu'on le lui demande, Jade sortit son portable et chercha dans son répertoire le bon numéro. La chose faite, elle colla son mobile contre son oreille.

« DEGAGE ! »

« Trente secondes ! »

-   Il ne répond pas …, chuchota Jade.

-   Le réseau doit être surchargé, supposai-je. Ou bien il n'y en a pas dans le coin. En tout cas, ne restons pas là. Il fait trop sombre.

   Je venais seulement de vraiment le réaliser. Dans ce coin où nous étions, les multiples lumières multicolores n'éclairaient pas grand chose. Et des clients attablés au bar d'à côté commençaient à nous fixer d'une manière qui ne me plaisait pas trop.

-   Mesdemoiselles ! S'exclama l'un d'eux en voyant que nous nous apprêtions à partir. On vous paye un verre, si vous voulez !

-   Non, c'est bon.

   Ma réponse ne leur plut pas. Un mec un peu plus âgé que nous se leva, énervé.

-   Non mais ho ! Qu'est-ce qui vous prend ? Salopes !

« T'as tout gagné ! Tu viens de brosser dans le mauvais sens du poil un rook ! »

   Avec mes amies, nous accélérâmes le pas.

-   Connasses ! Restez ici !

   Je m'écroulai à terre. Mes jambes m'avaient lâchée d'un coup.

-   Morgan ! Ça va ? S'alarma Lilian.

-   Je ne peux plus bouger mes jambes …

-   On fait moins les malignes, tout de suite !

   Je jetai un coup d'œil en direction du rook qui nous avait pris en grippe. Cela devait être lui qui me privait de mes jambes, grâce à son don. Il n'était plus qu'à quelques pas de nous, ce qui me permit de voir que, contrairement aux deux gaillards de tout à l'heure, il était vraiment bourré.

« Et merde de chez merde … »

   Il écarta Lilian de moi et m'agrippa violemment par le bras en voulant me relever.

-   Laisse-moi ! Hurlai-je. Dégage !

   Jade l'empoigna alors par le col de sa chemise et lui asséna une grosse gifle. Je fus aussi surprise que mon agresseur.

-   Tire-toi d'ici, gronda-t-elle.

   Sa stupéfaction passée, l'éméché sortit les crocs. Il me laissa tomber au sol et s'en prit à Jade.

-   Espèce de sale pute … Je t'assure que tu vas t'en prendre plein la gueule !

   Pourtant, ce fut lui qui se prit un coup de poing, avant qu'il ait pu esquisser un mouvement.

-   Laisse-les !

   Ce n'était pas Killian qui venait de nous sauver la mise mais de parfaits inconnus. Une bande d'inconnus. Celui qui paraissait être le chef, ou quelque chose d'approchant, l'empoigna par sa chemise.

-   Je te propose un marché, tu les laisses partir et nous, on ne te dénonce pas aux responsables de la soirée. Ça marche ?

   Sa victime parut évaluer ses chances s'il devait se battre contre lui. Et contre chacun de ses potes. Étant donné qu'il était gris et que les autres, à défaut de ne pas être totalement sobres, l'étaient moins que lui, il se ratatina sur lui-même.

-   Ouais, c'est bon … Cassez-vous !

   Le leader du groupe relâcha sa poigne et le pochard retourna s'asseoir à son bar d'origine en grommelant, mais sans demander des comptes à nos sauveurs.

-   Tu peux te relever ?

   Je me désintéressai de l'ivrogne – il n'était plus qu'un mauvais souvenir – et me préoccupais de mes jambes. Je poussai un soupir de soulagement en constatant que le don n'avait plus d'emprise sur moi et que je pouvais me mouvoir à ma guise.

-   Sans problème, rassurai-je le chef de la bande.

   J'époussetai le derrière de mon jean en me levant.

-   Merci beaucoup, le remerciai-je ensuite. Je ne sais pas jusqu'où cette histoire aurait pu dégénéré.

   Il eut un grand sourire puis se tourna vers ses amis, qui eux aussi affichaient un air réjoui, avant de nous faire face de nouveau.

-   Et tout travail mérite salaire, non ? avança-t-il.

   Je ne voyais plus son sourire de la même manière maintenant. Était-il possible que les filles et moi soyons tombées de Charybde en Scylla ?

« Ouh … Je le sens mal … »

« Moi aussi. Barrez-vous ! »

   Sans me concerter avec Jade et Lilian, je les saisissais par le bras avec l'intention de nous mêler à la foule pour échapper à ce Superman de pacotille.

-   Ne partez pas comme ça !

   Les membres de la bande nous encerclèrent en un instant. Je mourrais d'envie de leur faire ravaler leur air narquois.

-   Qu'est-ce que vous voulez ? Que l'on vous paye à boire ?

-   Pas franchement, non, me répondit le meneur. Disons que nous préférons … être payé en nature.

   Ses compagnons ricanèrent.

-   Et si nous ne sommes pas d'accord ? M'instruisis-je.

-   Vous n'avez qu'à vous battre !

« Voilà bien la seule chose qu'on ne peut pas faire ! »

   Je serrais tout de même les poings. Pas question de perdre sans leur avoir collés quelques gnons. A la télé, les héroïnes s'en sortaient toujours même si elles ne s'étaient jamais battues de leur vie. J'avais déjà réussi à m'en tirer face au Pique, ce n'était pas ces petites racailles qui allaient m'impressionner. J'avais connu pire.

   L'un des suiveurs s'approcha de Lilian : je ne lui laissais pas l'occasion de la toucher. Je me jetais sur lui avec un cri de rage, destiné non seulement à m'encourager mais aussi à lui foutre les jetons, et lui assénais un coup de poing dans le nez.

   J'avais choisi cette partie précise du visage parce que j'avais déjà expérimenté ce que ça faisait quand on tapait dedans – j'eus une pensée pour Malcolm – et parce que je risquais moins de me fracturer le poing. En tout cas, je fis mouche : ma victime se mit à pisser le sang.

« Espèce d'idiote ! Tu viens de déclarer ouvertement les hostilités ! »

« On ne va pas se laisser faire, non plus ! »

   Les autres membres de la bande me regardaient avec des yeux ronds. Je décidais de bien marquer le coup, avec un peu de chance cela les encouragerait à dégager le plancher.

-   Je … Je vous préviens ! Vous allez tous vous prendre une si vous ne partez pas immédiatement !

   Ils continuèrent à me fixer pendant quelques secondes avant que leur sourire ne se tordent méchamment.

-   Nous en coller une ? On aimerait bien voir ça !

   Je sentis à l'instant même un truc bizarre dans mes membres avant que je ne m'aperçoive que l'un de mes adversaires venait de me paralyser.

« C'est pas vrai ! »

« Mais c'est une maladie chez toi de te coller dans des situations pareilles ! »

   Celui que j'avais frappé fonça sur moi, m'attrapa par les cheveux et me colla à terre. Lilian fit alors ce que j'aurai dû faire au lieu de foncer la tête la première : elle hurla. Suffisamment fort pour se faire entendre des fêtards malgré la musique environnante. Le groupe de petites frappes fut brièvement déconcerté mais ne perdit pas le nord. Trois se ruèrent sur Lilian pour la faire taire et deux autres sur Jade, qui en neutralisa un avec un bon coup de genoux dans les parties au moment où il allait l'empoigner. Mon assaillant, quant à lui, s'apprêtait à me rouer de coups quand une voix haut perchée se fit entendre :

-   Espèces d'ordures !

   Sans que je n'y comprenne rien, toute la bande tomba à terre, comme des mouches.

-   Huit mecs qui s'en prennent à trois filles, c'est simple, ils n'ont pas de couilles ! C'est rien qu'une bande de tapettes !

   Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître les couettes blondes d'April ! Je ne l'avais vu qu'à deux reprises : la nuit où elle m'avait kidnappée et une fois à Miami mais j'étais sûre que c'était elle. Ce que je pensais être des arcs électriques grésillaient autour de ses bras : visiblement, c'était elle qui avait collé au tapis tous les rooks. Elle en frappa quelques uns à terre dans les côtes, sans se retenir.

-   Alors ? Ça fait quoi de voir les rôles inversés ? Bande de tafioles ! Petits merdeux de mes deux !

   Quelques râles firent effet de protestations, ce à quoi April réagit en distribuant encore quelques coups. Elle s'approcha de moi et, en constatant que je ne pouvais pas bouger, elle cria :

-   QUI l'a paralysé ?

   Personne ne répondit mais je sentis que l'étrange pouvoir qui bloquait mes muscles se retirait petit à petit. Quand il fut totalement parti, April m'aida à me relever. Là, elle me reconnut à son tour :

-   Morgan Jones !

   Elle jeta un coup d'œil à Lilian et Jade, qu'elle identifia également.

-   Qu'est-ce que vous faites là ? S'étonna-t-elle.

-   Killian nous a proposées de venir et ….

-   Mais qu'est-ce que vous foutez seules ? Me coupa-t-elle. Il vous a laissé vous déplacer sans personne sur le site ?

-   Non. Nous avons été séparés quand des spectateurs ont quitté le chapiteau et nous n'avons pas réussi à le contacter avec nos portables. Nous …

-   C'est parce qu'il n'y a du réseau que pour les portables de la Rook Guild.

   J'étais un peu agacée qu'elle ne me laisse pas finir ma phrase pour la deuxième fois mais en plus, elle ne me laissa pas le temps de reprendre.

-   Enfin, vous avez eu de la chance que je passe dans le coin. Tout le monde ici pense que vous avez appris à vous battre, personne n'aurait bougé son cul pour vous aider.

   Elle se préoccupa des dépouilles sur le sol. Après un « Salauds ! » à leur égard, elle leur fit signe de quitter le secteur en vitesse. Chose étonnante : chacun des types étalés face contre terre se releva et ils partirent tous sans demander leur reste.

   April sortit ensuite son portable d'une poche de sa robe sombre et composa un numéro. Ses premiers mots me firent sursauter.

-   Abruti fini ! Qu'est-ce que tu fiches ? Où tu es ? Je m'en fous ! NE ME PARLE PAS COMME CA ! Tais-toi ! NE RACCROCHE PAS !

   Elle ne marquait aucune pause, comme si personne ne se trouvait au bout du fil. C'était impressionnant, en un sens, et inquiétant, dans un autre.

-   Oui, c'est ça, appelle-les et dis-leur de se magner ! JE NE VEUX PAS SAVOIR ! Mais je ne sais pas moi ! Pourquoi ça serait à moi de décider de tout ? TU ME GONFLES ! Comment ? Où ça ? Ah oui …. Oui. Bon, d'accord, on se retrouve là-bas. ET NE SOIS PAS EN RETARD !

   Elle raccrocha et nous fit part, à Lilian, Jade et moi, de la suite des évènements.

-   Je dois vous accompagner jusqu'à l'un des stands. Killian va faire passer le mot aux autres, là … Les knights. Des questions ?

   Qu'est-ce que l'on pouvait répondre à ça ?

« Essaye « Va te faire voir ». Je me demande comment elle réagirait. »

 

 

   En nous voyant arrivées, Killian soupira un grand coup, de soulagement.

-   Je vous ai cherché partout ! Mais avec cette foule …

-   Ne te cherche pas d'excuses ! Protesta April.

   Je me rappelais en les voyant commencer à se disputer que la nuit où ils nous avaient kidnappé, leur conversation avait déjà été plutôt animée.

-   Sale peste ! Je suis l'aîné ! Tu me dois le respect !

-   Dans tes rêves ! Je ne cirerai pas les pompes d'un type aussi abruti que toi ! SIMPLET !

« Minute, minute … Est-ce que cela voudrait dire que … qu'ils sont frère et sœur ? »

   Je regardai, incrédule, mes amies. Elles aussi étaient surprises. Avec le recul pourtant, cette idée n'était pas si saugrenue. D'aussi loin que je me souvenais ils s'étaient toujours « bien » entendu.

« Ils ne se ressemblent pas du tout » me fit remarquer la voix. Ce qui était vrai. L'un châtain, l'autre blond …

-   Ou-ouh ! Killiiiian !

   De la foule se détachait nettement une main qui nous faisait signe. A ses cheveux blonds, je reconnus Alexandre, suivi tout de suite par Tabatha et enfin par Malcolm.

« Calme-toi ! » m'ordonnai-je. « Tu restes naturelle, tu parles normalement … Tu respires tranquillement. »

   Arrivé à notre niveau, les knights devinèrent tout de suite qu'il nous était arrivées des bricoles.

-   Morgan, finit par lâcher le punk, qu'est-ce que tu as fait ?

-   Tes cheveux sont en pétards et tu as de la terre sur le visage, me précisa son partenaire.

-   Nous …

-   Elles se sont retrouvées face à une bande de cons ! Répondit April à ma place, délaissant son frère (?). Mais je me suis occupée de leur cas.

-   Une bande de cons ? Répéta Tabatha en levant un sourcil, désirant sans doute avoir plus d'explications.

-   Ouais ! Huit connards ! Ils les ont prises à part (elle nous montra du doigt) et voulaient les forcer à coucher avec eux, j'en suis sûre ! J'ai raison, non ?

   April s'était tournée vers moi, pour que je le lui confirme – Lilian et Jade s'étant soudainement mises à bavarder avec Killian –, de ce fait la reine et ses cavaliers firent de même.

-   Heu … Non …, balbutiai-je, mal à l'aise. Ils …. ils insistaient seulement pour que l'on prenne un verre avec eux ….

-   Ils voulaient baiser, reprit April comme si je n'avais rien dit.

-   Mais Killian n'est pas rester avec vous ? S'étonna Malcolm en lorgnant la tour.

-   Si ! Mais il nous a perdues dans la foule et …

   Je fus coupée cette fois-ci non pas par April elle-même mais par son portable, qui vibra. Elle le sortit de nouveau de sa poche pour consulter le message qu'on venait de lui envoyer. Il devait s'agir d'une bonne nouvelle car elle sourit – une première, d'ailleurs.

-   Killian, Killian ! Il va y avoir un Powerful !

-   Sans blague ? Où ça ? S'enquit-il, joyeux lui-aussi.

-   Derrière le chapiteau ! Ils vont ouvrir les barrières !

-   Mortel ! Tape m'en cinq !

   April s'exécuta et ils se tapèrent dans les mains. Cela me conforta dans mon idée qu'ils étaient bien de la même famille.

-   Qu'est-ce que c'est, un Powerful ? Se renseigna Lilian.

-   C'est mortellement fun ! S'écrièrent en chœur les deux frangins.

-   Il faut absolument faire ça une fois ! Ajouta Killian.

-   Tape m'en cinq ! Fit sa sœur.

   Et ils réitérèrent, le sourire aux lèvres.

 

 

-   Bordel ! Ouvrez !

   Une minute que nous patientons devant les barrières. Mais c'en était déjà trop pour April.

   Il n'y avait pas grand monde quand nous étions arrivés ; les Powerful étaient habituellement annoncés à la dernière minute et nous tenions notre info du large réseau d'amis d'April.

-   OUVREEEZ !

-   Tais-toi ! Lui ordonna Killian. Ce n'est pas parce que tu brailles qu'ils vont ouvrir !

   Sa sœur lui décocha un regard mauvais.

-   Dis-moi plutôt pourquoi Stanislas n'est pas avec toi ! S'exclama-t-elle.

-   Tu sais bien pourquoi ! S'énerva la tour. Mais je vais te le répéter pour la dernière fois : tu lui fous les jetons !

-   C'EST PAS VRAI ! C'est parce qu'il n'aime pas se retrouver au milieu de la foule !

-   Si tu le sais, pourquoi tu le demandes ?!

-   Hé ho, calmez-vous les jeunes, leur conseilla l'un des vigiles, qui nous zieutait depuis tout à l'heure.

   Il eut droit à son tour au regard menaçant de la petite blonde, mais cela ne l'inquiétant pas plus que ça.

-   A chaque fois, tu me JURES qu'il va venir et au final, il vient JAMAIS ! Continua April. MENTEUR !

-   Si je te disais le contraire, tu me sonnerais les cloches pour qu'il vienne ! MORVEUSE !

-   MORVEUSE ?! Moi, une MORVEUSE ?! Mais tu veux te battre ?!

-   Ramène tes fesses !

   Tabatha poussa un soupir et se massa les tempes tandis que ses cavaliers parièrent discrètement sur l'issue du combat qui commençait. Bien qu'April ait commencé par empoigner son frère, il s'était dégagé et l'avait attrapé par l'arrière, par le cou avec son bras. Plus grand qu'elle et plus fort, April ne parvenait pas à se sortir de cette situation.

-   A … Arrête ! Haleta-t-elle, le souffle coupé.

-   Tu te rends ? S'assura Killian.

-   Jamais !

-   Tant pis pour toi !

   April poussa de petits gémissements plaintifs, ce qui attira de nouveau l'attention du vigile.

-   Je vous préviens : vous continuez comme ça, je vous vire !

   A contre-cœur, Killian relâcha sa sœur, qui en profita pour lui donner un coup de coude dans le ventre. Le vigile lui fit les gros yeux.

   C'est à ce moment-là que, sortie de nulle part, une voix se fit entendre sur l'ensemble du site de la fête.

-   Prêt à mettre le feu ? Je suis sûr que oui ! Je ne dirai donc qu'une chose … POOOWERFUUL !

   Quelques secondes plus tard à peine, l'ensemble des participants à la fête nous avait rejoints devant les barrières.

 

 

   Quand les vigiles retirèrent les barrières qui avaient tant énervées April, Killian m'attrapa par le bras, avec Lilian tandis que sa sœur se chargea de Jade. Je compris pourquoi : toute la foule s'engouffra dans le passage pour gagner le lieu du Powerful. Si la tour ne m'avait pas retenue, je me serais retrouvée propulsée je-ne-sais-où.

   La zone du Powerful était très vaste et une scène était installée au fond, avec un écran géant. Qu'est-ce que pouvait bien être un Powerful ? « Mortellement fun » n'était pas un super indice.

   Nous étions à mi-chemin entre la scène et les barrières, nous évitant de nous retrouver tout devant pour être écrasé par la foule ou de ne rien voir de ce qui se déroulait sur la scène.

   Les rooks scandaient en rythme le nom de l'évènement, rendant l'ambiance électrique sans que rien n'ait commencé. Une musique de fond finit par être mise en route, et les hurlements redoublèrent d'intensité.

-   Allez, crache le morceau, lançai-je à Killian, déjà en transe. Qu'est-ce qu'il va falloir faire ?

-   Et bien …

   Une jeune femme entra alors sur la scène. D'une vingtaine d'année, des cheveux acajous coupés à la garçonne, vêtue de vêtements de cuir noir qui moulaient ses formes agréables, elle fut accueillie par de nombreux cris de joie et elle salua la foule d'un geste de la main accompagné d'un large sourire rafraichissant.

-   Tout à fait mon genre, entendis-je murmurer Alexandre à Malcolm.

   Il me sembla que Jade leva les yeux au ciel.

   La femme se positionna au centre de la scène et des lumières s'allumèrent tandis que l'écran géant se mettait en marche. Dans la nuit, seule la scène était éclairée.

-   Lucy ! Te quiero ! S'écria une voix au-dessus des autres à l'intention de la jeune femme.

   Grâce à l'écran géant, tout le monde put la voir éclater de rire.

-   Powerful ! Powerful ! Continuait de clamer la foule, le poing en l'air.

   Lucy fit signe à la foule de se taire. Elle fut immédiatement obéie. Elle écarta un peu ses jambes et baissa la tête vers le sol.

   Et là, le Powerful commença.

   La musique de fond cessa, laissant la place aux premières notes d'une nouvelle.

-   Television … rules the nation … Aroud the world … Television … rules the nation …

   Et tandis que la voix électronique de la chanson répétait « Around the world » comme un disque rayé, Lucy tendit son bras en direction des spectateurs avant de commencer à marquer le rythme avec sa jambe. Étonnamment, tout le monde l'imita, hormis la quatrième équipe knight, Jade, Lilian et moi. Je me lançai donc et imitai la jeune femme, comme les cavaliers. Timidement, mes amies puis Tabatha firent de même.

   Lucy stoppa son mouvement pour en faire d'autres, très simples. Seuls ses bras changeaient de position, à chaque paroles. Copiée par toute la foule.

-   Work it … Make it … do it … Makes us …

   La jeune femme affichait un sourire satisfait devant l'enthousiasme des spectateurs.

-   Harder ! Better ! Faster ! Stronger !

   Elle rit et entama de nouveaux mouvements, pas plus complexes mais qui nécessitaient l'utilisation des jambes.

-   More than … Hour … Our … Never …

   Lucy se tint droite, les bras le long du corps, ne bougeant que de droite à gauche sa tête.

-   Ever … After … Work is … Over …

   Elle conclut la phrase en tendant son bras droit dans la même direction, le poing serré mais le pouce baissé.

   Puis elle se mit à sauter tout en faisant signe à l'assistance de l'imiter.

   Dans un grand cri de joie, tout le monde s'y mit. De toute manière, ceux qui n'auraient pas voulu auraient été emportés par l'élan général.

   Voir toutes ces personnes autour de moi et savoir également que celles qui étaient hors de ma vue étaient toutes sans exception en train de sauter avaient quelque chose de totalement surréaliste. Après tout, si l'on ne comptait pas la quatrième équipe, toutes étaient des rooks. J'avais craint la Rook Guild : elle m'avait empêchée de dormir la nuit et terrorisée le jour. Deux de ses membres m'avaient kidnappée pour me soutirer des informations que je ne possédais pas et pourtant, ils étaient tous les deux à côté (puisqu'ils s'agissaient d'April et de Killian).

   A quoi tenait ma présence ici ? Il y a quelques mois, je n'aurai jamais envisagé de me rendre à une fête de la Rook Guild.

   Une douleur au talon me sortit de mes pensées.

« C'est que ça devient crevant à la longue … »

   Nous ne devions sauter que depuis une minute, pas plus, mais j'en avais déjà plein les pattes. Je ne voyais pas pourquoi les rooks étaient fous de ces Powerful. Au-delà du côté sympa-et-on-saute-à-l'unisson, je n'en voyais pas franchement l'intérêt. Ni ce que cela avait de puissant . A la limite, pour les mecs, pourquoi pas. Voir Lucy sur scène était peut-être une raison suffisante de participer. Mais pour les filles ? Quel sombre et obscure intérêt pouvaient-elles avoir de …

   Je m'arrêtai net de sauter.

« Ce n'est pas possible … »

   Pourtant si. Tout doucement, d'étranges volutes colorées provenant de la foule commençaient à se répandre dans le ciel, accompagnées de cris de joie. Et elles ortaient du corps des spectateurs, les entourant d'un halo de couleur. Chacun produisait une couleur unique, plus ou moins translucides et en quantité différente, qui partaient rejoindre ses consœurs dans le firmament.

« Mais qu'est-ce que c'est ? » m'écriai-je intérieurement.

« Des dons » me répondit la voix. « Ce que tu vois, ce sont des dons ».

« Par … par quel miracle … »

« Rien à voir avec une quelconque grâce céleste. Sous le coup de l'excitation, et en sentant la présence des autres dons autour, les doués sont capables en ce concentrant un peu de produire une sorte de résidu de leur don. Ce que tu vois là est un spectacle unique. »

   Un grand nombre de « résidus », comme les appelait la voix, se trouvaient maintenant dans le ciel et ils paraissaient interagir les uns avec les autres. Ils se collaient entre eux, se détachaient, ondulaient … Arrivés à un certain nombre toutefois, ils ne formèrent plus qu'un tout, un tout aux couleurs changeantes et chatoyantes qui éclairait le ciel et dont chaque nouvel arrivage de résidus augmentait la taille.

   J'avais l'impression de me trouver sous une aurore boréale. C'était tout aussi impressionnant et tout aussi incroyable.

« Je peux le faire moi aussi ? »

« Non. Tu ne me maîtrises pas assez pour me concentrer suffisamment et laisser échapper un résidu. »

« Dommage. »

   J'aurai adoré participer à la fantastique œuvre qui se créait sous mes yeux. A défaut de le faire moi-même cependant, je jetai un coup d'œil à mes compagnons. Killian émettait une couleur jaune, peu prononcée mais d'une dimension remarquable. Celle de sa sœur était jaune également mais beaucoup plus voyante, à l'image de son don qui était de produire de l'électricité et de le manipuler.

   Le résidu de Malcolm était d'un vert kaki plutôt prononcé, une couleur assez originale, tandis que celui d'Alexandre était d'un rouge criard assorti à son pantalon à motif écossais fétiche.

   Connaissant la puissance dont disposait Tabatha, je m'attendais à voir un résidu formidable. Pourtant, il n'y avait rien. La reine n'était même pas entouré d'un halo, étape qui précédait la formation du résidu. Elle sautait, ses longs cheveux souples suivant son mouvement, et fixait comme je l'avais fait la masse brillante suspendue dans la voûte céleste, qui se reflétait dans ses saisissants yeux émeraude.

   Tabatha finit toutefois par fermer les yeux, sans cesser de sauter. Là où la création du halo prenait plusieurs secondes aux autres, une seule à peine après qu'elle ait clos ses paupières la knight était entourée d'une auréole de la même couleur que ses yeux.

   Une autre seconde après, son résidu partait à son tour rejoindre les autres.

   La foule poussa une longue exclamation.

   Le résidu de Tabatha n'avait de résidu que le nom. Il avait fallu des dizaines et des dizaines de dons, des centaines même, pour en arriver à la taille, conséquente, de l'aurore boréale.

   A lui seul, le don de la reine avait la même taille que celui de tous les rooks réunis et sa couleur était plus intense que n'importe quel autre.

   Il s'éleva à son tour avec de nombreuses ondulations vers le firmament, ne cessant de voir son volume s'amplifier. En effet, Tabatha n'avait toujours pas rouvert les yeux, ce qui signifiait qu'elle n'avait pas produit toute la quantité de résidu dont elle était capable.

   Quand elle eut fini, plus personne ne sautait, pas même Lucy, bien que la musique continue de tourner. Tout le monde avait le regard fixé sur le nouveau résidu, y compris moi. Comment faire autrement ? A l'instar des yeux de sa propriétaire, il était impossible de s'arrêter de le contempler.

   Comment allait-il agir face à la masse des dons rooks ? S'intégrer tout naturellement ou bien les engloutir ?

   Le résidu ne fit ni l'un ni l'autre. Il refusa tout bonnement de se mêler aux autres.

   A la même hauteur, les dons des rooks faisaient face à l'unique de Tabatha, sans qu'il y ait la moindre différence de taille, comme sur un champ de bataille.

   Le « tout » de la Rook Guild avança en direction du résidu de la knight, comme pour tenter de le contraindre à rejoindre ses semblables. A l'image de sa propriétaire, le résidu persista à s'en tenir écarter.

   Les résidus rooks ne s'arrêtant pas, celui de Tabatha l'en dissuada.

   Il prit soudainement la forme d'un dragon et, quand il ouvrit sa gueule comme pour pousser un feulement, l'ensemble des résidus rook furent disperser dans le firmament. Ils se regroupèrent de nouveau tout de suite après et adoptèrent à leur tour l'apparence d'un dragon.

   Le nouvel animal commença lui-aussi par gronder son adversaire, sans qu'il émette néanmoins le moindre bruit, qui ne bougea pas d'un pouce, bien camper sur ses pattes.

   Les deux créatures se toisèrent pendant encore quelques secondes avant de passer à l'attaque. Elles se jetèrent l'une sur l'autre.

   J'arrêtai de respirer, redoutant le moment où les deux créations rentreraient en collision. Je sentais que la voix, à l'intérieur de mon crâne, était tendue elle aussi.

   Quand cela arriva, les deux dragons explosèrent. Le premier en une multitude de flammèches émeraude, le second en une pluie de gouttes de toutes les couleurs, tels des feux d'artifice.

   La foule salua la performance d'un grand cri dans lequel il n'y avait pas la moindre trace de peur. Visiblement, aucun Powerful jusque-là ne s'était déroulé de cette manière et les rooks en étaient ravis.

   Je regardai Tabatha : elle avait cessé de sauter et profitait du spectacle des dernières retombées de résidus, comme tout le monde. Elle ne paraissait pas spécialement surprise de son extraordinaire prouesse.

« Elle est … »

« Ne cherche pas. Je ne crois pas qu'il y a un seul adjectif qui permette de la décrire. Elle est bien au-delà de toutes les limites que je pensais possible. »

 

 

   Le Powerful finit, la foule évacua la zone pour regagner le site de la fête, après que Lucy ait remercié tout le monde de sa participation.

   Je jetai un coup d'œil à mon portable : il était plus de deux heures du matin. Comme si mon corps prenait soudain conscience de l'heure, une vague de fatigue s'abattit sur moi. Tabatha le remarqua tandis que nous attendions de quitter la zone du Powerful.

-   Il va falloir partir, dit-elle à l'intention de ses cavaliers et de Killian.

-   Vraiment ? S'étonna ce dernier. La fête ne fait que commencer pourtant !

   A la tête que tirait sa sœur, elle pensait la même chose.

-   Les filles ne sont pas habituées à des horaires pareils et nous sommes attendus pour la nuit. Nous ne pouvons pas nous permettre de partir plus tard, lui répondit la reine, alors que Malcolm et Alexandre semblaient mourir d'envie de rester.

-   Attends, on peut s'arranger autrement, rétorqua le punk. Toi, tu repars avec les filles avec ta voiture et Malcolm et moi, Killian nous déposera à la Porte quand on partira.

-   De toute manière, il n'y aura pas assez de place dans ta voiture pour nous trois plus les filles, lui rappela le deuxième cavalier

   Ils ponctuèrent tous les deux leur phrase d'un large sourire. Tabatha soupira.

-   Faîtes comme vous voulez. Mais ne m'appelez pas en plein milieu de la nuit pour que je vienne vous chercher, les prévint-elle. Vous resterez dehors.

-   T'inquiète ! Lui assura Malcolm.

-   Et faîtes …, reprit la reine.

-   Oui, oui, on sait, la coupa Alexandre. Nous n'abuserons pas trop de notre charme irrésistible !

-   Je ne pensais pas à ça en premier lieu.

   Elle fronça les sourcils et fit un geste de la main comme pour chasser les paroles de son cavalier puis mit un terme à la discussion en souhaitant à ses partenaires un « Amusez-vous bien ». Killian et April, pour marquer leur joie, passèrent leur bras autour des épaules des deux garçons.

   La dernière fois que je vis la joyeuse bande de la soirée, ils se précipitaient tous vers l'une des boîtes de nuit.

 

 

   Comme à l'allée, nous dûmes emprunter le bus pour regagner le parking, la Porte jusqu'au parking sous-terrain de Los Angeles où l'on nous contrôla de nouveau, avant d'emprunter celle nous permettant de rejoindre Denver.

   Arrivée là, j'eus une surprise. Tabatha ne nous reconduisit pas chez nous mais nous conduisit jusqu'à une autre Porte dans la ville. Après le flash blanc caractéristique de l'utilisation d'une Porte, nous arrivâmes sur une allée de gravier. Quand elle avait dit que « nous » étions attendus, j'avais cru qu'elle parlait uniquement d'elle et de ses cavaliers. Maintenant que je réalisais que Jade, Lilian et moi étions comprises dans le « nous », je me demandais où nous nous rendions.

   La reine remonta l'allée, bordée d'arbres jusqu'à arriver devant l'entrée d'un château que je reconnaissais bien.

   Celui de Shannon.

   L'aristocrate nous attendait d'ailleurs devant l'entrée de sa demeure, en chemise de nuit et un chandelier dont toutes les bougies étaient allumées à la main. Elle avait noué ses cheveux en une lourde tresse et ne paraissait pas particulièrement d'humeur joyeuse.

   Quand nous descendîmes de la voiture, elle ne manqua pas de nous faire remarquer l'heure à laquelle nous arrivions.

-   Tu étais censée arriver plus tôt ! Se plaignit-elle à l'intention de Tabatha. J'ai dû envoyer les domestiques de se coucher ! Et où sont les deux zigotos ?

-   Ils sont toujours à la fête, ils rentreront plus tard, lui répondit-elle en montant les marches qui menait au palier où se tenait Shannon.

-   Oh non ! Il va falloir que je les attende ! S'écria notre hôte, exaspérée.

-   Bien sûr que non ! Toi, tu vas aller te coucher et moi, je les accueillerai quand ils seront là, lui assura Tabatha.

   Shannon parut hésiter mais elle ne répliqua rien, probablement trop fatiguée pour continuer à veiller. Se préoccupant de nous, elle nous sourit et nous demanda si nous avions passé une bonne soirée.

-   C'était … mortellement fun ! Lui résumai-je en utilisant les termes employés par la fratrie Reese. Par contre, je suis vannée !

-   Tant mieux ! S'esclaffa Shannon en retrouvant sa bonne humeur. J'ai tout fait pour que vous passiez une excellente nuit !

   Elle ouvrit la porte du château et nous invita à rentrer. Elle nous conduisit ensuite chacune à nos chambres, toutes situées au premier étage contrairement à la dernière fois, à la lumière des bougies. Avant d'entrer la mienne, je la remerciai pour son accueil et lui souhaitai une bonne nuit, ainsi qu'à Lilian et Jade - Tabatha s'étant évaporée dans les lieux lorsque nous étions rentrées.

   Je ne prêtai aucune attention à l'aspect de ma chambre, je ne pensais plus qu'à une chose : plonger dans le lit que je devinais confortable à souhait comme lors de mon dernier séjour ici. Un pyjama en dentelle et tissu léger m'attendait sur le dossier d'une chaise, que je me dépêchai d'enfiler. Je posai après ça mes vêtements en vrac sur le coffre en bois posé au pied de mon lit et lançai mes chaussures à travers la pièce. Je m'affalai ensuite sur le lit, rampai jusqu'aux oreillers puis retirai les couvertures pour me glisser entre elles et le matelas.

   Je m'endormis dès que ma tête rencontra un oreiller.

 

 

Lexique

"Oui, Lilian ! Renchérissait Killian. Comme pendant "la grande évasion" !" : Killian fait référence à la chanson "The Great Escape" ("La Grande Évasion" en f

rançais), sur laquelle il a dansé avec Lilian lors du bal de fin d'année, dans le volume 1. Vous pouvez la retrouver dans le module "Musique".

Tomber de Charybde en Scylla : dans la mythologie grecque, si l'on passait par le Détroit de Messine, on était confronté à deux monstres. L'un, Charybde, était un tourbillon redouté. Si l'on l'évitait ou y survivait, on touchait le récif de Scylla. D'où l'expression " tomber de Charybde en Scylla ", c'est à dire quitter un mal pour un autre (encore pire).

Powerful : en anglais : "puissant". Mais on le traduirait littéralement par "plein pouvoir" ( contraction de Power/full).

"Te quiero !" : "Je t'aime !" en espagnol.

 

 

La fête des rooks vient tout droit du mix de la fête de la Musique et du festival des Eurockéennes de Belfort auxquels j'ai assisté cet été. (Franchement géant !) Mais s'il y a une chose que je n'ai pas imaginé, c'est la scène avec les deux dragueurs ! Elle m'est arrivée pendant les Eurockéennes avec Mélissa (qui laisse des commentaires sur ce blog sous son propre nom ou sous le pseudo "Ta Femme"). Je n'ai fait que retranscrire cette scène dans Chess ! Donc oui, il nous ont abordées en nous demandant avec qui nous étions venues (mes parents et des amis à eux), oui nous leur avons dit que mes parents n'allaient pas tarder à arriver (ça c'était faux par contre, Mélissa et moi nous déplaçions seules sur le site), oui ils nous ont sorties leur blague pourrie sur l'âge du Christ (pour de vrai, ils avaient vraiment moins de 30 ans), oui ils nous ont vraiment demandées d'où nous venions et oui j'ai complètement inventé que nous étions originaires de Nantes, oui ils ont commencé à nous parler de leur enfance à tous les deux et oui, pour finir, ils sont vraiment partis en disant qu'ils allaient se réhydrater aux toilettes. Ah, j'oubliais, ils m'ont vraiment proposée de boire (j'ai tout de même répondu de manière plus affable que Jade dans Chess). Donc oui, TOUT EST VRAI ! Même leur description physique est VRAIE !

Quelle vie trépidante j'ai !

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9 octobre 2010 6 09 /10 /octobre /2010 12:31

chapitre 1 - lycée récré

 

-   Si tu ne pars pas maintenant, tu vas être en retard !

-   Je termine ma tartine !

   Je finis néanmoins par céder aux insistances de ma mère et quittai la cuisine pour aller enfiler mes chaussures. J'attrapai ensuite mon sac de cours puis passai le pas de la porte, après avoir prévenu ma mère que, enfin, je partais.

Je jetai un coup d'œil à ma montre et trouvai qu'elle avait exagéré. D'accord, je partais généralement plus tôt mais je n'étais pas non plus en retard ! J'aurai très bien pu manger ma tartine en entier.

« Au moins, je pourrais discuter avec Karen un peu plus longtemps. »

   Le début des cours était désormais l'un des rares moments où je pouvais parler à mon amie seule à seule, sans Darryl. En effet, ils sortaient ensembles depuis que ce dernier avait été son cavalier au bal de fin d'année et, depuis, ne se lâchaient plus. Du coup, nous passions moins de temps ensemble, Karen et moi. Non pas qu'elle m'ait fait comprendre qu'elle préférait rester en tête à tête avec son petit ami ou que je n'apprécie pas Darryl – nous nous ressemblions même, étant tous les deux des personnes plutôt calmes – mais sa présence me gênait un peu. Je n'arrivais pas à être à l'aise avec Karen quand il était là. Par conséquent, l'ambiance quand nous étions tous les trois ensembles était un peu pesante. Je m'éclipsais donc la plupart du temps quand Darryl était là et retrouvais Karen avant le début des cours ou durant les inter-cours. Cette année, nous n'avions même pas de cours en commun où nous aurions pu bavarder.

   D'un autre côté, peut-être était-ce mieux que je ne sois moins en contact avec mon amie. Il était risqué de fréquenter certaines personnes de notre lycée, dont moi.

   Karen était déjà devant le lycée quand j'arrivais – elle était dorénavant toujours là de bonne heure, pour ne pas perdre une miette de son temps avec son petit ami, qui lui arrivait tôt.

-   Jade ! Me héla-t-elle en m'apercevant.

   Nous nous fîmes la bise et elle commença aussitôt à me faire un topo de son week-end. Bien entendu, le nom de Darryl fut mentionner à plusieurs reprises : ils s'étaient mutuellement rendus visite, en profitant pour faire la connaissance de leurs beaux-parents respectifs.

-   Il a été adorable, si tu savais ! Mes parents l'adorent et nous voient déjà mariés !

-   Ils vont un peu vite en besogne, non ? Vous ne sortez ensemble que depuis … trois mois, précisai-je après l'avoir calculé.

-   Peut-être mais j'en suis sûre : Darryl est l'homme de ma vie !

   Devais-je lui rappeler que le garçon n'avait été pendant longtemps qu'un bouche-trou au cas où personne ne l'aurait invitée au bal ? Après une seconde de réflexion, je décidais que non. Je ne voulais pas avoir à mentionner une certaine personne. « Tête d'oursin » comme je m'amusais à l'appeler.

-   Bonjour les filles !

   Je sursautai : je n'avais pas entendu Morgan arriver.

-   Salut !

   J'étais à chaque fois étonnée par la rapidité dont avait fait preuve l'ex reine du lycée pour s'intégrer à la masse anonyme des lycéens. Déjà, Karen ne la regardait plus comme une bête de foire. Cependant, les regards que lui jetaient les adolescents populaires ne faisaient que varier dans les teintes glaciales ; ils n'avait toujours pas oublié la manière dont ils avaient été rembarrés et humiliés, ce qui n'empêchait pas tous les garçons du lycée de la dévisager quand elle se trouvait à proximité d'eux. Ils l'auraient néanmoins regardée différemment s'ils avaient su qu'elle était capable de voir l'avenir.

   Morgan nous l'avait en effet confirmé, à Lilian et moi, après qu'elle ait annoncé la chose de but en blanc à Kjell Nordengen. La crise qu'elle avait eue durant le stage en forêt était due à son don, qui avait en quelque sorte une « préférence » pour la Rook Guild et qui avait réagi à la présence de la knight qui se trouvait alors sous la même tente que nous. Cela m'avait fait drôle de me dire que cette fille, que je croyais être tout comme moi parfaitement normale, était capable d'un tel prodige.

-   Tout se passe toujours aussi bien, avec Darryl ? S'enquit Morgan auprès de Karen.

-   Aucun problème de ce côté-là ! Ce week-end, j'ai rencontré ses parents et ….

   Je me désintéressai de la conversation et observai les étudiants autour de nous. Je ne tenais pas à entendre de nouveau à quel point Darryl était « merveilleux », « prévenant », « gentil » et « parfait en toutes circonstances ».

-   Karen !

   L'intéressée chercha par-dessus mon épaule celui qui l'avait appelée puis sourit en grand.

-   Darryl !

   Elle m'adressa un regard gêné.

-   Va le rejoindre, soupirai-je.

-  On peut manger ensemble ce midi, si tu veux, me proposa-t-elle en guise de compensation. Darryl doit aider des copains à faire je ne sais quoi et il ne sera pas là.

-    Pas de problème.

-    On se retrouve à l'endroit habituel, alors. A bientôt, Morgan ! Ajouta-t-elle ensuite avant de s'élancer vers son petit ami.

   Je la regardai se jeter dans ses bras puis détournai les yeux quand ils s'embrassèrent.

-   C'est l'amour fou, commenta Morgan en souriant.

-   C'est peu dire, lui assurai-je, faussement blasée.

   Mon ton fit rire la belle brune, qui se raidit d'un coup. Je devinai sans peine que la voiture de Malcolm venait d'entrer sur le parking du campus.

   Ce qui voulait dire que la tête d'oursin n'allait pas tarder – depuis la rentrée, soit une semaine, les deux coéquipiers faisaient la course tous les matins. Ils avaient décidé de comptabiliser leurs victoires pendant l'année, le perdant devrait obéir au gagnant pendant toute la durée des prochaines vacances d'été. Ce qui était ridiculement enfantin. Morgan était de mon avis mais trouvait tout de même ça « drôle ». D'après elle, je ne voyais pas le comique de la chose parce que ma rancœur contre le canari (que j'avais également affublé de ce surnom en raison de la couleur de ses cheveux similaires à celle du ramage de l'oiseau) entravait mes perceptions. Elle n'avait peut-être pas tout à fait tort.

   Comme je l'avais prévu, la voiture de la tête d'oursin entra dans le parking après un virage bruyant. Les filles se mirent à affluer autour de Morgan et moi ; elles ne voulaient louper pour rien au monde le défilé de mode qui marquait le début d'une bonne journée de cours.

-   Je t'ai eu ! Je suis le meilleur ! S'écria alors Malcolm, m'arrachant à mes réflexions, tandis qu'il sortait de son véhicule.

-   Tu as triché ! Tu es parti avant le « top » ! répliqua la larve (énième surnom), en quittant lui aussi sa voiture.

   Des gloussements se firent entendre derrière moi, m'arrachant une grimace.

« Si vous saviez … Ce type n'est rien d'autre qu'un pervers manipulateur et dragueur. Un dangereux maniaque qui vous brisera le cœur une par une. »

   Ce qu'il avait fait lors du bal de promo en était un bon exemple d'ailleurs (faire danser les filles chacune leur tour en passant à la suivante sans remord), et je gardais de mon côté un souvenir cuisant de l'humiliation qu'il m'avait fait subir lors de notre tête à tête à la plage. Si cette scène avait été momentanément oubliée, perdue dans les évènements qui l'avaient suivie, elle m'avait hantée tout l'été.

« - Avec toi … c’est purement sexuel. »

   Voilà qui avait mis un terme à mes stupides battements de cœur et à mes regrettables rougissements en sa présence. Il ne m'inspirait plus que colère et mépris. Pour le plus grand plaisir de la propriétaire du canari.

   Et là, il s'approchait, en compagnie de Malcolm. Oui, ils marchaient, tout droit vers nous. La tête d'oursin me fixait, de ses yeux bleus qui m'auraient, il y de ça à peine quelques mois, fait monter le sang aux joues.

-   Bonjour mesdemoiselles, nous salua-t-il.

-   Salut Alexandre, lui répondit Morgan avant de lui faire la bise, ainsi qu'à Malcolm.

   La larve se pencha vers moi, avec l'intention de me taper la bise, à moi aussi. Je me reculai et lui tendis la main.

-   Bonjour Alex.

   Une autre conséquence de mon animosité envers l'animal était que je l'appelais depuis lors par son diminutif, ce dont il m'avait priée une fois de faire, pendant le bal de promo. Je ne l'avais pas fait à l'époque parce que cela aurait augmenté mon nombre de pulsations cardiaques de manière fulgurante. Mais maintenant, ce n'était plus le cas.

-   Toujours fâchée ? Soupira-t-il, amusé.

   Je fronçai un peu plus les sourcils. Malcolm s'esclaffa.

-   Ne t'occupe pas de lui, me conseilla-t-il en donnant une boutade à son ami. Il a des manières déplorables avec les femmes.

   Je lui souris et lui fis la bise.

-   Monde cruel ! Déclama le canari, les mains et les yeux levés vers le ciel.

   Des filles rirent dans mon dos, appréciant la spiritualité de cet être infâme.

-   Oh ! Regarde ! C'est Stanislas ! S'exclama soudainement l'une d'elle.

   Notre groupe se tourna en direction de l'entrée du campus. Effectivement, le rook arrivait, d'un pas nonchalant. La larve lui fit de grands signes de bras pour attirer son attention. Le roi nous remarqua et nous rejoignit. Contrairement aux deux knights, il se contenta de nous saluer.

   Stanislas avait en effet intégré notre lycée au début de l'année, avec son partenaire, Killian, afin de nous assurer, à nous les prétendues Trois Immortelles, une protection optimale. Il avait été accueilli avec une réputation déjà toute faite, pour avoir été sacré roi du bal de fin d'année, l'année dernière. Sa présence au-dit bal avait d'ailleurs nécessité une explication, qui n'était pas au goût de tout le monde, et un démenti : non, Stanislas Preston n'était ni un mannequin étranger célèbre, ni un chanteur, pas plus qu'un acteur. Non pas qu'il n'ait pas le physique pour.

   Le bruit du peau d'échappement d'une moto se fit entendre, facilement identifiable. C'était celle de Killian, qui, au-delà de ses apparences bourrues, m'était très sympathique. Lui aussi, une fois garé, rejoignit notre petite bande. Il échangea des poignes de mains viriles avec ses congénères masculins mais, à l'instar de Stanislas, ne fit que nous dire bonjour, à Morgan et moi.

   Ne manquait plus que le membre le plus honorable de notre groupe (Lilian commençait une heure plus tard ce jour-là, personne ne s'attendait à la voir avant la pause de midi), celle qui marquait l'apothéose du défilé de mannequins du lycée, qui comportait Malcolm et l'autre, Stanislas et Killian.

   Sa voiture arriva pile à ce moment-là et tout le monde la suivit du coin de l'œil. Personne n'aurait loupé ça.

   Elle gara son avenante voiture noire, ouvrit la portière et en sortit, avant de remettre correctement ses cheveux en place d'un élégant mouvement de la main. Elle attrapa ensuite son sac de cours sur la banquette arrière puis s'éloigna, sans avoir oublié de verrouiller le véhicule.

   Tabatha Taylor. Beauté fatale de plus d'un mètre soixante dix au teint de porcelaine et à la démarche élégante, dotée d'une cascade de cheveux châtains souples et brillants – au combien plus naturels que ceux des pubs, trop éclatants –, d'un corps aux proportions parfaites et d'une paire d'yeux verts émeraude d'une profondeur et d'une froideur sans égales. Tabatha Taylor, quatrième reine surdouée de la Knight Guild, tueuse aguerrie et sans pitié, unique détentrice d'un duo de cavaliers.

   Après un rapide coup d'œil autour d'elle, elle nous repéra et marcha vers nous. Arrivée suffisamment près, elle posa son regard sur Stanislas puis sourit. Il lui rendit sa grimace (Tabatha donnait toujours plus l'impression de grimacer que de sourire sincèrement) et lui adressa des paroles affectueuses :

-   Bonjour, ma chérie.

   Killian retint à grand peine son rire. J'étais dans le même cas.

   Le roi prit la main de la reine quand elle fut à côté de lui et ils se regardèrent droit dans les yeux pendant quelques secondes.

   Un problème s'était posé lorsqu'il avait été décidé que la neuvième équipe rook intégrerait notre lycée : comment expliquer la présence de Stanislas au bal, au bras de Tabatha ? Une seule explication était valable – ces deux-là étaient ensembles. La reine avait fait tout son possible pour empêcher une telle mascarade mais rien n'y avait fait. Ils étaient donc obligés de jouer au jour le jour le couple d'amoureux, sous les yeux de tous les élèves du lycée. Killian avait beaucoup de mal à se retenir d'éclater de rire dès qu'ils adoptaient une attitude un tant soit peu amoureuse, comme tous ceux qui étaient dans le secret. Il n'était pourtant pas en reste : un petit mensonge avait dû être créer pour lui aussi.

Anthony s'était en effet inquiété en constatant que sa petite amie était proche d'un garçon qui venait d'arriver et ne devait connaître personne. Il avait posé la question sans détour à Killian qui avait grommelé à l'intention de Lilian, présente lors de la scène :

« - Tu ne m'avais pas dit que ton copain était aussi malin ! Il a déjà deviné que nous couchons ensemble ! »

   Autant Anthony avait éclaté de rire, autant mon amie, prise de panique, s'était dépêchée de contredire les propos de la tour en inventant sur le coup que Killian n'était autre que le cousin de Tabatha et qu'elle l'avait rencontrée quand nous nous étions rendues chez l'oncle et la tante de cette dernière, pendant les vacances.

   La reine knight se retrouvait donc avec un cousin et un petit ami, sans qu'elle ait rien demandé.

   Je regardai ma montre tout en me rappelant cette scène mémorable à laquelle j'avais assisté et m'aperçus que les cours n'allaient pas tarder à commencer. Morgan surprit mon regard et comprit.

-   Il va falloir y aller, conclut-elle.

   J'acquiesçai et, suivie de Stanislas qui avait cours dans le même bâtiment que moi à cette heure-ci, je me dirigeais vers ma salle.

-   L'année promet d'être palpitante, lâcha-t-il quand nous entrâmes dans le bâtiment, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

-   Pourquoi donc ? L'interrogeai-je, surprise.

   Il ne me répondit pas tout de suite et me fixa un instant, réfléchissant à la réponse alambiquée qu'il allait me fournir.

-   Disons que … Les relations humaines sont passionnantes.

   Et sur ces mots, il me quitta.

 

 

   Je déprimais à la pensée que j'allais passé cette année avec ce prof de maths. Il était ennuyeux et ses cours l'étaient tout autant. Je tâchais de prendre des notes mais j'avais du mal à me concentrer. Mon esprit dérivait inévitablement sur ce qui m'était arrivée depuis janvier dernier. Depuis que Tabatha avait rejoint mon lycée.

   D'abord le stage en forêt. Puis le kidnapping. Mon séjour chez Shannon, l'irlandaise à la chevelure flamboyante, qui m'avait révélée, l'existence de la Knight Guild et de la Rook Guild, ennemies ancestrales dans la course au pendentif de Loreleï, l'une pour se servir de ses pouvoirs incommensurables, l'autre pour en empêcher l'utilisation, et dont les membres étaient dotés de dons, pour certains redoutables. Après un second enlèvement néanmoins, où j'avais appris l'existence des Trois Immortelles, les deux adversaires avaient fini par s'unir pour repousser un nouvel ennemi : l'Ace Guild. Celle-ci avait pour but d'utiliser les pouvoirs du pendentif pour faire sauter notre planète. Comme la Rook Guild avant elle, et pour des raisons mystérieuses, elle nous prenait, Lilian, Morgan et moi, pour les Trois Immortelles – personnes choisies par Loreleï pour veiller sur son pendentif à travers les âges et qui jusqu'à ce que l'on nous octroie ce rôle, étaient portées disparues. Après avoir été chacune notre tour prise pour cible par des aces, dont le Trèfle, quatrième assassin d'élite de l'Ace Guild, nous nous étions réfugiées incognito, en compagnie de la quatrième équipe knight et neuvième équipe rook, à Miami, dans un hôtel cinq étoiles. A cause de moi (et du canari), l'Ace Guild nous avait toutefois retrouvées puis enlevées avant de nous séquestrer dans leur base sous-marine. Elle avait ensuite activé un Piège qui annihilait les dons des knights et des rooks, avec l'intention de s'emparer de la base rook de Miami. Tout aurait pu très mal se terminer si Morgan n'avait pas réussi à briser le Piège – ce qui lui avait valu des blessures importantes – et la Rook Guild à repousser les aces, menée par la jeune sœur de Killian.

   Lorsqu'il avait été sûr que plus aucun ace n'était à Miami, nous avions pu profiter de nos suites au Setaï pendant presque trois semaines avant d'être raccompagnées chez nous. Nous n'avions pas eu de nouvelles ni de la Knight Guild ni de la Rook Guild pendant le reste des vacances. De l'Ace Guild non plus.

   On ne nous avait recontactées qu'une semaine avant la rentrée pour nous prévenir que Stanislas et Killian allaient faire partie de notre lycée et que nos familles allaient continuer à disposer d'une protection de la part d'autres membres knights et rooks. Mais rien du côté de l'Ace Guild, comme l'avait prévu Tabatha quand nous étions à l'hôpital en attendant que nos camarades soient soignés. Je ne m'en plaignais pas mais ne pas savoir ce qu'elle faisait ou mijotait rendait peut-être l'Ace Guild plus menaçante encore. Quand reprendrait-elle ses sinistres activités ?

-   Miss Takano ! Pouvez-vous répéter ce que je viens de dire ?

   Je sursautais, tirée de mes pensées, avant de lever timidement les yeux vers mon prof de maths avant de les rebaisser aussitôt.

-   Je tiens à vous dire que vous ne commencez pas bien votre année ! Vous avez intérêt à vous reprendre !

-   Oui …

   Quelques ricanements fusèrent de part et d'autre de la classe. Je me sentis rougir. Après quelques prises de notes cependant, je repris le fil de ma pensée où je l'avais laissé.

   Mes ennuis ne se limitaient pas, malheureusement, à mon prétendu statut d'Immortelle. S'y ajoutait la mystérieuse mission que m'avait confiée la femme qui m'était apparue par trois fois dans mes rêves. Dans le premier, j'avais alors seulement quatre ans, elle me suppliait d'attendre quelqu'un que j'étais censée pouvoir libérer de ses chaînes. Dans le deuxième, à seize ans, elle m'avait indiquée que j'avais rencontré cette personne et m'avais mise en garde contre Killian et April, qui venaient m'enlever. Le troisième, à Miami, était le plus inquiétant. La femme m'y avait parlée d'« ultime bataille », de « missions ». J'avais été vraisemblablement choisie pour mon sang (?) ainsi que deux autres de mes semblables. L'un de nous était l'« Ennemie », l'autre l'« Étrangère » – que je pensais être en raison de mes origines japonaises du côté de mon père – et le dernier la « Rêveuse ». Toujours d'après cette mystérieuse apparition dont je n'arrivais pas à distinguer les traits du visage, je possédais des clefs pour « triompher des épreuves », la première d'entre elles consistant à briser les chaînes de la personne que j'avais rencontrée. Pour se faire, elle m'avait révélée un indice.

« Tout commence et tout finit avec la neige … »

   J'étais sûre d'avoir deviné l'identité de l'individu dont l'existence était entravée par des chaînes : Tabatha. Mais quel rapport avec la neige ? En questionnant Alex, qui la connaissait depuis leur quatre ans avec Malcolm, j'avais obtenu un pauvre début de piste. J'avais en effet remarqué que la reine ne portait jamais de vêtement ou de bijou blanc. Chez elle, il y avait également peu d'objets de cette couleur. Mais où tout cela me menait-il ? En vérité, pas bien loin. Tabatha devait simplement aimer le noir, que ce soit par goût ou par affinité.

   Je ne la connaissais pas assez bien pour émettre des conjectures à son sujet. Je ne savais pas grand chose d'elle, hormis qu'elle tenait énormément ses cavaliers, au point de faire promettre aux filles qu'elle protégeait qu'elles ne s'éprendraient pas d'eux, qu'elle avait un chat qui s'appelait Terreur des Ténèbres, et qu'elle avait mauvais caractère. J'avais l'impression qu'elle s'entendait bien avec Luna, une autre reine knight que j'avais eue l'occasion de rencontrer avec son cavalier, Rey, mais je ne savais pas si elle était une de ses amies. En avait-elle seulement ?

   J'avais beaucoup trop de questions et aucune réponse. Pour résoudre ma première épreuve toutefois, j'allais devoir en apprendre sur la quatrième reine, qui ne me portait pas dans son cœur – un peu plus tout de même maintenant que je ne tournais plus autour de son canari, tel un prédateur. Comment faire pour me rapprocher d'elle ? Poser des questions à la tête d'oursin et à Malcolm était trop direct et ils risquaient de tout répéter à Tabatha. De toute manière, je n'avais pas le courage de le faire.

   Alors comment ?

   La sonnerie m'interrompit dans mes réflexions et je constatai que contrairement à ma voisine de table, ma feuille, où aurait dû se trouver mon cours, était presque blanche. J'allais devoir le rattraper en potassant mes manuels. Cette perspective me vida. Je m'empressai de ranger mes affaires et m'apprêtai à quitter la salle quand je fus interpellée par mon prof, en passant devant son bureau.

-   Miss Takano, ma première intervention ne vous ayant pas empêcher de retourner à vos rêveries, je n'ai pas pris la peine de vous rappeler à l'ordre, pour ne pas perturber le cours. J'ose espérer que c'est la première et dernière fois que vous vous comportez ainsi. Si vous recommencez, je vous mets à la porte, c'est clair ? S'assura-t-il en me fixant par-dessus ses lunettes et en haussant les sourcils.

-   Bi … Bien sûr …

   Ma voix se brisa sur le dernier mot et je rougis un peu plus. Je sortis de la pièce après avoir balbutié un « Au revoir » presque insonore et en me promettant de ne plus jamais me faire remarquer. Jamais, jamais, jamais.

 

 

« Mais qu'est-ce qu'elle fait ? »

   Cela faisait plus de vingt minutes, montre en main, que j'attendais Karen pour partir au self. J'avais aperçu Morgan qui s'y rendait avec d'autres filles de sa classe et Lilian m'avait dit bonjour avant d'aller manger avec Anthony, qui mettait un point d'honneur à le faire dès que ses horaires le permettaient, délaissant ces fois-ci ses amis constituant le gratin du lycée, ne voulant pas risquer une nouvelle rupture parce qu'il ne se préoccupait pas assez du sort de sa petite amie. J'avais cru apercevoir Malcolm mais n'en étais pas sûre.

-   Jade !

   Enfin, je discernais la frimousse de Karen du reste des élèves.

-   Désolée, désolée, désolée ! S'exclama-t-elle en me rejoignant. Mais j'ai papoté avec des gens de ma classe et …

-   … Tu ne t'ai pas aperçu que l'heure tournait, terminai-je. Ne t'en fais pas, j'ai l'habitude.

   Mon ton léger rassura mon amie et nous nous dirigeâmes vers le self en nous décrivant nos matinées – j'omis le reproche de mon prof de maths, ne tenant pas à me faire chambrer.

-   Noon ? M'étonnai-je.

-   Siii ! Je t'assure ! S'excita Karen.

-   J'aurais pourtant parié qu'elle finirait avec l'autre.

-   Ah bon ? Moi, j'en étais sûre !

   Ma compère me racontait la fin d'un film qui était passé à la télé et que je n'avais pas pu terminer, à cause de ma chienne qui avait fait s'écrouler une pile de … de choses, dans ma chambre. Chambre dans laquelle Benjie n'était pas censée se rendre.

   Nous soulevâmes nos plateaux et nous en débarrassâmes, tandis que Karen m'énumérait les raisons évidentes qui faisaient que l'héroïne du film ne pouvait que finir avec le héros.

-   En plus, c'est le plus beau !

   Voilà qui était un argument de taille, et que je ne partageais pas, ce que je lui signalais. Elle eut un sourire tandis que nous nous installions dans l'herbe de la cour, pour observer certains de nos congénères qui jouaient au frisbee. Je lui en demandais la cause.

-   C'est juste que … toi, tu préfères les blonds, non ? Me répondit-elle, toujours avec le sourire et avec des airs de conspiratrices.

   Je me raidis et sentis les coins de ma bouche s'affaisser, mes sourcils se froncer.

-   Pas tout à fait, répliquai-je sèchement.

-   Pas de ça avec moi, Jade ! Tu sais, j'ai tout vu ! Tu te verrais quand tu es avec Alexandre ! Tu rougis et bafouilles, tu es trop mignonne !

-   Je ne rougis plus et ne bafouilles plus, lui fis-je remarquer.

-   Oui, bon … Mais tu l'appelles « Alex » !

-   Tous ses amis l'appellent comme ça, j'ai juste pris le pli, me justifiai-je.

   Karen fit la moue.

-   Écoute, reprit-elle, sérieuse. Je comprends que tu ne veuilles pas que ça se sache, avec Tabatha qui semble prête à démonter la première fille qui s'approcherait un peu trop près de lui, sans compter toutes ses fans qui, elles aussi, sont à la limite de tuer quand on lui parle trop familièrement. Ta réaction est tout à fait normale, insista-t-elle. Il est beau (Décidément, c'était important), drôle, sportif et, d'après ce qu'on m'a dit, il a des notes excellentes. Il est normal que tu craques pour lui.

-   Pff … Mais à côté de ça, c'est un Don Juan, qui se préoccupe uniquement de savoir s'il est capable de séduire plus de filles que Malcolm, et qui les jette sans scrupule après leur avoir fait croire qu'elles comptaient un tant soit peu pour lui. Comme pour le bal, par exemple. D'ailleurs, tu as voulu le gifler après qu'il t'ait demander quel horaire te convenait le plus, lui rappelai-je, acerbe.

-   C'est vrai qu'il est … un peu comme ça. Mais au fond, je suis sûre qu'il cache un cœur sensible ! Quand il trouvera la bonne personne, tu peux être sûre qu'il ne s'occupera plus du tout des autres filles !

   Sans aucun doute une perspective qui devait beaucoup plaire à Tabatha. Je n'osais même pas imaginer si la tête d'oursin devait un jour lui dire qu'il avait trouvé la fille de ses rêves et qu'il la laissait aux bons soins de Malcolm.

-   Il ne demande qu'à être aimé ! Ajouta Karen, emportée dans son élan.

   J'explosai de rire devant son sérieux. Aucun doute que la larve compte nombres de facettes cachées de sa personnalité mais celle qu'elle énonçait était tout bonnement risible. Ri-di-cu-le.

-   Ne rigole pas ! S'indigna la spécialiste des histoires d'amour. Je suis sérieuse !

-   Je sais …, hoquetai-je entre deux éclats de rire.

   Elle croisa les bras et fit mine de bouder. Je tâchai de retrouver mon calme et y parvins au bout d'un petit moment.

-   Excuse-moi, fis-je à Karen, mais … non, franchement, je ne pense pas que le cana … qu'Alexandre soit quelqu'un qui « ne demande qu'à être aimé ».

   Elle me fixa droit dans les yeux. Je lus dans les siens qu'elle était un peu vexée du fait que je me sois moquée aussi ouvertement de sa théorie mais, loin d'avoir des remords, j'eus de nouveau envie de rire.

-   Bon, poursuivit-elle, peut-être que je m'avance un peu concernant Alexandre mais tu ne peux pas dire que toi, tu ne ressens rien pour lui.

-   Et pourtant … Si. Dommage pour toi, mais je ne l'aime pas.

-   Mais pourquoi ?

   Je soupirai.

-   Pourquoi est-ce que tu as refusé de sortir avec Aidan au collège ? Lui demandai-je à mon tour.

-   Q … Quoi ? S'étrangla-t-elle. Mais … Je ne l'aimais pas !

-   Pourquoi ?

-   Mais … enfin, y'a pas de raisons particulières ….

-   C'est la même chose pour moi. Alexandre est peut-être beau, drôle, sportif et intelligent mais je ne suis pas amoureuse de lui.

   J'étais un peu gênée, mais uniquement parce que je ne me confiais que très rarement aussi franchement, d'autant plus sur ce genre de sujet.

-   Il n'y a pas de raisons particulières non plus, achevais-je.

   Là, ce n'était pas la vérité vraie mais je ne pouvais pas raconter à Karen ce qu'il c'était passé cet été, cela aurait soulevé trop de questions : pourquoi étais-je avec Alexandre ? ; Que faisions-nous sur une plage ? ; En quoi sa relation avec Tabatha était-elle simplement spirituelle ?

-   Vous auriez fait un joli couple pourtant, me certifia Karen, un peu déçue que je sois aussi catégorique.

-    Je n'ai pas l'intention de rester seule toute ma vie non plus, tu sais, lui confiai-je pour lui remonter le moral. Mais je ne sortirai pas avec Alexandre.

-   Tu as raison. Ce n'est pas le seul garçon sur Terre ! Je suis sûre qu'il y a quelqu'un de parfait pour toi ! Peut-être même est-il tout près !

   Je me mis à rire de nouveau, mais cette fois pour détendre l'ambiance. Mon amie sourit à son tour et elle m'énonça toutes les qualités dont devraient faire preuve, d'après elle, le garçon idéal pour moi.

   Nous nous quittâmes dans une ambiance bon enfant, après avoir papoté pendant ce qui me parut trop peu de temps.

   Je me rendais à mon prochain cours avec des filles qui y participaient aussi quand je repérai la larve au détour d'un couloir. Il attendait avec des gens de sa classe devant leur salle de cours et était au centre de l'attention et de l'agitation.

« Il ne demande qu'à être aimé ! »

   Karen se trompait. De cela, il s'en fichait. Ce qu'il voulait, c'était être admiré et désiré. Il n'avait pas besoin d'être aimé puisqu'il avait dû jurer fidélité, comme un vassal à son suzerain ou comme un chevalier à son roi, à la plus belle fille du monde, qui le lui rendait bien en faisant sentir à tout le monde qu'il était à elle. Il pouvait bien briser les cœurs sur son chemin, Tabatha restait sa reine. Et ça, personne n'y pouvait rien, pas même la plus vaillante … ou la plus amoureuse. Certains trouveraient ça triste. Moi, ça me révoltait.

 

 

   J'attendis Killian auprès de sa moto – il m'avait envoyée un sms pour me signaler qu'il était chargé de ma protection ce soir – et plutôt que de le laisser croupir dehors, même si à cette période de l'année le temps était très agréable, je comptais lui proposer d'entrer à la maison. Il me surveillerait d'encore plus près.

   Sur le coup, il ne fut pas très emballé par mon invitation et j'eus envie de détaler en courant, honteuse. Après quelques grognements néanmoins, il finit par accepter.

-   Je ne te propose pas de te raccompagner en moto, je n'ai pas de casque pour toi, me prévint-il. Désolé.

   Sous ses airs de mauvais garçon, il était d'un sérieux exemplaire !

-   Je …. je comptais rentrer à pieds, ne t'inquiète pas !

-   A tout de suite alors !

   Il enfourcha son bolide, enfila son casque et ses gants, mit le contact puis quitta le campus accompagné du bruit propre à son véhicule.

   Je le retrouvai peu de temps après, garé devant chez moi.

-   Disons que je passe pour que tu m'aides pour mon devoir de maths, lâcha-t-il soudainement, tandis que je cherchais mes clefs, sur le pas de la porte.

-   Tu viens pour ne pas rester dehors … à me protéger des aces qui ne se sont pas montrés depuis plus de deux mois, rétorquai-je, dubitative.

-   Je suis sûr que cette explication ravira ta mère, me répliqua-t-il avec sarcasme.

   Je tournai la clef dans la serrure et ouvris la porte.

-   Maman, c'est moi ! J'ai ramené quelqu'un ….

   Ma mère vint à ma rencontre et parut surprise en découvrant Killian.

-   Je … je dois l'aider pour un devoir de sciences …, bafouillai-je.

-   De maths, me reprit-il avec légèreté. Je ne fais pas de sciences, je te rappelle.

-   Pas de problème ! Nous affirma ma mère, amusée par mon camarade. Vous voulez peut-être manger quelque chose avant de faire travailler vos méninges ?

   Elle nous apporta des gâteaux, des boissons et fit la conversation à Killian avant de nous laisser travailler pour faire des courses. Je ne demandai pas à mon invité de me suivre dans ma chambre, ne tenant pas à ce qu'il voit l'état misérable dans laquelle elle se trouvait.

-   Ta sœur ne devait pas entrer au lycée, cette année ? S'étonna-t-il pendant que nous potassions nos devoirs pour le lendemain.

-   Joanna est bien entrée au lycée … mais pas au nôtre. Elle … elle voulait absolument participer à un cours qui n'est pas pratiqué chez nous.

-   Il est loin d'ici ?

-   Disons qu'elle est obligée de prendre le bus.

-   Tandis que toi tu vas au lycée à pieds.

   J'opinai et un portable vibra. Je commençai à me demander où j'avais mis le mien quand Killian sortit le sien. Comme il ne le rangea pas, j'en conclus que c'était bien lui qui avait reçu un message.

-   Bonnes nouvelles ? M'enquis-je.

-   Un peu, oui. Ma sœur m'apprend qu'il y a une grosse fête ce week-end. Organisée par la Rook Guild.

-   Pas par la Knight Guild ?

-   Elles ne sont alliées que sur des plans purement professionnels, tu sais. Elles se foutent éperdument des fêtes commander par les jeunes.

-   Comment ça ?

-   Ben … D'un côté, t'as les fêtes « officielles », dont les commanditaires sont des membres importants dans la hiérarchie et de l'autre, t'as les « imprévues », organisées dans 99,9 % des cas par les « jeunes », histoire de se réunir.

-   Tu participes souvent à ce … genre de fêtes ?

-   Oui ! Stanislas ne m'accompagne pas parce qu'il aime rester à moisir dans son coin mais April y va aussi, avec sa bande de copains.

   April … La petite teigne blonde au langage fleuri … qui était elle aussi responsable de la fin heureuse des évènements de Miami.

-   Qu'est-ce qui s'y passe ?

-   Jade ! C'est une fête ! Que veux-tu qu'il s'y passe ?

   Je gardais le silence, n'arrivant pas à trancher sur le style précis de ces fêtes dont me parlait Killian. J'avais deux visions de ce qu'elles pouvaient être, chacune littéralement opposée. Et je n'avais jamais participé à l'une ou l'autre.

-   Tu veux venir ?

   Je levais les yeux de mon manuel pour regarder la tour.

-   Quoi ?

-   Avec Lilian et Morgan ! Oui, ça serait super ! S'emballa-t-il. Je demanderai à Malcolm et Alexandre aussi ! C'est vrai, quoi, toi et les deux autres filles vous n'avez fréquenté que des knights ! Il faut que vous voyiez ce qu'il se passe, chez nous !

   Il avait l'air très enthousiaste et j'avais de mon côté très envie de découvrir ces fêtes « imprévues ». Je ne me faisais pas de soucis concernant mes parents, je commençais à comprendre que dès que j'avais besoin de me faire couvrir, que ce soit parce que je me faisais kidnapper ou me rendais à des fêtes, il suffisait qu'un doué prenne ma place.

-   Ça serait bien, concédai-je, mais … enfin … comment faut-il s'habiller ? …

   Je me sentais niaise de poser cette question mais l'un des aspects que pouvait revêtir ces fêtes nécessitait dans mon imaginaire une certaine rigueur vestimentaire. L'image de Shannon, avec sa crinoline, en était l'exemple type.

-   Nous ne sommes pas comme ces snobs de knights ! S'offusqua Killian. On ne nous oblige à nous déguiser en pingouin !

-   En … pingouin ?

-   A mettre un smoking, quoi.

   Je n'allais donc pas revivre le traumatisme de la robe du bal de fin d'année. Mais le rook avait bien deviné que ma vision de la fête était basée sur ce que je savais de la Knight Guild – et de certains de ses membres qui s'habillaient quotidiennement avec des tenues d'un autre temps.

-   Nos fêtes ne sont pas du tout comme ce que tu imagines, me garantit-il.

-   Vraiment ?

   J'avais dit la chose sur le ton de la plaisanterie et Killian le perçut bien. Un large sourire étira sa bouche.

-   Oh oui. Elles sont beaucoup, beaucoup plus fun.

 

 

 

Lexique

"Je me rendais à mon prochain cours avec des filles qui y participaient aussi ..." : dans les lycées américains, les élèves ne sont pas répartis par classe. Chacun choisit pour chaque semestre les cours auxquels il va assister. On côtoie donc de nombreux élèves même s'il y a des camarades avec qui on a plusieurs cours en commun.

 

 

Voilà donc le premier chapitre ! Il n'y a pas d'actions, comme vous l'aurez remarqué, mais il permet de faire un récapitulatif du volume précédent et d'énoncer les différentes conséquences des évènements de Moonless Night.

J'espère qu'il vous a plu et que la suite vous plaira autant que le premier volume !

Faîtes-moi part de vos avis !

 

P.S : la photo en début de chapitre vient tout droit du site d'un lycée de Denver que j'ai choisi pour être celui de Chess !

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2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 18:01

prologue.jpg

 

   Tout m'effraie. Le froid, le noir, la solitude. La Peur revêt ces trois formes.

   La Peur me ronge. Elle me saisit au cœur et m'enfonce petit à petit dans les Ténèbres. Je sais très bien qu'elles vont finir par m'engloutir si je reste ainsi. Mais je ne peux pas vaincre la Peur. Je n'ai pas la force pour ça. Ni l'envie. La douleur qu'elle me procure m'est nécessaire pour ne pas oublier. M'oublier.

   C'est pour ça qu'Alexandre et Malcolm sont là. Pour ne pas me laisser seule. Pour éclairer mon ciel sans lune et m'apporter la chaleur humaine qui me manque tant. Ils me sont indispensables pour ne pas sombrer avant l'heure. Avant que Kjell Nordengen ne soit éliminé de mes mains.

   C'est pour ça que je déteste ces trois filles. Parce qu'elles risquent de provoquer des évènements susceptibles d'ébranler le fragile équilibre que j'ai réussi à établir.

   Je veux la pleine lune. Mais elle me fait peur.

   Parce qu'au final, ce qui me terrorise le plus …

  

 

C'est le changement.

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2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 17:53

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